Comtesse Perverse, La
Genre: Erotique
Année: 1973
Pays d'origine: France
Réalisateur: Jess Franco
Casting:
Alice Arno, Howard Vernon, Lina Romay, Robert Woods, Tania Busselier, Caroline Rivière, Kali Hansa...
Aka: Les Croqueuses / La Comtesse Zaroff / Un Caldo Corpo di Femina
 

Rador et Ivana Zaroff (Howard Vernon et Alice Arno) habitent dans une vaste et étrange demeure, à l'architecture complexe, et nichée en haut d'une falaise. Ce sont les uniques occupants d'une île dont ils sont propriétaires, située au large des côtes méditerranéennes. Le Comte et la Comtesse Zaroff forment un couple uni pour le meilleur, et surtout pour le pire. En effet, la folie, le vice, le meurtre et le cannibalisme font partie intégrante de leur quotidien. Leur jeu favori consiste à faire venir dans leur domaine des jeunes femmes à la fois jolies et pas trop malines, afin de les séduire dans un premier temps, d'en abuser sexuellement, et de les traquer au cours d'un jeu très spécial. La chasse consiste à mettre la "proie" en liberté, entièrement nue, au lever du soleil. Dix minutes plus tard, Ivana, nue également, mais munie d'un arc et de flèches, se lance à la poursuite de la victime, qu'elle doit débusquer et abattre avant que les cloches du village avoisinant sonnent à neuf heures du matin. Bien entendu, Ivana est une chasseuse d'exception, et parvient toujours à abattre ce gibier particulier. Mais la perversité du couple ne s'arrête pas là. Une fois que la fille traquée a été abattue, celle-ci est coupée en morceaux par Rador, et les meilleures pièces de viande sont servies au cours d'un repas en compagnie de la prochaine victime, qui ignore bien évidemment qu'elle mange de la chair humaine, au grand amusement des Zaroff.
Rador et sa femme ne quittant jamais l'île, ils ont besoin de complices devant servir de rabatteurs et pourvoyeurs en jeunes femmes. Les complices en question, Tom et Moira (Robert Woods et Tania Busselier), vivent dans une maison en bord de mer, située face à l'île des Zaroff. Si Moira ne paraît pas avoir de scrupules, elle-même ne dédaignant pas participer aux jeux sexuels organisés par la Comtesse, Tom ne tire aucune fierté de ses activités criminelles, et ne le fait que par besoin d'argent. Doté d'un physique de play-boy, Tom n'a aucun mal à trouver le "gibier" tant convoité par les Zaroff. La dernière victime, Sylvia (Lina Romay), est prête à tomber dans le piège. Mais pour Tom, les choses se compliquent, car il commence à s'attacher à Sylvia. Pourra-t-il laisser cette fille entre les mains de ses commanditaires ?

 

 

1973 est une année particulièrement prolifique pour Jess Franco, qui travaille à l'époque pour Robert de Nesle, l'homme à la tête du Comptoir Français du Film. Avec de Nesle, le metteur en scène dispose de budgets encore plus étriqués qu'avec ses prédécesseurs. Et c'est avec lui que Franco va orienter de plus en plus ses films dans le domaine de la "sexploitation". L'érotisme étant ce qu'il y a de plus facile à réaliser avec un minimum d'argent, et le réalisateur étant de surcroît un érotomane averti, les oeuvres du cinéaste vont fortement dériver dans cette voie. Des dix films tournés par Jess Franco en 1973, seul "Night of the Assassins" n'est pas à connotation érotique. Parmi les neuf autres figure ce que l'on appelle la "trilogie amazone" du cinéaste, qui comprend "Les Amazones de la Luxure", "Maciste et les Gloutonnes" et La Comtesse Perverse.
Et de ces trois oeuvres, tournées à la suite en Espagne ou au Portugal, seule la dernière se déroule dans un cadre contemporain. La Comtesse Perverse est d'ailleurs le meilleur opus de cette trilogie, et un bon Franco en général. Evidemment inspiré du grand classique d'Ernest B. Schoedsack et Irving Pichel, réalisé en 1932, Jess Franco détourne l'oeuvre avec le savoir-faire qui est le sien. D'abord, repérer un lieu insolite, qui servira de cadre principal pour le tournage. Là, le cinéaste a trouvé cette étrange demeure, presque irréelle, située en haut d'une falaise, avec ces escaliers qui paraissent interminables donnant une saveur gothique à l'ensemble. Et puis, il s'est entouré de ses acteurs fétiches de l'époque, très inspirés pour la plupart. En tout premier lieu, Alice Arno campe une Comtesse Zaroff qui mérite parfaitement son titre de "perverse". Avec son visage aux allures félines, elle a tout d'une prédatrice impitoyable, alliant la beauté et la férocité avec un naturel qui force le respect. A ses côtés, Howard Vernon est également magistral, fou et sanguinaire. Il faut le voir découper le corps de Kali Hansa sous les yeux admiratifs de son épouse, et ceux révulsés de Lina Romay, témoin de la scène. Ce passage comporte quelques répliques qui font mouche, entre Alice Arno déclarant admirative devant le cadavre de la victime : "Les seins sont superbes, c'est mon morceau favori" Et Vernon de rajouter, le regard halluciné pointant en direction de Lina Romay : "Elle est sotte, mais elle sera certainement très juteuse !".
Evidemment, les autres rôles sont forcément plus en retrait, mais tirent néanmoins leur épingle du jeu. Lina Romay joue les nunuches à la perfection, à l'opposé de Tania Busselier, plus énigmatique, au charme trouble, et laissant libre cours à ses pulsions homosexuelles de manière très convaincante. Robert Woods a aussi un rôle plutôt étoffé dans le film, et il l'assume comme rarement dans d'autres films de Franco. On retiendra notamment le moment où Tom et Moira ont invité Sylvia dans leur villa, et commencent un jeu de séduction évoquant "Les Liaisons Dangereuses". Tom et Sylvia dansent tendrement sur la véranda, tandis que Moira s'est éclipsée dans la chambre, déshabillée et étendue sur le lit. Telle une sirène, elle attire Sylvia, la convie aux plaisirs de la chair. Sylvia rejoint Moira pour des préliminaires, tandis que Tom aspire nerveusement la fumée de sa cigarette, l'air visiblement soucieux. Puis, finalement, il se précipite dans la chambre. On pense alors qu'une scène de triolisme va survenir. Mais en fait non, il jette sa femme hors du lit, la traitant de gouine, et fait l'amour avec Sylvia. La dualité de Tom rabatteur, et Tom emporté par ses sentiments, est parfaitement retranscrite par Robert Woods. Ce conflit intérieur explosera un peu plus tard, au cours d'un dîner dans le repaire des Zaroff.

 

 

L'intérêt de La Comtesse Perverse, et sa réussite, tient au fait que Jess Franco a su jouer sur les deux tableaux : la psychologie et l'érotisme. L'union de ces deux ressorts conduit à une parfaite alchimie qui accentue le drame et la tragédie de l'histoire. Il faut ajouter que le cinéaste a eu la bonne idée de laisser de côté son amour pour le jazz, et sa complicité avec Daniel White, pour choisir la musique qui accompagnerait son film. Le résultat est tout simplement excellent, avec une partition très rock alternant le progressif et le psychédélique. Dans la poursuite finale opposant Ivana et Sylvia, les guitares saturées se succèdent au martèlement frénétique des bongos, si bien que La Comtesse Perverse prend des allures de serial et de film de jungle.
Notons toutefois que le rythme est ralenti en plusieurs occasions par des scènes érotiques additionnelles, pas franchement hard, mais un peu plus osées que les autres. Ces passages ont également pour effet de rendre le récit confus, puisqu'à un moment on voit Lina Romay se livrer à des jeux SM avec un couple ligoté par les bras (en l'occurrence Pierre Taylou et Monica Swinn, deux autres habitués du réalisateur, mais n'ayant aucun rapport avec le film). Là, il est évident que l'actrice ne joue plus son personnage de Sylvia. Tout comme Tania Busselier n'est plus Moira, dans une scène de saphisme avec la Comtesse Zaroff ayant pour cadre une salle de supplices, puisque dans le récit, Moira et Tom ne sont pas encore arrivés dans le domaine des Zaroff. Il y aussi une scène d'amour où un jeune homme se substitue à Howard Vernon pour "honorer" Alice Arno. Sans les scènes en question, le film durerait aux alentours de 80 minutes, au lieu des 95 minutes effectives. C'est quasiment la seule chose que je pourrais reprocher au film (pas l'érotisme, mais la façon dont il est amené), avec aussi le dernier rebondissement mis en place par Jess Franco, et qui atténue à mon goût la teneur dramatique du film. C'est un peu regrettable, car l'histoire aurait pu s'achever en beauté avec la dernière tirade de Rador, une fois la chasse terminée, et particulièrement iconoclaste.
Mais en dehors de ce constat, La Comtesse Perverse compte parmi les réussites de Franco, indéniablement, et où l'on retrouve deux concepts que le metteur en scène aura souvent développé dans ses oeuvres : le sexe et la mort.

 

 

Note : 7/10

 

Flint
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