Bigbonn Psycho-cop
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Posté le: Sam Juil 30, 2011 1:53 pm Sujet du message: [M] [Critique] Zatoïchi (18), le défi |
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Zatoïchi (18) – Le défi
Titre original : Zatoichi Hatashijo
Japon – 1968
Réalisateur : Kimiyoshi Yasuda
Casting : Shintaro Katsu, Yumiko Nogawa, Kayo Mikimoto, Kyosuke Machida, Takashi Shimura, Hosei Komatsu, Koichi Mizuhara.
Alors que Zatoïchi mange tranquillement sur le bord d’un chemin, deux individus mal intentionnés veulent rire à ses dépens en jetant de la terre sur sa boulette de riz. Mauvaise idée. Ichi, dont on se doute qu’il a entendu les deux zouaves et perçu leurs manigances, prend volontairement une bonne bouchée de riz souillé, fait force mimiques comiques de stupeur et de dégoût, puis recrache tout à la gueule des voyous. Enervés, ils sortent leurs sabres pour tuer celui qu’ils croient n’être qu’un pauvre aveugle sans défense et ils se font occire aussi sec par un Ichi sans pitié.
On le voit, dès le début du film, le ton est donné : le masseur aveugle ne fait pas de cadeau et il n’hésite pas à utiliser sa canne-épée pour faire bien plus que se défendre, pour se faire justice, voire pour se venger des offenses. On le savait déjà susceptible et peu enclin au pardon vis-à-vis de ceux qui moquaient sa cécité et l’insultaient, on comprend ici qu’il a définitivement passé un cap : celui du justicier solitaire au destin parsemé de rencontres sanglantes. C’est d’ailleurs ce que chante mélancoliquement Katsu, tandis que le personnage qu’il incarne chemine, canne en avant : « Je marche dans le soleil couchant, j’erre de pays en pays, et à tous ces pauvres types qui sont morts, je leur chante... une berceuse ! » (une marche funèbre, serait plus juste). Un petit air qui sera repris deux ou trois fois avec quelques variantes.
Cette fois-ci, Ichi arrive dans un village dominé par le parrain Matsugoro, un yakuza sans scrupules exploitant des ouvrières dans une filature textile où l’ordre règne à coups de bâtons. Il trouve gîte et repas chez un médecin sympathique et, comme lui, amateur de saké, le docteur Junan, qui soigne riches et pauvres de la même façon, sans être payé quand ses patients ne le peuvent pas. Le courant passe immédiatement entre les deux hommes, qui ont tous les deux un grand cœur et sont (presque) toujours du côté des plus faibles. Deux êtres assez bourrus mais qui aiment à s’alcooliser gentiment en devisant simplement. Ichi, qui compte toujours un peu ses sous, se dit néanmoins que ce n’est pas là qu’il gagnera beaucoup d’argent en prodiguant des massages et on sent rapidement que cette étape ne sera, une fois de plus, qu’une étape justement, quand on lui propose pourtant de s’installer et de prendre racine.
Le calme qui entoure ce passage d’Ichi chez Junan et sa fille ne sera, évidemment, que de courte durée. Les deux voyous du début faisaient partie d’une bande de bandits sans foi ni loi, baptisés « les fugitifs », et certains veulent les venger en mettant à mort le masseur aveugle. Cachés par le fourbe Matsugoro, ils doivent, en contrepartie, tuer ses concurrents pour lui permettre d’étendre un peu plus encore son emprise sur le village. Enfin, parmi les fugitifs se trouve un samouraï à l’air désabusé, Shizu, qui se révèle être le fils de Junan... Les lignes de vie de Zatoïchi, des fugitifs, de Matsugoro, de Junan et de sa fille, ainsi que celles de quelques ouvriers ou paysans se rejoignent et se croisent alors plusieurs fois, certaines s’interrompant brutalement, la plupart du temps tranchées net par le katana d’un brigand ou par celui d’Ichi.
Très bon opus de la saga, Le défi offre des adversaires en nombre à Zatoïchi, trop peut-être, manquant par là l’intensité du duel de l’épisode précédent : Route sanglante. Mais, s’il manque à Ichi un ennemi véritablement à sa mesure, la bande des fugitifs constitue quand même une belle brochette d’ordures capables du pire, comme de tuer parfaitement gratuitement une famille (séquence glaçante où l’épée tachée du sang de ses parents est approchée du visage d’un bébé, avant de se dresser dans un geste plus que menaçant). Et le personnage de Shizu, le fils de Junan passé dans la clandestinité et la délinquance, est un contrepoint solide à la toute-puissance d’Ichi. Shizu est suffisamment vif pour comprendre la puissance de l’aveugle et assez malin pour essayer de l’avoir par la ruse, ce qu’il parviendra presque à faire.
Le parrain local, Matsugoro, est, une fois encore, un être veule et lâche, impitoyable avec les faibles et servile avec les forts, ne reculant devant aucune traîtrise pour atteindre ses buts (s’enrichir, encore et encore) et exploitant sans vergogne des ouvrières exténuées par leur travail. Ne manquant pas de toupet, ce petit seigneur local doublé d’un grand menteur se réfèrera même au code des yakuzas pour faire des reproches à Ichi, alors que lui-même bafoue allègrement tous les principes et toutes les règles de la confrérie. Cette constante de la série nous offre une vision assez noire et désabusée d’un Japon encore féodal et très inégalitaire, mais le début d’industrialisation présenté avec la filature peut permettre d’étendre ce propos à une situation plus contemporaine. On pourra d’ailleurs remarquer que l’équilibre entre les exploités et leurs « maîtres » sera presque systématiquement rétabli à grands coups de sabre. Ichi, s’il n’est pas un prérévolutionnaire portant la bonne parole aux masses opprimées (il est trop individualiste et peu porté sur les discours pour cela), n’en est pas moins un redresseur de torts efficace et expéditif.
Réalisé par Kimiyoshi Yasuda qui, outre plusieurs films de la saga, est aussi le réalisateur de Majin, cet épisode de la légende du masseur aveugle offre une séquence particulièrement belle et forte, lorsque Zatoïchi, dans la pénombre d’une pièce mal éclairée, s’en prend à Oaki, seule femme de la bande des fugitifs, et lui coupe toute retraite d’une façon presque magique, comme s’il était doué du don d’ubiquité. A la lueur vacillante d’une bougie posée sur son sabre, il dépasse alors cette aura de vengeur inflexible qu’il s’est construite depuis le début du film pour atteindre un statut de rédempteur presque mystique. Ce passage magnifique est le meilleur moment d’un film qui en offre quelques autres presque aussi bons, comme celui où, blessé et sanguinolent, un Ichi donné pour mort surgit de l’obscurité en tenant des propos glaçants à ses adversaires : « Je suis revenu de l’au-delà. Le dieu des enfers m’envoie vous chercher. Il a hâte de vous voir. »
Si la noirceur est la tonalité générale qui règne sur Le défi, en particulier lorsqu’il approche de son dénouement, tragique et poignant, les petites touches colorées des scènes se déroulant dans des paysages fleuris sont autant de respirations pour le héros et ses spectateurs, des occasions de reprendre son souffle avant de replonger dans la nuit perpétuelle qui est le quotidien d’Ichi depuis l’âge de 8 ans (une information donnée par lui-même lors d’une discussion avec la fille de Junan).
Très bon épisode, donc, encore renforcé par l’interprétation parfaite de ses acteurs, dont Takashi Shimura, un fidèle d’Akira Kurosawa (il a tourné dans Les sept samouraïs, Yojimbo, Rashomon, Kagemusha, ...) mais aussi présent dans Godzilla. Shintaro Katsu, de son côté, démontre là encore l’étendue de son talent immense. |
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