Superstition
Genre: Fantômes , Fantastique
Année: 2000
Pays d'origine: Angleterre
Editeur: J'ai Lu
Collection: Millénaire
Auteur: David Ambrose
Traducteur:
Jean-Pierre Roblain
 

Inventer un fantôme, afin de démontrer la supériorité de l'esprit sur la matière ? C'est l'expérience à laquelle se livrent Sam Towne, docteur en parapsychologie de l'Université de Manhattan, et son amie, la jeune et séduisante Joanna Cross, qui n'aime rien tant qu'à démystifier les charlatans. En compagnie d'une équipe de volontaires, ils créent de toutes pièces Adam Wyatt, héros américain de la guerre d'Indépendance, compagnon de la Fayette et époux d'une des favorites de la reine Marie-Antoinette ; bref un personnage historique plus vrai que nature avec lequel ils parviennent de surcroît à entrer en communication. Hélas, ils réussisent si bien leur affaire qu'il va désormais leur falloir trouver un moyen d'éliminer le spectre dont la présence devient vite insupportable...

 

Ce qui frappe d'emblée dans ce roman - et qui m'a incité à le lire - est son postulat de départ original qui se distingue agréablement des sempiternelles ghost story classiques. Cette idée d'un fantôme qui ne serait pas une manifestation de l'au-delà mais une pure création sortie de la psyché d'humains bien vivants titillait mon intérêt car elle rejoint un de mes sujets de prédilection dans le domaine SF : la perception du réel. Qu'un roman fantastique puisse s'attaquer lui-aussi à ce thème éminemment conceptuel est assez rare pour être noté.

Illustrant la citation de Baudelaire selon laquelle "ce qui est créer par l'esprit est plus vivant que la matière" (ou du moins tout autant dans ce cas-ci), David Ambrose propose donc une histoire fascinante où un personnage fictif, fruit des fantasmes des participants à l'expérience, se met à acquérir une réalité de plus en plus tangible : sa présence devient peu à peu envahissante, son nom apparait subitement dans les livres d'histoires de même que sa tombe, et il parvient même à se créer un descendant ! Confrontés à une expérience qui leur échappe, les vivants les plus réfractaires ne tardent pas à se faire éliminer par cette créature qui exprime haut et fort son droit à la vie et à une réalité pleinement objective, alors qu'il n'est pourtant que la somme de plusieurs subjectivités. Mais n'est-ce pas là , au fond, une définition possible du consensus objectif dans lequel nous vivons quotidiennement ?

Que l'on ne s'imagine pas pour autant que Superstition est un ouvrage abstrait et intellectualisant car sa fonction première reste avant tout de divertir. Ainsi, bien que son rythme soit relativement lent, il sait enchainer les situations imprévues et inquiétantes qui parviennent à relancer constamment l'intérêt, jusqu'à un dénouement qui ne déçoit pas.

De ce point de vue, le roman a un peu les défauts de ses qualités car, malgré un sujet aux perspectives aussi vertigineuses, on pourrait reprocher à Ambrose de ne pas développer tout son potentiel et se contenter d'un roman à suspense bien ficelé, très bien construit et manifestement destiné à un large public. On peut imaginer ce qu'un tel sujet donnerait sous la plume d'un Christopher Priest, par exemple. Mais l'aspect "divertissement" n'est certainement pas une tare en soi et permet une lecture fort agréable.


L'autre réserve que je ferais est, par contre, plus problématique, même si elle parait en contradiction avec tout ce que je viens de dire. C'est que ce roman semble marqué par le paradoxe (tout comme ma chronique !) - c'est le mot qui m'est venu plusieurs fois à l'esprit pendant ma lecture. En effet, cette idée d'un spectre conçu par l'esprit, si elle est originale et riche en potentialités, parait pourtant encore plus fantastique (donc invraisemblable) qu'une bonne vieille histoire de fantôme classique. Autant nous sommes habitués à ces histoires d'outre-tombe et à leur message implicite (la mort n'est pas une fin, CQFD) qui ont l'avantage de ne demander aucune explication, autant cette perspective d'une créature issue de la psyché de personnes vivantes parait justement moins... crédible et nécessite donc de la part de l'auteur - par le biais de son personnage de Sam Towne - tout un discours explicatif et sois-disant scientifique un peu pesant pour crédibiliser son propos (la première partie du roman pourrait en décourager certains) et les évènements qui vont suivre.

C'est le prix à payer quand on veut s'éloigner des chemins balisés du fantastique pour proposer une approche inédite qui demande au lecteur une "suspension temporaire de l'incrédulité" (dixit Tzvetan Todorov) encore plus importante que d'habitude. Et, de la part d'un roman qui se voudrait "rationnel", ce n'est pas là le moindre des paradoxes.


Note: 7,5/10

Ragle Gumm

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