Interview Thierry Lopez
Écrit par Gregore   

Après plusieurs courts-métrages "amateur", Thierry Lopez réalise un projet beaucoup plus ambitieux : "Maximiliani ultima nox", un condensé de fantastique, de gore et d’humour en 16 mm pour une durée de 18 minutes.

 

Interview réalisée le 20 décembre 2004.

 

Gregore : Peux-tu nous parler de tes premières expériences cinématographiques derrière la camera et surtout de ton premier court : "Golzarath, l'attaque des morts-vivants" ?

Thierry Lopez : J’ai commencé direct par ça. C’était en 1998. Si tu regardes les débuts des réalisateurs, tu vois que quasiment tous ont commencé par du super 8. Pour moi, c’était logique de faire mon premier film avec ce support. Le problème, c’est que je n’y connaissais absolument rien... Je croyais qu’une caméra super 8 s’utilisait comme un caméscope, ça craint ! En plus, j’ai voulu faire un film de morts-vivants de 18 minutes, avec effets spéciaux et nuit américaine. Forcément, pas mal de scènes étaient sous ou surexposées. Il a fallu en refaire. Il a fallu aussi tout postsynchroniser, impossible de prendre le son en direct, vu le joli ronflement de la caméra.
Donc, les paroles des comédiens (des amis, pas du tout des comédiens bien entendu), ne collent pas toujours avec le mouvement de leurs lèvres. On avait tout bruité aussi ! N’empêche, c’est en faisant des erreurs qu’on apprend. Et là, je te garantis que j’ai appris beaucoup de choses. Maintenant, avec le recul, "Golzarath" fait très rire, même si on ressent un peu la poésie que je voulais inclure. C’est un film totalement amateur, qui a eu quelques bonnes critiques dans les zines de l’époque, comme Médusa, Cinescope, Fantasticorama, ou l’allemand Gory news.



Gregore : Le DVD de ton dernier court-métrage "Maximiliani ultima nox" est disponible depuis peu, d’où t’est venue l’idée du film et comment s’est passé l’avant-tournage, le casting, les financements ?

Thierry Lopez : Au départ, c’était pour un concours de scénario, pour une collection de courts. Le thème était "le fantastique classique : normalité + déclic = irréel" (comme quoi !). Mais je l’ai fait à ma sauce, donc je n’ai rien gagné.
Après, je me suis dit que ça valait peut-être le coup de me faire produire, pour faire un "vrai" film. J’ai démarché trop longtemps, auprès de quelques 60 producteurs, sans succès. Si tu ne fais pas du social ou des comédies pourries, tu n’as pas beaucoup de chances... Donc, je me suis encore plus renfermé. Et je voulais le faire en super 8. Mais comme je n’avais pas tourné depuis "Symphonia horroris" en 2000, j’ai fait "Apparition", d’après Guy de Maupassant, pour me remettre un peu dans le bain. "Apparition" était un projet qui me tenait vraiment à cœur, car j’étais resté muet en lisant la nouvelle (toujours mon thème d’amour magique), mais nettement moins ambitieux. Le projet idéal pour s’y remettre, apprendre et expérimenter. C’est comme ça que j’ai rencontré mon chef opérateur, Guillaume Hoenig, qui m’a permis de faire "Maximiliani ultima nox" en 16 mm.
J’ai donc travaillé dans la maçonnerie pendant un an pour autoproduire mon film (j’ai travaillé beaucoup plus longtemps, mais il a fallu un an pour économiser le budget de 6000 euros).
Pour le casting, j’avais déjà travaillé avec Julien Masdoua (Maximilien), Luc Miglietta (Sodomus) et David Jimenez (José-Marie, clin d’œil au "Jour de la bête"), pour "Amis pour la vie", une sitcom trash que j’avais réalisée avec Fred K. Denys Schaan (Willy) qui avait fait la voix du narrateur sur "Apparition", et Rodolphe Gayrard (Corto), m’avait aidé à écrire les dialogues.



Gregore : Comment s’est déroulé le tournage ?
As-tu quelques anecdotes ou des détails intéressants ?

Thierry Lopez : On était une trentaine sur le plateau, pendant 7 nuits. Le plus dur a été de prendre un rythme de vie nocturne. Personnellement, j’arrivais à dormir 2 heures par matinée. Et aussi, de tout planifier, car on a tourné dans un ordre non chronologique, par rapport aux disponibilités des comédiens, aux lieux, et surtout aux séquences d’effets spéciaux, qui ont été bien plus longues à mettre en place que je ne l’avais prévu.
Comme anecdotes, il n’y a pas grand-chose, si ce n’est que, forcément, on s’est fait encercler par la police (très sympa), alertée par les voisins qui entendaient pleins de coups de feu en pleine nuit. Et puis, pour l’explosion de la fin, il a fallu 4 heures d’installation avant d’être prêts à tourner : réglages des 3 caméras 16 mm, et surtout préparation du mannequin qui allait péter (habillage, maquillage, mise en place des charges explosives...). On n'avait pas droit à l’erreur vu qu’il n’y avait qu’un mannequin… L’angoisse la plus totale. Ca a pété, je sais qu’on a entendu la double explosion à au moins 1 kilomètre et demi ! Des ouvriers à côté se sont retournés malgré le bruit énorme de leurs engins. Alors, les gars qui faisaient la sieste en pleine après-midi du mois d’août ont dû apprécier !
Après, on a vite tout plié et on a quitté les lieux en moins de 5 minutes, car je n’avais pas l’autorisation, et je ne voulais pas revoir les policiers.
La séquence du survol de la ville, au début, en image par image, a été prise par Guillaume Hoenig (chef opérateur), Laurent Teyssier (assistant opérateur), et Martial Couderc (monteur). C’était après la fête de fin de tournage, ils étaient tous les trois complètement bourrés, et ils sont partis avec la caméra, la batterie et un cubi de rouge dans les mains ! Bravo les gars !



Gregore : Quels sont tes futurs projets ? Ton projet médiéval fantastique "Darvillania, pour une vie de désirs" est-il toujours d’actualité ?

Thierry Lopez : Le long métrage d’après "Maximiliani ultima nox", qui racontera la genèse des personnages. Qui sont-ils, et comment se sont-ils rencontrés ? Et pourquoi en sont-ils arrivés à cette ultime nuit. Ca commencera sûrement en 1850, avec les débuts de Sodomus. Je suis en train de développer le scénario avec Frédéric Bautias (qui a conçu les effets spéciaux sur le court). Pour trouver le financement, ça va être une autre histoire… Et, à mon avis, comme ça risque de prendre pas mal de temps, je vais peut-être succomber à la tentation de faire un autre court... Je ne sais pas encore, on verra.
Pour "Darvillania", disons que je l’ai réservé pour l’avenir. Je voulais faire un film de 30 minutes de poésie médiévale fantastique. Une histoire d’amour magique, mais avec quand même quelques scènes gores. C’est ce que je préfère au cinéma, le merveilleux "adulte", ce qui n’est pas le conte de fées pour enfants. Mais là, j’avais placé la barre trop haut. Tournage en 16 mm, en pleine forêt, la nuit, des costumes, des effets spéciaux, de la pyrotechnie, du cinémascope …J’avais juste fait "Golzarath". J’ai passé plusieurs mois à travailler dessus et à chercher un financement, en vain. Heureusement en fait, car je n’étais pas assez mûr pour un projet comme ça. Mais je ne laisse pas tomber cette histoire, dans laquelle j’avais mis beaucoup de moi-même. J’espère pouvoir en faire un long, peut-être le troisième ou quatrième, si j’y arrive, et si je fais mes preuves.

Gregore : Tes réalisations sont très ancrées dans le fantastique, quelles sont tes sources d’inspiration ?

Thierry Lopez : Je suis passionné par le fantastique. Tous les projets que j’ai appartiennent au genre. Même si un jour, je dois faire un film non fantastique, il y aura toujours une ambiance décalée. Comme je l’ai dit, ce que j’aime le plus, c’est le merveilleux (qui peut être contemporain), c’est-à-dire qu’on est direct dans un univers non réel. Le schéma classique du fantastique (le monde normal, puis un déclic qui fait tout basculer vers un univers bizarre) m’intéresse moins. C’est pour ça que je préfère ne pas perdre de temps à expliquer comment cela se fait qu’il y ait des vampires ou des morts-vivants. Il y a des vampires ou des morts-vivants, point, c'est comme ça. Ainsi, tu peux développer ton histoire et tes personnages plus longuement.
Pour les sources d’inspiration, c’est difficile à dire car je n’ai pas fait énormément de films. Si je considère les projets que je n’ai pas encore concrétisés, disons qu’il y a beaucoup du rêve. Je suis aussi fasciné par les mythes et légendes européennes, et par le symbolisme aussi. Et surtout, les architectures bizarres, surtout baroques, m’inspirent énormément. Ca me fait imaginer pleins d’images et d’histoires, qui souvent après, n’ont aucun rapport avec le lieu d’origine...

Gregore : Que penses-tu du cinéma français actuellement ? En particulier du cinéma à tendance fantastique et des réalisateurs français qui essayent depuis pas mal de temps de faire des films avec peu de moyen comme Thomson ou Pellissier ?

Thierry Lopez : Je ne regarde pas trop le cinéma français actuel, encore moins les grosses productions américaines. Je préfère les vieux films, des années 20 aux années 70. Le fantastique français actuel ne m’a pas encore convaincu. Au contraire, je crois que les tentatives fantastiques de chez nous doivent faire rire le monde entier, tellement c’est mauvais. Comme les fameux B-movies, dont le budget de la promo était égal à celui de la production... Cela dit, je n’ai pas encore vu "Requiem", ni "Maléfique", dont on m’a dit le plus grand bien. J’ai hâte de voir ces deux films, et j’espère qu’ils relèveront le niveau.
Pour rester dans le fantastique français, je préfère mille fois revoir "La Chute de la maison Usher" de Jean Epstein ou "Juliette ou la clé des songes" de Marcel Carné, que "Haute tension", ou "Nid de guêpes".
En ce qui concerne les films faits avec peu de moyens, je n’ai jamais vu ceux de Richard J. Thomson, j’essaierai de combler cette lacune. Quant à Antoine Pellissier, je respecte énormément son travail et sa passion. Ses films sont quand même les plus gores que j’aie jamais vu !

Gregore : Peux-tu nous parler de tes goûts en matière de cinéma, de tes films ou réalisateurs de référence ? Et pour finir, comme on est en fin d’année, quel film t’a marqué en 2004 ?

Thierry Lopez : J’aime tous les vieux films fantastiques. L’expressionnisme allemand est pour moi, la source de tout le cinéma fantastique. J’aime aussi l’école scandinave des années 20, la Universal (et la MGM et la RKO...) des années 30, la Hammer (et la Amicus et la Tyburn...), le fantastique espagnol (surtout Jorge Grau), le fantastique italien (Argento, Bava, mention spéciale à "Opération peur" et "Le corps et le fouet", Fulci, d’Amato...).
Je suis un très gros fan de Roger Corman, son cycle Poe est admirable. J’aime aussi Jess Franco et Jean Rollin. En fait, je pense être baroque. J’adore Tsui Hark, mais aussi Wim Wenders. Je suis gros fan de Russ Meyer, John Waters, Paul Morrissey, et Pasolini. Ah aussi, le monument qu’est "Le Manuscrit trouvé à Saragosse" de Wojcieh Has. Et j’en oublie énormément. Mais, ceux que j’estime être les plus grands réalisateurs sont John Boorman et Ken Russel. Et le plus grand de tous, en tout cas celui qui me sert de modèle, est Werner Herzog. Sa manière de filmer, et surtout ses tournages incroyables me fascinent. "Aguirre" et "Nosferatu, fantôme de la nuit" me transcendent littéralement.
Le plus grand film de tous les temps est, pour moi, "Excalibur" de John Boorman, car le plus complet au niveau symbolisme. Viennent juste après "Les Diables" de Ken Russel, et "The Lovers" de Tsui Hark.
Quant au film qui m’a le plus marqué en 2004, incontestablement, "Cœur de verre" de Werner Herzog, que j’ai vu en DVD. A tel point, que je ne m’en suis pas encore remis !

Gregore : Merci d’avoir répondu à nos questions et bon courage pour tes projets, on espère voir un jour le long métrage d’après "Maximiliani ultima nox" !