Ardoise, L'
Genre: Polar
Année: 1970
Pays d'origine: France
Réalisateur: Claude Bernard-Aubert
Casting:
Salvatore Adamo, Jess Hahn, Michel Constantin, Elisabeth Wiener, Boby Lapointe, Jean Desailly, Simone Valère, Fernand Sardou, Guy Delorme, Jacques Legras...
 

Philippe, un jeune homme de bonne famille, se retrouve en prison. Il a été condamné à une courte peine après avoir frappé un homme. Ce dernier était l'associé de son père, un diamantaire, et avait exercé sur lui un chantage qui avait entraîné sa mort. Philippe rumine sa vengeance entre quatre murs et fait la connaissance de deux truands, Bob Daniels et Théo Gilani. Il a l'idée de faire appel à eux pour récupérer un document pouvant réhabiliter la mémoire de son père. Tous trois, à leur sortie de prison, préparent le cambriolage de la villa de l'associé. Il est prévu que les malfrats se paieront avec l'argent et les diamants qu'ils trouveront dans le coffre...

 

 

L'Ardoise est adapté d'un polar de Pierre (Vial-)Lesou, auteur de moult séries noires éditées pour la plupart dans la collection "Spécial Police" de chez Fleuve Noir. Un auteur aux ramifications généreuses au cinéma puisque ses romans sont régulièrement adaptés. Le plus connu demeure "Le Doulos" de Jean-Pierre Melville, dans lequel on trouvait déjà Jean Desailly ici-présent (mais aussi Philippe Nahon, on a tendance à l'oublier). C'est ensuite Michel Deville qui adapte son roman "Main pleine" sous le titre "Lucky Jo", dans lequel on trouvait cette excellente gueule et second plan ici-présent, Guy Delorme. Ce roman fut adapté une seconde fois par Laurent Heynemann en 1989 pour le téléfilm de la série "Série noire". Juste avant, c'est l'anarchiste athée Paul Vecchiali qui adaptait en 1984 "Cœur de Hareng" pour la même série de téléfilms. Entre ces pôles temporels couvrant plus de deux décennies, c'est aussi Raoul Lévy qui adapte à l'écran "Je vous salue mafia" en 1965, Boisset qui tourne le plutôt connu "Un Condé", ce la même année que L'Ardoise (adapté du roman "L'Ardoise d'un apache"), puis Bruno Gantillon qui, en 1973, nous gratifie de Sans Sommation.

 

 

À la mise en scène on retrouve un réalisateur qui eut une carrière pour le moins houleuse avec la censure puisque, reporter de guerre en Indochine entre 1949 et 1954 (*), "Patrouille de choc" qui sort dans les salles en 1957 est directement menacé par la censure en raison de son réalisme à l'égard du conflit. Son second n'aura pas plus de chance et sera même attendu au tournant : "Les Tripes au soleil", qui fait du racisme son thème central, attend alors deux ans une levée d'interdiction. Bernard-Aubert n'est pas homme à baisser la tête, il enchaine donc aux débuts des années 60 avec "Les lâches vivent d'espoir", dans lequel deux étudiants qui se sont rencontrés au Quartier Latin, Françoise et Daniel - elle est blanche (Françoise Giret), il est noir (Gordon Heath) -, voient leur couple confronté aux préjugés racistes. Ostensiblement engagés, voire enragés, ses films gênent tant et si bien que c'est en Grèce qu'il tourne "Poliorkia ou les moutons de Praxos" dans lequel les habitants, pour lutter contre l'occupation, traversent un pont un à un et toutes les heures, en se faisant tuer. Un peu calmé à la fin des années 60, le réalisateur tourne alors des films de série dont L'Ardoise et le très connu "L'affaire Dominici". Ce dernier met l'accent, malgré la présence de la star Jean Gabin, sur l'erreur judiciaire probable.

Claude Bernard-Aubert a de plus en plus de mal à tourner et puis à ce moment se joue une nouvelle lutte : en 1975, son ami Serge Korber est censuré avec L'Essayeuse et les acteurs carrément mis à l'amende pour outrage aux bonnes mœurs. Le sang du réalisateur ne fait qu'un tour, il prend le pseudonyme de Burd Tranbaree et décide de mettre une Fessée aux culs-bénis à coups de "Salopes et vicieuses", "Veuves en chaleur", "La grande levrette", "La grande mouille" et autres La maison des phantasmes (Clarisse) avant un chant du cygne cinématographique sous son vrai nom avec "Adieu je t'aime", un drame intimiste dans lequel Bruno Cremer, marié à Marie-Christine Barrault, tombait amoureux de son jeune collègue avant de l'enculer puis de le ramener à la maison pour une tentative de liaison à trois.

 

 

Pour en revenir à L'Ardoise, vous comprendrez qu'il fait figure de film très classique au sein d'une telle filmographie. Classique n'est pas pour autant garant de bon film, hélas. L'Ardoise souffre d'un traitement trop inégal pour prétendre convaincre. Au niveau scénaristique tout comme au niveau de la mise en scène et du casting, il paye son tribu aux conventions du polar hexagonal et pas que. Le film est divisé en trois parties : la première au sein de la prison où Salvatore Adamo fait la connaissance de deux truands à qui il propose le coup à venir, le hasard de leur calendrier voulant qu'ils soient tous trois libérables à deux semaines d'intervalles. La seconde est celle du forçage de coffre-fort avec d'un côté, un papier récupéré par Philippe et qui innocente son père, de l'autre, un butin considérable, en billets comme en diamants, pour une valeur d'un million de francs. L'intervention armée des policiers sur les lieux oblige Bob et Théo à montrer leur visage. À partir de là, ils sont contraints de confier le pactole à Philippe et de lui donner rendez-vous plus tard, sur Paris, tout le secteur étant quadrillé. La troisième partie fait suite à l'accident de voiture de Philippe, dû un jeune chauffard, trop alcoolisé et voulant frimer aux côtés de sa nénette. De là s'ensuit ce qu'on croit être la perte du butin et les retrouvailles entre les deux bandits aguerris et Philippe ; retrouvailles qui tournent elles-mêmes au drame et au malentendu.

 

 

Le premier problème de L'Ardoise se situe au niveau du casting : il est difficile de croire au personnage d'Adamo, campé avec une conviction si naïve, jouant tout sans décalage, qu'il devient très vite le maillon faible d'un film probablement fait en pleine mode où le cinéma relançait les carrières de certains chanteurs. Ceci étant, il n'est pas mauvais au point d'être très préjudiciable au film. C'est son second après "Les Arnaud", médiocre drame de Léo Joannon où il donnait la réplique à Bourvil. Juste après L'Ardoise il se mettra en scène lui-même, assisté d'Eddy Matalon (Une si gentille petite fille !...) pour un film tout à sa gloire : "L'île aux coquelicots". Autant dire que la carrière au cinéma du sieur Adamo ne pisse pas loin ni ne pète bien haut. À son crédit cependant, le fait d'avoir composé la musique du film et livré une partition assez réussie. À ses côtés, Jess Hahn et Michel Constantin ont bien du mérite en tant que truands professionnels à paraître crédibles, ne serait-ce qu'en prenant au sérieux ce personnage miniature qui leur promet un chouette butin ("Seul le papier incriminant mon père m'intéresse, le reste est à vous !"). Rien ne dit d'ailleurs que le fameux coffre en question recèlera une telle fortune. C'est en tout cas sur ces bases qu'ils finissent non seulement par lui faire confiance mais qui plus est de lui offrir leur protection.

 

 

L'Ardoise n'est pas non plus tout à fait convaincant au niveau du script écrit à deux mains par le réalisateur lui-même et Jean-Marie Durand (ce dernier tournera son seul film comme acteur l'année suivante, et dans le rôle d'Antoine, avec "Le frisson des vampires" de Jean Rollin). Trop longtemps le film pratique un humour autant redondant qu'excessif. Parfois ça marche, souvent ça casse. Voir Boby Lapointe, en agriculteur qui emploie les taulards pour des travaux d'intérêt général, mimer à force de gestes une rixe opposant les prisonniers devant sa ferme fait triste impression. Voir ces sept mêmes prisonniers, couverts de bleus et de blessures, déclarer de concert au gardien-chef qu'ils sont tombés d'une échelle est tout aussi lourd. Bizarrement, seul Jess Hahn, qui de prime abord ne parait pas finaud, parvient à faire rire une ou deux fois en plus de donner une vraie dimension à son personnage. Avant de sortir de prison, il fait la requête que le gardien s'arrête à la cellule 12, afin de dire au revoir à un de ses amis. Une fois la petite trappe de la porte ouverte, il lui crache à la gueule. Pour le reste, une fois sorti de prison et concernant le coup et l'après-coup, si Michel Constantin joue sa partition de manière classique pour ne pas dire mécanique mais avec le charisme et l'efficacité qu'on lui connait, la seule véritable humanité qui émane de ce petit polar de série vient encore de Jess Hahn.

Dans le domaine des incongruités, on a du mal à croire en certaines situations : la conduite tout en zig-zag du jeune automobiliste, ce propriétaire d'une auto (Jacques Legras) qui, crédule, file ses clés aux deux truands en train de la lui piquer, et pire encore, on a du mal à croire, et en la vengeance tardive d'une femme qui se tait devant la police, et en l'issue tragique du film, issue impliquant notamment des remords du personnage joué par Michel Constantin et l'honneur de ces truands.

 

 

Bref, L'Ardoise n'est pas un mauvais film dans la mesure où il se laisse voir sans ennui mais, trop inégal, il peine à dépasser le petit polar de série, très sympa dans ses meilleurs moments, peu convaincant à d'autres.


Mallox



(*) Claude Bernard-Aubert déclarera plus tard : "Le jour de mes vingt ans, j'ai vu massacrer au coupe-coupe un village entier. C'était Quinh Quang, dans le Nord du Vietnam, et je n'oublierai jamais mon gâteau d'anniversaire" (Claude Bernard-Aubert, cité par Freddy Buache dans Vingt-cinq ans de cinéma français.)


# Dans les gags (volontaires ou non), lorsque Michel Constantin sort de prison, il se dirige, en sortant donc de cette Maison de la Santé, au bistrot d'en face qui s'appelle : "A la bonne Santé".

 

 

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