Et si c'était niais ?
Genre: Thriller-Polar , Autres genres , Humour
Année: 2007
Pays d'origine: France
Editeur: Le Livre de Poche
Auteur: Pascal Fioretti
 

Il est toujours facile de démolir dans des critiques certains écrivains au succès inversement proportionnel à leur talent, insupportablement poseurs ou simplement agaçants par leur omniprésence médiatique.

Mais Pascal Fioretto, lui, a trouvé un moyen à la fois plus efficace, plus drôle et plus inspiré : le pastiche. Quoi de plus futé, en effet, que d'épingler les petits (ou grands) travers de ces auteurs en leur renvoyant leur propre prose ?

Rappelons que Fioretto a déjà commis une parodie du Da Vinci Code (Gay Vinci Code) que je n'ai malheureusement pas lu mais dont Albert Algoud a vanté la drôlerie et la qualité d'écriture (deux qualités par ailleurs absentes chez son modèle).

"Et si c'était niais ?" tient à la fois du pastiche mais aussi de la parodie (voir parfois du jeu de massacre) car un pastiche (texte écrit à la manière de...) ne dois pas forcément déclencher l'hilarité. Il peut même être le signe d'admiration et de respect envers l'auteur pastiché, ce qui n'est certainement pas le cas ici. Pascal Fioretto se livre, plus goguenard que méchant toutefois, à un règlement de compte qui est aussi une belle partie de rigolade.

L'auteur a modifié légèrement les noms mais ceux inventés pour l'occasion sont transparents.

Petite précision : cet ouvrage peut se lire comme un recueil de nouvelles mais reste pourtant bien un roman, à voix multiples, tous les textes étant liés entre eux par un fil conducteur (un prétexte ?) aux allures de polar : un homme mystérieux menace et kidnappe un à un les auteurs mentionnés. (Gageons que ses intentions sont louables, si ce n'est devant la morale ou la loi, en tout cas pour la littérature). L'enquête est confiée au commissaire Adam Seberg, parodie du personnage d'Adamsberg de Fred Vargas mais accommodé aux différentes sauces des auteurs pastichés dans chacun des textes.

Ce choix de la construction entre nouvelles et roman m'a beaucoup plu car il donne ainsi l'occasion de relire certains textes qui restent parfaitement compréhensibles même hors du contexte du roman. Et permet, en outre, de grignoter le livre sans se presser et sans la crainte de perdre le fil d'une intrigue finalement assez mince pour ne pas être oubliée. Car l'essentiel est ailleurs : dans les pastiches proprement dits, brillamment taillés au scalpel.

Seconde précision importante : comme l'indique la quatrième de couverture, il n'est pas nécessaire d'avoir lu les auteurs cités pour apprécier les textes (heureusement, d'ailleurs), même si connaître leurs écrits permet bien sûr de savourer davantage les clins d'oeil de Fioretti.


Le texte qui ouvre le livre, 'Barbès Vertigo' de Denis-Henry Lévy, est aussi le plus drôle et mérite bien un paragraphe assez développé. Imaginez un DHL, toujours prompt à dénoncer la barrrrbarie de sa prose échevelée, poitrine en avant (mais dans le confort d'une chambre d'hôtel du George V), qui décide de franchir un pas supplémentaire dans son engagement de philosophe tout-terrain en franchissant... la Seine et s'aventurant dans les contrées inconnues et inhospitalières de la Rive Droite (bigre !) et plus particulièrement dans le quartier Barbès. L'ultime frontière en quelque sorte... "Transgression radicale, dépassement absolu. Balbutiements des temps nouveaux, contractures spasmodiques du destin" (dixit DHL).

Traduction : DHL se rend en taxi jusqu'à Barbès, loue une chambre d'hôtel miteuse et se la joue "ouverture d'Apocalypse Now" (ah, la moiteur, le mouvement obsédant du ventilateur, le miroir piqueté de crasse qui vous renvoie votre reflet hagard. Mais qu'importe : le philosophe se doit d'étreindre la vérité jusqu'au sang).

Mais la partie la plus hilarante reste les discussions du philosophe avec la gérante de l'hôtel, une grosse femme au pragmatisme bien populo : le malentendu entre ces deux-là est total. Mais qu'importe, là encore : DHL est magnanime. Il sera le porte-parole des opprimés malgré eux, même si ces pauvres hères sans éducation ignorent tout de l'âpreté de son combat. Tant mieux : il n'en est que plus méritoire!

BHL a souvent été la cible des humoristes mais je mettrai ce texte au-dessus de tous les autres. Indispensable !

Avec 'Pourquoi moi ?' (Christine Anxiot), l'auteur s'attaque évidemment à la redoutable Angeot. Fioretto parvient, en quelques pages, à cerner parfaitement le "tout à l'égo" névrotique de l'auteur dont les "romans" font plutôt penser au journal intime d'une adolescente en crise : égocentrisme puéril, contenu inexistant (si ce n'est un chapelet de banalités quotidiennes : de la visite à la laverie automatique au nombre de rouleaux de papier WC utilisés sur le mois), obsessions douteuses (ses problèmes gastro-intestinaux) et bien sûr un style exsangue fait de petites phrases banales / bancales, comparables à de petits hoquets que l'auteur singe à merveille.

Un pastiche éloquent, qui n'a qu'un seul défaut : j'ai été incapable d'en rire, tant l'agacement l'emporte cette fois sur le second degré. Ce qui prouve, d'ailleurs, que Fioretto a parfaitement réussi son imitation.

''Tais-toi quand tu veux parler" pastiche les romans de Fred Vargas en introduisant le personnage d'Adam Seberg, copie parodique du personnage fétiche de l'écrivaine : le commissaire Adamsberg. Fioretti se montre moins mordant envers elle (tant mieux : c'est la seule que j'apprécie dans la liste), se moquant gentiment du personnage d'Adamsberg, un peu trop caricaturale dans le genre "limier hyper intuitif à la mine débraillée et anticonformiste, donc forcément d'une grande profondeur psychologique.

"Et si c'était niais ?" de Marc Lévis est un pastiche savoureux qui, comme son titre le suggère, prend surtout pour cible le premier roman publié de l'auteur préféré des midinettes : sa prose anémique, avec ses formules creuses pseudo-philosophiques ("Quand le passé nous tourne le dos, il est parfois difficile de le regarder en face"[sic !]), les redondances, l'emploi abusif des même mots (on ne compte plus le nombre de verbe comme "se lover" ou d'adverbe tel que "infiniment") ou d'expressions (les "sourires fugitifs" et autres "lueur d'humour dans l'oeil"), le cataloguage lassant de noms propres, etc... et bien sûr cette mièvrerie qui vous donne l'impression de vous débattre dans une cuve de guimauve. Amusant et atterrant à la fois.

"Hygiène du tube (et tout le tremblement)" de Mélanie Notlong. Au menu : obsession de la nourriture (de préférence avariée) et ses conséquences de nature "philosophique", utilisation comique d'un vocabulaire improbable qui ressemble davantage aux étiquettes d'une pharmacopée qu'à la langue française : catachrèse, hypallage, méta sémème, antonomase, hypéronymie et synecdoque.

Cerise (déconfite) sur le gâteau (périmé) : Mélanie Notlong elle-même, petite silhouette en kimono plongée dans la pénombre qui reçoit le commissaire Seberg pour une discussion à katanas rompus de haute volée... lexicale.

Pour l'hygiène de vos zygomatiques...

Cible suivante : le misanthrope à paillettes, autrement dit Pascal Servan. "Ils ont touché à mes glaïeuls (Journal tome XXII)" pastiche la logorrhée monotone et égocentrique du présentateur en "semi-retraite", un homme bien sympathique qui gagne à être connu : arrogant, méprisant, cynique, raciste, réactionnaire, adepte des châtiments corporels et de la stérilisation des pauvres, et j'en oublie. Sévère mais juste, quoi ! Nous suivons son petit quotidien d'homme aigri, entre sa vie dans la petite localité de Mornemolle (où il use sans réserve de ses relations pour imposer ses goûts en matière... hum... d'esthétique urbaine) et ses passages à Paris où il console ce petit roquet de Pierre-Olivier F. du mauvais taux d'audience de ses émissions. Mais Servan peut se montrer magnanime : s'il doit recevoir le prix Nobel de Littérature (ce qui ne devrait tarder vu la haute tenue de sa prose, tant dans le style que sur le fond : dixit l'intéressé), il accepte toutefois que Milan Kundera le reçoive avant lui.

"Des fourmis et des anges" de Bernard Werbeux intéressera particulièrement les amateurs d'écrivains de l'imaginaire que nous sommes, même si Fioretti n'est pas tendre avec le style de l'auteur, dont il exagère les faiblesses et les répétitions jusqu'à en faire le texte le plus mal fichu du recueil. L'histoire, elle, est dans la pure tradition werberienne : bigger than (after) life ! Après que Clara, la femme du commissaire Seberg ait été victime d'un accident de la route qui lui laisse toutefois encore la force d'évoquer la fourmi rousse Formica Polyctena, Seberg décide d'aller la récupérer au royaume des morts grâce à l'aide d'un professeur qui a mis au point un procédé de réincarnation quantique avec le concours des frères Bogdanoff. Mais il ne sera pas aisé de retrouver Clara dans le foutoir bureaucratique du bureau céleste des admissions. Poilant.

"C'était rudement bath'" de Jean d'Ormissemon. L'écrivain de l'Académie française (et grand habitué des plateaux télé) tel qu'en lui-même : l'érudit intarrissable qui assomme son interlocuteur (dans ce cas-ci, Seberg) d'une avalanche de références littéraires et de considérations sur le Temps qui passe, qui fuit, qui ne se rattrape jamais, etc...etc... Le penseur autocomplaisant qui a une opinion sur tout et adore s'entendre parler.

Du fait, ce texte est principalement construit comme un dialogue entre l'assomoir fait homme et Seberg... ou plus exactement un monologue du premier, dans les interstices duquel essaient de se glisser les questions du commissaire.

On dit de certains suspects, dans le métier, qu'ils se "mettent à table". Jean d'Ormissemon, lui, n'en laisse pas une miette.


Les trois dernières (sur lesquels je ne fais que passer, à la fois par gain de place et parce qu'elles m'ont un peu moins marqué) pastichent Jean-Christophe Grangé, Frédéric Beigbeder et Anna Gavalda. Le premier, Les limbes pourpres du concile des loups, insiste sur le style "à l'américaine" de l'auteur et son emploi abusif des termes et expressions anglo-saxonnes. Le second, 64 pour cent, pastiche la prose branchée, les phrases qui ressemblent à des slogans et, comme l'indique le titre, le goût des chiffres. Enfin le dernier texte, Quelqu'un m'attend c'est tout clôt de manière plus sage et plus classique le recueil. Ne connaissant pas du tout (sinon de nom) les romans d'Anna Gavalda, je préfère en rester là en ce qui la concerne.

Pour la plupart des "victimes" en tout cas, étant donné que je ne les apprécie guère (certains m'inspirant même une vraie antipathie), je n'ai eu aucune mauvaise conscience à me sentir complice de leur "assassin".

J'en redemanderais même : à quand un second volume ?

 

Note : 9/10

 

 Ragle Gumm

 

A propos de ce livre :

 

-  Site de l'éditeur : http://www.livredepoche.com/

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