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Princesse Rosebonbon Angela Aberdeen, 19 ans, stripteaseuse, prostituée, boulimique, dépressive et même sataniste à ses heures perdues, vit son ultime bad trip. Nous lui tenons la main durant son douloureux plongeon au coeur de ses obsessions morbides et des lambeaux confus du souvenir. Il ne faut pas se fier au titre passablement racoleur et à son pluriel douteux pour apprécier le film tel quel. Je ne saurai aussi que trop vous recommander d'éviter le site officiel et les entrevues ineptes et égocentriques de son réalisateur qui s'est attribué le doux sobriquet de Lucifer Valentine 666 (salut, moi c'est Binouse Noël 33). Il serait facile de préconcevoir le métrage et de se sentir floué par rapport à ses attentes au moment du visionnage. Non, Slaughtered Vomit Dolls n'est pas un film-choc misant tout sur le gore, même s'il renferme quelques morceaux graphiquement très violents. Non, SVD n'est pas un film "provoc'" sur le vomi et le fétichisme qui lui est rattaché, bien que quelques litres y soient régurgités. De ce fait, il n'est pas spécialement "vomit gore", quand bien même on assumerait que vomir un peu de faux sang suffirait à constituer un sous-genre en soi… Non, ce film n'est pas sataniste non plus, dans le sens où on ne nous assomme pas de pentacles, croix renversées, 666 et tout le folklore qui va avec ; les "convictions" de l'héroïne sont juste évoquées comme un autre élément obsessionnel de sa déchéance. Enfin, même s'il sort indéniablement du lot, il ne vient certainement pas changer la face du cinéma moderne ou lever le rideau sur une nouvelle dimension de l'expérimentation artistique. Le thème qu'aborde SVD est le dégoût de soi-même jusqu'à l'autodestruction. L'angle d'attaque est plutôt ambitieux et intéressant puisqu'il s'agit de pénétrer la psyché d'une âme perdue dans ses ultimes soubresauts erratiques. Il n'est néanmoins pas question de psychanalyse ou de symbolisme : loin de ces prétentions, le réalisateur s'acharne plutôt à reconstituer les pensées hallucinatoires telles quelles, dans leur confusion fébrile et avec une certaine complaisance. Tout ne tourne qu'autour d'elle, Angela. Rarement un personnage au cinéma a été tant épié, observé, parfois en très gros plans, sous tous les angles et surtout les pires. De ses confessions en filigrane de son délire où, entre autres, un maniaque mutile, dépèce et vomit sur ses victimes impuissantes, on apprend le sinistre parcours d'une jeune damnée. Le prêtre de sa petite ville lui a dérobé son innocence très jeune et elle a fui la honte, la peur et l'incompréhension loin de chez elle après avoir brûlé l'église en représailles. Arrivée en ville, c'est naturellement la rue qui attendait la petite fugueuse. On peut toujours tomber plus bas : montrer son cul puis le vendre, se haïr, se punir, se détruire. Strip-tease, prostitution, boulimie, dépression, satanisme. Ne manque à la liste que la dépendance qui n'est, à mon souvenir, pas directement évoquée mais semble aller de soi. Son bad trip paraît d'ailleurs bien épaulé par quelque substance psycho-active. Hormis quelques furtifs instants de lucidité où elle se débat dans son lit, Angela nage et se noie en plein délire désenchanté et macabre. Le vrai et le faux, les heures sombres de sa mémoire et les cauchemars, tout se mélange en une bouillie indigeste et nauséeuse. Des anonymes, probables rencontres fantasmées, traversent parfois un temps l'écran dans des scènes atroces. Rien n'est expliqué, tout se subit, tout n'est qu'obsession maladive. Trop de souffrance à l'intérieur pour réussir à la recracher. Overdose d'humiliation, de violence et de dégoût. Angela, à la fois juge ivre et bourreau d'elle-même s'administrera à demi-consciente la sentence capitale. L'opposition innocence / souillure éclate dans le final. Une petite fille à l'orée d'un bois rêve de glamour. Dix ans plus tard c'est une pute cabossée par la vie qui relâche son dernier soupir, seule, au fond de sa baignoire, victime de ses démons. Slaughtered Vomit Dolls est un tout petit film indépendant réalisé par un couple d'amateurs dans leur coin, entre la cave et les WC, et pourtant le résultat est assez surprenant. Un des atouts majeurs de la pellicule est Ameara Lavey qui s'est improvisée actrice pour l'occasion. On ne sait trop jusqu'à quel point il s'agit pour elle d'un rôle de composition ou d'une autobiographie, mais elle transperce littéralement l'écran. Tantôt jeune femme séduisante, tantôt pute valétudinaire érodée, il n'est pas une scène où elle manque de naturel. Son désespoir insondable prend le spectateur à la gorge et l'entraîne dans la chute. L'autre atout c'est la persévérance de ce Lucifer Valentine (peu importe le ridicule de son pseudonyme). Il s'est escrimé à rendre tangible le malaise du personnage à travers une réalisation déconstruite, urticante et fébrile. Ainsi il s'adonne à une surenchère d'effets en tous genres visant à malmener son public, de stroboscopie de visions violentes pour générer avec les moyens du bord un certain inconfort physique : plus que nous montrer son Angela, il souhaite nous la faire ressentir jusque dans nos chairs, nous faire rentrer dans son cerveau malade. La bande-son n'est pas en reste et donne évidemment dans le bruitiste. Cependant, malgré beaucoup de bonne volonté et peut-être par manque de maîtrise en la matière, Lulu n'a pas poussé le bouchon aussi loin dans cette dimension sensorielle. L'atmosphère sonore aurait gagné à être plus extrême pour seoir à son propos. Il n'en reste pas moins que le réalisateur a gardé un total contrôle de son oeuvre et à pu la triturer à sa guise pour tenter de la rendre aussi hostile qu'il le pouvait. Bien sûr la médaille de l'indépendance a son revers. Tout d'abord ces choix esthétiques sans compromis vont en laisser plus d'un sur le carreau. Mais est-ce une tare ? Valentine se revendique de Korine et on ne peut nier que sa narration déconstruite, limite autiste, brossant le portrait amer d'une marginale par de courtes tranches de vie, en est très inspirée. Or ce dernier n'est pas du goût de tous (m'en fout, il est du mien !). Ensuite c'est paradoxalement par les fameuses scènes de vomi grand-guignol que le filme pêche le plus. Le réalisateur, satisfait de ses trucages, insiste lourdement dessus pour faire grimper le dégoût et la nausée. Cependant certains, à l'instar du cerveau mâché et régurgité, sont bien médiocres et il ne récolte alors que la lassitude. Finalement, le film n'en aurait été que meilleur s'il n'avait pas tenté de pousser dans son "vomit gore". C'est une première oeuvre et, en tant que telle, elle manque certes de maturité. Néanmoins elle présente des qualités stupéfiantes de maîtrise et d'interprétation, et ne mérite certainement pas d'être taxée de torchon trashouilleux puéril. Encore faut-il savoir faire preuve d'abstraction quant à la campagne de communication très hasardeuse qui l'entoure et juger l'oeuvre en soi, non au travers des facéties verbales de son auteur (dans le but présumé d'en tirer quelque publicité gratuite) ou du filtre de ses propres attentes. Slaughtered Vomit Dolls est en définitive une première tentative encourageante et exigeante qui illustre avec une certaine justesse les méandres obscurs d'une âme souffrante et intoxiquée. Laissons à la vérité le temps de se décanter et au réalisateur celui de mûrir avant de proférer quelque condamnation hâtive.
Commentaire : Wed 01-04-09