No dormirás
Genre: Thriller , Fantastique , Esprits
Année: 2018
Pays d'origine: Uruguay / Argentine / Espagne
Réalisateur: Gustavo Hernández
Casting:
Eva De Dominici, Natalia de Molina, Belén Rueda, Juan Manuel Guilera, Susana Hornos...
Aka: You Shall Not Sleep / Insomne
 

L'Uruguay et l'Argentine sont deux pays d'Amérique du Sud limitrophes ayant payé un lourd tribut à la dictature, notamment durant les années 1960/70. Régimes autoritaires, junte militaire, centres de détention, torture systématique, escadrons de la mort, exécutions, détentions sans inculpation dans des prisons ou des établissements psychiatriques furent ainsi le lot quotidien d'une population terrorisée, pour qui le traumatisme a longtemps perduré.

 

 

Ce passé douloureux sert de socle à No dormirás, réalisé par Gustavo Hernández. Né en 1973 à Montevideo, le futur cinéaste se fait connaître au début des années 2000 avec des courts-métrages, des films publicitaires et des vidéo-clips. En 2010, il filme son premier long métrage, "La casa muda" (The Silent House), un film de maison hantée tourné avec un budget dérisoire et surtout en un seul plan séquence de près d'une heure-vingt (qui serait en fait trafiqué). Plus ou moins bien accueilli, le film n'en fait pas moins l'objet d'un remake dès l'année suivante aux États-Unis ("Silent House") pour lequel Hernández sera crédité en tant que scénariste. "Dios Local", en 2014, est également un film d'horreur, mettant en lice trois membres d'un groupe de rock ayant chacun vécu un traumatisme, reclus dans une ancienne mine d'or où ils découvrent une ancienne idole maudite. No dormirás pourrait donc conclure cette trilogie horrifique, bien que le film s'oriente en premier lieu vers le thriller.

 

 

Gustavo Hernández plante le décor de son histoire en 1984 dans un ancien asile psychiatrique abandonné depuis une vingtaine d'années. Ce décor assurément sinistre a été choisi par Alma Böhm, directrice d'une troupe de théâtre, dans un but expérimental. En effectuant des recherches, Alma s'est rendue compte que l'absence de sommeil pouvait stimuler les sens, jusqu'à ouvrir une porte vers un autre monde, peut-être celui des morts, à condition que le sujet soit particulièrement réceptif. La seule expérience concluante jusqu'ici eut lieu en 1975, durant laquelle une actrice prénommée Marlene était parvenue à franchir le portail menant aux limbes après une insomnie de cent-huit heures.

Neuf ans plus tard, Alma Böhm retourne sur les lieux avec une nouvelle troupe qui ne sait rien de ce qui s'est passé dans l'asile en 1975. Le premier rôle de la pièce n'a pas encore été attribué, mais la personne semblant la plus apte à être réceptive à cette forme de théâtre immersif est Bianca, une jeune femme ayant la lourde charge d'avoir un père psychologiquement instable.

Peu à peu, les membres de la troupe s'organisent afin de ne pas succomber au sommeil. Mais dans cet endroit sinistre, l'angoisse et l'insomnie finissent par affecter Bianca, désormais en proie à des hallucinations. Elle est la première à franchir le fameux portail, immergée dans une baignoire, ce qui lui vaut de se voir attribuer le premier rôle. Cependant, sa curiosité et sa volonté de découvrir les secrets cachés dans ces murs ne vont pas tarder à mettre Bianca en danger.

 

 

Assurément, à la vision de No dormirás, on sent que Gustavo Hernández a été influencé par la nouvelle vague espagnole en matière de cinéma fantastique, celle des Amenabar, Balaguero et Bayona, et aussi par le style du Mexicain Guillermo del Toro.
La tension dans No dormirás monte ainsi crescendo, basculant progressivement du rationnel vers le surnaturel. Le réalisateur explique avoir mis en chantier ce film après avoir lui-même été sujet à des insomnies qui avaient eu pour effet de décupler ses sens et la perception de son environnement. C'est à partir de cette expérience qu'il a commencé à faire des recherches sur le manque de sommeil et ses répercussions sur l'organisme, d'un point de vue physique et mental.

En tout cas, on peut reconnaître à Gustavo Hernández le fait d'avoir non seulement choisi un sujet original mais également d'avoir trouvé des acteurs dans l'ensemble talentueux, dont le duo féminin Belén Rueda/ Eva De Dominici, absolument irréprochable. La première, qui incarne Alma Böhm, est madrilène. Née en 1965, on a pu la voir dans "Mar adentro", "L'Orphelinat", "Le Pacte du mal" et "Les Yeux de Julia", films dans lesquels elle tient à chaque fois le premier rôle féminin. La seconde (de son vrai nom Eva Carolina Quattrocci), qui interprète Bianca, est une jeune actrice argentine née en 1995, qui s'est fait connaître par le biais de telenovelas (l'équivalent hispanique des séries interminables genre "Les feux de l'amour"). L'une comme l'autre se livrent à une forme de rivalité tout au long du film, dépassant le clivage générationnel. Si l'on a d'un côté une forme de rivalité "mère/fille", on se rendra compte au fur et à mesure que les rapports entre les deux femmes sont ceux d'un prédateur face à sa future proie.

 

 

Coproduction entre trois pays (l'Espagne, l'Uruguay et l'Argentine), le film a pu bénéficier de capitaux non négligeables, puisque le budget avoisine les dix millions de dollars, une somme que Hernández et son équipe n'auraient pu réunir sans l'apport de ses partenaires argentins et espagnols. Il est évident que situer l'action dans le passé et plus précisément dans un institut psychiatrique n'est pas anodin, dans la mesure où la trame de No dormirás a également pour but de rappeler à son public les heures sombres d'un passé victime de la dictature. Une époque marquée par une répression dans le sang, comme évoqué plus haut, où les artistes étaient d'ailleurs une cible de choix. La junte militaire réquisitionnait de nombreux lieux publics pour y pratiquer la torture, et les hôpitaux psychiatriques en faisaient notamment partie. Qui plus est, parmi les tortures employées on trouvait la privation de sommeil, de même que l'immersion dans une baignoire, utilisée ici pour passer du monde réel à celui des limbes.

On reconnaîtra que la méthode qui consiste à mettre en corrélation parapsychologie et psychanalyse était audacieuse, sinon risquée. Dans No dormirás, le personnage de Bianca est manipulé afin de faire office, d'une certaine manière, de médium en entrant en contact avec un mort, mais aussi dans un but thérapeutique destiné à guérir un autre personnage d'un traumatisme remontant à sa plus jeune enfance (un fait que Bianca ignore).

 

 

A la vision du film, on peut dire que le pari est réussi, que la sauce prend et que No dormirás est un thriller fantastique plutôt maîtrisé dans l'ensemble. Si l'on peut regretter un ou deux jump scares convenus et un twist final tout à fait dispensable, le bilan n'en est pas moins positif, et ceux qui ont aimé des ambiances style "L'Orphelinat" ou "Darkness" auront toutes les chances d'apprécier No dormirás, qui est sorti dans les salles françaises le 16 mai de cette année 2018.


Flint

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