Bigbonn Psycho-cop
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Posté le: Dim Déc 02, 2012 10:00 pm Sujet du message: [M] [Critique] Le shogun de l'ombre (Zatoichi 21) |
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Le shogun de l’ombre – Zatoichi abare-himatsuri
Japon - 1970
Genre : Chambara
Réalisation : Kenji Misumi
Interprétation : Shintaro Katsu, Tetsuya Nakadai, Reiko Ohara, Masayuki Mori, Ko Nishimura...
Alors qu’on pourrait croire qu’il est difficile de succéder à un épisode aussi réussi que Zatoichi contre Yojimbo, Shintaro Katsu au scénario, à la production et à l’écran et Kenji Misumi derrière la caméra nous prouvent au départ que non, pas du tout, que le défi est à leur portée et qu’ils vont le relever brillamment. Ça commence donc vraiment très bien, avec une sordide vente aux enchères de femmes et la libération de l’une d’entre elles par un Ichi compatissant. Un bienfait qui ne profitera pas à la jolie donzelle puisqu'elle se fait rapidement exécuter par un samouraï aux motivations troubles. Un sabreur redoutable qui épargne Ichi provisoirement tout en lui emboitant le pas pour un duel futur.
Tombé chez un parrain particulièrement cruel et impitoyable surnommé le shogun de l’ombre, Ichi ouvre assez grand sa gueule pour remettre à leur place ces yakuzas, qu’il méprise tout en se reconnaissant dans leur confrérie mais en affichant des valeurs bien plus morales que les leurs. Un discours qui plait beaucoup, en apparence, à un autre aveugle, le fameux shogun de l’ombre, qui vante l’exemplarité d’Ichi aux autres tout en ourdissant dans son dos son exécution prochaine afin que ce masseur à la langue bien pendue ne vienne pas le gêner dans ses plans criminels. Connaissant bien la solitude du non-voyant, qui plus est errant, il lui fourre dans les pattes la belle Okiyo, chargée de distraire Ichi et de faciliter sa perte. Evidemment, entre ces deux-là, une complicité va rapidement naître et même un peu de sentiments...
Très bon début, donc, marqué en particulier par la prestation tranchante d’un Tetsuya Nakadai noir et déterminé, contrebalançant la jovialité de Zatoichi et même sa fantaisie. Superbe séquence, aussi, de combat entre un masseur aveugle revenu à la réalité et obligé de combattre plusieurs adversaires dans une forêt baignée d’une lumière sublime. Et ça se poursuit ainsi, dans une atmosphère de danger permanent, au cœur d’un royaume du mal, dans l’antre du shogun de l’ombre dont on sait très vite qu’il est plus mortel qu’un serpent venimeux et qu’il frappe sans prévenir. Comme, par exemple, dans un établissement de bains où Ichi se délasse, vite obligé de se défendre et d’occire des yakuzas nus comme lui et souillant de leur sang cette eau où il pensait trouver la paix.
Hélas, si les très belles séquences sont nombreuses, elles sont parfois gâchées par l’un ou l’autre élément, comique notamment, tout comme celle du bain justement où Ichi, entre deux scènes brutales de combat au sabre, se sert de seaux qu’il envoie sur la tête de ses adversaires. Humoristique, certes, mais collant mal à ce moment si fort et si prenant. Dommage aussi d’avoir par trop insisté sur un personnage secondaire qui n’apporte pas grand-chose, un jeune efféminé rêvant de devenir yakuza et faisant des avances à Ichi jusque dans son lit. Trop décalé avec l’univers représenté, on dirait presque qu’il s’est échappé des studios voisins où se tournait un film sur la jeunesse décadente de la fin des sixties pour venir voir s’il ne pourrait pas glisser son minois androgyne dans un chambara. Certains passages musicaux aussi, d’ailleurs, sont presque pop et beaucoup trop modernes, donnant un aspect quasiment pré-tarantinien au film, si j’ose dire, en mixant époque et ambiance en un dosage savant malheureusement un peu loupé.
Vraiment dommage, donc, que cette mise en image magnifique de Zatoichi par un Misumi très inspiré, ne pâtisse d’une écriture parfois un peu trop relâchée et cédant à la facilité ou au grotesque, comme avec ce couple de commerçants se disputant et s’envoyant dans le décor avant de se rabibocher en présence des clients, la femme jetant même un coup d’œil sous le pagne d’Ichi ! On est à la limite du n’importe quoi pour faire rire et, oui, ça rend le reste moins bon, alors que...
Tatsuya Nakadai est formidable en samouraï désenchanté, hanté par des rêves alimentés au saké, trainant sa dégaine de tueur désabusé dans le sillage du masseur aveugle. Une fois encore, c’est le genre d’adversaire qui grandit Ichi, en lui offrant la possibilité de montrer son talent, immense, de bretteur non conventionnel. Ayant tourné chez Kurosawa dans Le garde du corps, chez Kobayashi dans Harakiri, chez Okamoto dans Le sabre du mal, chez Hideo Gosha dans Goyokin, entre autres, il est ici en territoire conquis, à l’image de Toshiro Mifune dans l’épisode précédent, des acteurs et des personnages comme le spectateur les aime et les réclame, à raison d’ailleurs.
Dans son rôle de vieil aveugle absolument sans scrupule et d’une fourberie totale, Masayuki Mori est lui aussi un ennemi d’exception, d’autant qu’il partage avec Ichi la même infirmité et que l’on sent, au détour d’une ou deux scènes une reconnaissance mutuelle qui aurait presque pu tourner à la complicité si le shogun de l’ombre n’était aussi sanguinaire et déterminé.
Ces deux là sont des atouts certains pour le film, tout comme la mise en scène, visuellement très inspirée, les décors et les paysages parcourus, mais la presque fin est un peu à l’image de ce vingt-et-unième épisode, balançant entre franche réussite, avec un Ichi se mouvant dans l’ombre pour n’afficher qu’un visage de vengeur sans pitié, et le petit échec, avec une cérémonie de mise à mort annoncée par le vieux parrain qui vire à la démonstration pyrotechnique inutilement excessive. Du très très bon, donc, mais aussi un peu de raté, pour un épisode nous laissant partagé mais dont il serait vraiment dommage de se priver.
Bonus : quelques captures grand format :
Dernière édition par Bigbonn le Lun Déc 03, 2012 5:56 pm; édité 1 fois |
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