A Travers le miroir
Titre original: Through the Looking-Glass, and What Alice Found There
Genre: Livres Illustrés , Classiques
Année: 2011
Pays d'origine: Angleterre
Editeur: Soleil
Collection: Métamorphose
Auteur: Lewis Carroll
Traducteur:
Jacques Papy
Illustrateur: Lostfish
 

A travers le miroir est le deuxième ouvrage issu de la collection Métamorphose de chez Soleil qui me soit passé entre les mains, avec toujours autant de plaisir. Il faut dire que, si je ne suis pas fan de tous les choix éditoriaux de l'éditeur, il a eu le nez fin en confiant cette collection à l'excellente Barbara Canepa ("SkyDoll", entre autres), qui sait à merveille trouver les jeunes talents d'aujourd'hui pour illustrer avec une parfaite osmose les grands classiques d'hier. C'était à mon sens, déjà le cas pour les "Contes macabres" de Poe illustrés par B. Lacombe ; ici le mélange Carroll / Lostfish fait à nouveau tellement mouche que s'en est presque naturel.

 

 

Carroll d'abord. Inutile de présenter cette icône de la fantasmagorie qui jeta un jour un énorme pavé dans la mare de l'imaginaire intitulé "Alice au Pays des Merveilles", œuvre "idolique" qui inspire encore aujourd'hui nombre d'artistes et de lecteurs. Avec " A travers le miroir" (habituellement traduit par "de l'autre côté du miroir"), l'auteur fait rempiler Alice dans une série d'aventures à travers un univers onirique et déroutant, souvent qualifié de suite alors qu'aucune référence n'est faite à l'œuvre première. On peut tout aussi bien le voir comme une aventure alternative à la première tant elle fonctionne sur le même scénario : Alice, petit fille solitaire et rêveuse, vit un moment de sa vie quotidienne lorsqu'elle est amenée à passer la frontière d'un univers imaginaire dont elle est d'abord une spectatrice spontanée et naïve avant d'en devenir actrice et de le bouleverser. On finit sur une note mystérieuse qui suggère que tout ceci n'était qu'un rêve.... ou pas.

Du coup, pas trop de risques : si on a aimé "Alice...", il y a de fortes chances que l'on aime "A travers le miroir". Et on l'aimera car si l'on est toujours en terrain connu, le système d'écriture de Carroll et l'univers qui en résulte arrive toujours à nous balader, à nous dérouter et à nous fasciner. Dans sa forme le texte se lit presque au rythme d'une comptine d'enfant, avec une simplicité propre à une enfant de 7 ans (ce qui en fait d'ailleurs un parfait livre pour enfant). Mais en tant qu'adulte, on reste fasciné par le fond du texte. Qui de mieux qu'un mathématicien et logisticien pouvait à se point repousser les frontières de l'imaginaire ? Là où la plupart des écrivains ne font que broder autour des règles établies à l'aide d'une inspiration faite de références passées, Carroll bouleverse les codes en maitrisant comme personne la source de la différence entre rêve et réalité : la logique. On retrouve cette dichotomie dans la structure même du texte car les aventures farfelues d'Alice à travers le miroir sont basées sur le modèle d'une stricte partie d'échecs : le jeu par excellence ou le hasard et la fantaisie n'interviennent pas, où tout n'est que calcul et stratégie. Et la magie de l'écriture de Carroll réside ici : cette capacité de jouer avec la logique et le sens commun pour le tordre, le creuser et nous le renvoyer comme étant la déformation d'une réalité qui nous échappe, pour retomber toujours sur ses pieds. Comme Alice on se laisse dérouter par cet univers onirique imprévisible qui pourtant arrive à nous faire accepter sa logique propre comme allant de soi. A ce jeu, Carroll s'appuie beaucoup sur le langage : les expressions courantes, et les calembours et autres jeux de mots. "A travers le miroir" est d'ailleurs ce type de texte que l'on préfèrera lire en anglais quand c'est possible car, malgré la qualité de la traduction française ici choisie, on est forcés de faire d'incessants allers-retours avec les notes de fin de livre pour avoir les références originelles afin de savourer la maitrise et les jeux de langage de l'auteur.

 

Pour nous guider dans l'univers d'Alice, on a confié le pinceau à l'excellente Lostfish. Évidemment le style personnel et affirmé de l'artiste fait que l'on échappe pas à la question du goût de chacun : on aime ou pas. Mais quand on aime, je trouve que les poupées délicates et sanguines faites de froide porcelaine et de et chaude chair, ses univers enfantins aux détails perturbants (les grands yeux rouges injectés de sang que l'on retrouve sur plein d'objets, les tentacules qui sortent des cheveux de la reine blanche, les têtes de bébés et les mains qui se baladent, les doigts, les décors, les arbres sans cesse tortueux et décharnés), ses illustrations pour enfants qui percutent un style gothique et victorien, offre un univers visuel qui colle parfaitement à celui de Carroll. Le noir et le rose bonbon, comme cette Alice de couverture en petite robe rose pastel et aux cheveux noir de geais, dont les lèvres trop sensuelles et la pose féline contrastent avec les yeux naïfs et implorants et qui s'avance vers nous comme si NOUS étions déjà de l'autre côté de ce miroir magique ou qu'elle en revenait juste pour nous emmener avec elle.

Toute la base du livre est parfaitement blanche, ce qui fait ressortir les couleurs des illustrations, d'autant plus fortes et symboliques qu'elles sont peu nombreuses (on oscille principalement entre le noir/gris/blanc, le rose et le rouge carmin).

Quant à la qualité technique, Lostfish a ses propres règles de perspective et de proportions mais elles les maitrise parfaitement et tout fonctionne sans heurts, la technique on l'oublie pour plonger dans l'image. Pour moi le mot qui ressort de toutes ces images est "justesse". De plus, le livre est abondamment illustré, aussi si l'on aime, on en a "pour son argent".

La collection Métamorphose ne fait pas que joindre un excellent auteur et un excellent illustrateur, Barbara Canepa sait choisir ce qui créera une symbiose totale entre les 2 malgré le décalage des époques, et c'est je trouve le plus de cette collection. La preuve que les auteurs d'hier (en tous cas les meilleurs) sont toujours aussi délectables aujourd'hui et que les jeunes pinceaux français en ont assez sous la semelle pour tenir la route face à ces monstres sacrés. Plein de bonnes raisons pour succomber à cet ouvrage qui ne saurait laisser le lecteur indifférent.

 

Note : 8,5/10

 

Hëlëne

 

A propos de ce livres :

 

- Site de l'illustrateur : http://lostfish.free.fr/

- Site de l'éditeur : http://soleilprod.com/

Vote:
 
8.00/10 ( 1 Vote )
Clics: 6188
0
Écrire un commentaire pour ce livre Écrire un commentaire pour ce livre
Les utilisateurs non-enregistrés ne peuvent pas poster des commentaires. Veuillez vous connecter en cliquant sur LOGIN...
En librairie En librairie...
Scribuscules Scribuscules
Revoici Jacques Fuentealba dans un genre qu'il apprécie tout particulièrement, celui des micronouvelles et cette fois dans un style qui n'est oas sans rappell...
Trône de fer(le) T13 : Le bucher d'un roi Trône de fer(le) T13 : Le bucher d'un roi
  Le très attendu treizième tome du "Trône de fer" vient de sortir en français. Bien entendu la fan que je suis, s'est jetée sur le roman dès sa sortie ...
Vampyre de New York, Le Vampyre de New York, Le
Le Vampyre de New York aurait pu être un roman noir, si ses protagonistes n'étaient pas déjà morts. En effet, notre héros, Joe Pitt, est détective, mais ...

Autres films Achat en ligne
Autres films Au hasard...