Perles Noires
Genre: Fantastique , Recueils de nouvelles
Année: 2006
Pays d'origine: France
Editeur: Nuit d'Avril
Auteur: Adam Possamaï
 

Décidément, je n'en finirais jamais de remercier la maison d'édition Nuit d'Avril, qui de romans en romans, de publications en publications, n'a de cesse de m'enchanter, de me faire découvrir à chaque fois de nouvelles plumes, de nouveaux auteurs toujours plus brillants les uns que les autres.
Voici donc Perles Noires d'Adam Possamaï. Sur la couleur, je ne peux qu'être d'accord, car il est sombre ce recueil de nouvelles, violent, percutant et vraiment très intéressant. Mais perles ! Non ! Il s'agit de douze petits joyaux, des pépites, car Adam Possamaï maîtrise vraiment l'art de la nouvelle, avec des structures parfois complexes mais toujours compréhensibles (je pense par exemple à la deuxième nouvelle ici présente, Antarctique) et ses chutes toujours travaillées, surprenantes et inattendues.
Ces douze joyaux donc, constituent le travail de l'auteur s'étendant sur ces dix dernières années. Ce qu'il faut tout de suite dire, c'est que ses écrits sont variés et l'on se demande même où Adam Possamaï va chercher toutes ses idées. On trouve ici des vampires, des tueurs en séries, des relectures de la mythologie grecque ou biblique et dans tous les styles, du fantastique pur et dur, à l'horreur macabre comme dans Cuisse de sanglier, sauce genièvre, qui nous raconte l'histoire d'un étrange cannibale, nouvelle forte, choquante même. Mais l'auteur ne s'arrête pas là puisqu'il se permet même de mélanger SF, horreur et fantastique, sur fond d'Eros et Thanatos dans la nouvelle Echo.
Voilà un recueil de nouvelles où chaque page est un vrai monde construit, un monde violent qui est aussi le nôtre, où chaque page est démonstration de talent, force de l'écriture et plaisir de lecture.

Le style d'Adam Possamaï n'est pas si simple au premier abord, le langage de l'auteur est rude, parfois cru, mais sans vulgarité, chaque mot pèse dans la balance et déverse devant les yeux du lecteur le danger et la saleté du quotidien. Car les personnages ne sont pas des gentils, et l'auteur évite avec habileté le travers du manichéisme et du consensuel. On ne les aime pas ces personnages, ils sont pédophiles, tueurs à gage ou dangereux criminels, misanthropes ou bien encore personnification de la mort, celle la même qui viendra nous saisir un jour.
Autant le dire, l'écriture d'Adam Possamaï est dure et cela même quand elle se permet l'humour le plus habile. La nouvelle qui clôt ce recueil est tout à fait révélatrice de ce qu'est "le style Possamaï" : imaginez un tueur à gage, un type qui gagne des millions en tuant, et qui un jour reçoit une commande du diable. Tuer dieu, et par la même son frère jumeaux, c'est-à -dire Satan lui-même. Alors bien sur on rit de voir un Adam rejeté du paradis et fumeur invétéré de marijuana. On rit de voir Dieu, genre pochtron, créature un peu beauf sur les bords mais qui est aussi l'oeuvre de l'homme, sa création. L'homme a inventé dieu et il l'a fait à son image, sale, préférant une vie facile, un peu fainéant etc. Voilà une vision de l'humanité et de ses mythes sombre, cradingue, drôle mais en même temps si vraie. La langue d'Adam Possamaï ne fait pas de cadeau à l'humanité, ne fait pas de cadeau à la crasse ambiante. Une fois Dieu et Diable tués, il y aura toujours un homme pour les remplacer, se faire tyran ou dictateur, un homme qui ne vaut pas mieux que les autres hommes.
Voilà l'auteur qui, simplement et de façon tout à fait intelligible, s'en va démonter une grande partie de la philosophie de Nietzsche, démontant allégrement à coup d'humour et de fantastique, l'adage du philosophe : "Dieu est mort !" Dieu ne meurt pas, à moins que l'humanité entière ne se suicide. Voilà , vous avez un peu pénétré le monde d'Adam Possamaï. Personne n'est épargné et si les histoires qu'il nous raconte se lisent facilement, si elles fascinent ou si elles font sourire, je dirais pour ma part qu'elles font froid dans le dos et qu'il s'agit d'un véritable Tabula rasa (c'est le titre d'une nouvelle aussi !) auquel se livre l'auteur, une sorte de fantastique nihiliste et sacrément agréable à lire malgré tout.
Autre nouvelle fascinante, située entre Orange Mécanique et Nikita de Luc Besson, A boire où comment un clochard peu devenir une machine à tuer, comment un afflux d'images, de sons et un conditionnement psychique peu transformer un homme. Je ne m'aventurerais pas ici à expliciter les propos de l'auteur qui, je tiens tout de même à le rappeler, est sociologue à la base, c'est-à -dire qu'il a dû en observer des faits et des situations. En tout cas, à le lire, le monde va mal et on peut en rire et même on peu s'en amuser. Voilà un recueil de nouvelles génialement pervers, avec un style absolument génial, pas le genre déjà vu, une écriture sans compromis.
Dans les nouvelles, il est souvent question d'art, de peinture puisque l'on y croise Bosch, Bruegel, Goya mais aussi de musique, tel que La jeune fille et la mort de Schubert , Madame Butterfly de Puccini ou les gymnopédies de Satie. Mais l'art ne sauve pas, il accompagne : il accompagne le cannibale, il accompagne la mort elle-même. Il y a comme un goût de décadence dans les écrits de Possamaï, un air que l'on a entendu chez Huysmans ou Lorrain. Et c'est bon de le réentendre à nouveau, "version an 2000" même si l'auteur reste lui-même et qu'il su créer son propre style.
Le verbe de Possamaï, c'est le verbe de la vengeance. Une des nouvelles qui m'a le plus marqué : Alice aux pays des sèches. Non, ne croyez pas forcement qu'il s'agisse là d'une simple relecture d'Alice au pays des merveilles, le cerveau d'Adam Possamaï est bien plus pervers que ça. Non, Alice rencontre bien un lapin blanc qui fume des clopes mais c'est pour l'aider à ce venger de ce sale type (le mot est faible) qui a pour passion les petites filles (remarquez que Lewis Caroll n'est quand même vraiment pas loin). Alors avec une sorte de poupée Vaudou, ils vont maltraiter le pédophile, obscène et dégueulasse personnage. Et, fait étrange pour un lecteur même dégoûté par ce genre de personnage, on prend du plaisir à le voir se faire torturer et en plus de quelle façon ! Car avec cette poupée Vaudou, Alice a le total contrôle sur le corps du monsieur.
Alors bien sûr, quand il se met comme ça sans raison à avoir une érection puis à éjaculer, ça va, il est content, mais quand ça dure des jours entiers, que son sexe à mal, très mal et qu'il n'en peut plus d'être masturbé à distance, il sombre dans la folie et il oublie ses revues porno-pédophiliques. Voilà le génie d'Adam Possamaï, c'est d'utiliser le fantastique, pour interroger et même mieux que ça fusiller d'un regard qui en dit long sur les pensées de l'auteur, la société entière, tout comme dans la nouvelle J'ai couché avec la mort où l'auteur règle ses comptes avec les violeurs et les malades de tout genre. Et comme je n'ai pas le même talent que celui de Monsieur Possamaï, je vous conseille de ne pas vous arrêter à ma chronique mais d'aller absolument lire ces douzes nouvelles qui sont violentes mais jamais obscènes qui sont dures mais parfois tellement réalistes malgré des situations que personne avant lui n'avait imaginé, des vampires en Alaska par exemple.
Ce recueil de nouvelles est vraiment très bon, dès le début vous êtes entraînés par un style, un univers et vous dévorez ce livre et vous y revenez et vous prenez peur. Mais n'est-ce pas là un peu le but du fantastique et de l'horreur en général ?
Un petit bijou noir, un talent immense, d'une intelligence et d'un cynisme implacable.

Note : 9/10

Le Cimmerien

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