Death Note 12
Genre: Fantastique , Thriller-Polar , Shonen , Démons , Manga
Année: 2007
Pays d'origine: Japon
Editeur: Kana
Scénario:
Tsugumi Ohba
Dessin:
Takeshi Obata
Traduction:
Myloo Anhmet
 

Voilà une chronique que j'ai longtemps hésité à mettre sur le site à cause des nombreux SPOILERS qu'elle contient et aussi parce que beaucoup ont sans doute décroché en cours de route. Mais comme le tome 1 avait été chroniqué, je boucle la boucle avec une chronique sur le dernier.

Si vous n'avez pas encore lu ce dernier tome mais comptez le faire, il serait préférable de ne pas aller plus loin dans cette chronique (bouh !).

Si vous l'avez lu, vous y trouverez un résumé assez complet et quelques observations personnelles.

Et si vous ne l'avez pas lu et n'en avez pas l'intention (et que pour tout dire cette série vous a vite lassé, ce qui est aisément compréhensible), vous pouvez toujours jeter un coup d'oeil pour en apprendre un peu plus sur le dénouement.

Bref, je suis un peu ennuyé d'avoir écrit une chronique trop explicite (je l'aurais préférée plus incitative et elliptique) tout en sachant pourtant que, dans le cas contraire, mon texte n'aurait pas dépassé dix lignes (un peu court).

Alors, vous la prenez (ou non) comme vous voulez, il n'y a pas de problème.

Un dernier tome qui pourrait, en gros, se diviser en trois parties. Une première partie (jusqu'au chapitre "Réponse") fidèle à l'esprit de la série avec son énième (et ultime) bras-de-fer intellectuel entre Light/Kira et son alter-ego. Comme d'habitude, on assiste à une brillante et tortueuse démonstration de stratégies de part et d'autres des deux camps, tournant autour des inévitables cahiers de la mort : vrais cahiers/faux cahiers/vrais-faux cahiers ou inversement, ce qui implique de la part du scénariste une explication un brin longuette et laborieuse qui a pour souci de ne pas perdre le lecteur en chemin. Light perdra bien entendu, principalement à cause d'une erreur de son exécuteur Mikami. Ce qui me fait penser à cette phrase de Baudelaire : "l'ennui dans le crime, c'est qu'on ne peut se passer de complice". Une vérité qui montre ici toute sa pertinence.

La seconde partie verse plutôt dans une dramatisation un peu outrancière auquel la série, tout en retenue, ne nous avait pas habitué. Démasqué et acculé, Light/Kira voit son flegme imperturbable, son sang froid reptilien, se fissurer peu à peu, jusqu'à perdre toute contenance. Le jeune homme laisse alors éclater tout ce qui était resté enfoui durant les onze tomes précédents par une attitude impeccablement étudiée. Méprisant, violent, insultant (il n'hésite pas à traiter Misa de "conne", ce qu'on ne peut honnêtement lui reprocher et qui d'ailleurs ne manque pas d'humour dans le contexte et la manière de l'exprimer), Light Yagami montre toute l'ampleur de sa prétention et de sa mégalomanie. Le dessinateur force un peu trop sur les expressions démoniaques à mon goût (devant le spectacle d'un Kira ricanant et aux doigts courbés comme des serres de rapaces, on s'attend presque à lui voir pousser des cornes sur la tête !) même si tout cela permet un traitement graphique assez impressionnant qui change du ton relativement sage des autres opus.

Bref, nous avons surtout droit dans cette seconde partie à un curieux one-man show de Light/Kira devant les autres personnages qui, de leur côté, restent à la fois muets, figés, attérés mais relativement calmes.

Pour autant, le "monstre" ne perd pas ses moyens, son intelligence affûtée et son sens de la manipulation. Ce qui nous vaut d'abord un long laïus (12 pages) assez prévisible où le jeune homme tente de justifier ses actes par un discours assez convenu sur la relativité de la notion de justice. Cet aspect m'a d'ailleurs toujours semblé être le grand point faible de Death Note par son simplissicisme et ses lieux-communs, voir ses incohérences mais passons car cela demanderait plus de développements. La plupart des criminels sont toujours persuadés d'oeuvrer dans le bon sens et Light ne fait pas exception à la règle. D'où la prévisibilité dont je parlais et cette dizaines de pages encombrées de justifications qu'il faut se bien se farcir à ce stade du récit.

 

N'ayant réussi, comme de juste, à faire valoir ses arguments et menacé de devoir payer pour ses crimes, Light sombre alors (troisième et dernière partie) dans ce qu'il faut bien appeler la déchéance, adoptant une attitude pitoyable et plaintive (non exempte de sursauts de malignité) qui ravira peut-être ceux qui ne portaient guère dans leur coeur ce despote à la cérébralité arrogante et prétentieuse. C'est la fin pathétique au possible de Kira et je doit dire que j'ai rarement vu en bande dessinée un personnage perdre autant de sa superbe en raison, sans doute, d'impératifs moraux où le châtiment se doit d'être exemplaire (de manière trop appuyée peut-être ?).

Cette dernière partie - qui paraît interminable - ne fait pas mystère de ses intentions : briser le mythe Kira et redonner au meurtre (donc à la mort) toute son horrifiante réalité. La fin de Light/Kira est intéressante sur ce point et balaye la polémique qu'avait pu susciter cette série à ses débuts. Jusqu'alors, Death Note avait traité la mort des gens avec une certaine désinvolture qui pouvait paraître gênante même si nécessaire à l'histoire : les morts s'accumulaient au fil des tomes comme des chiffres sur un écran vidéo. Morts dépersonnalisées, sans visages, parfois sans noms, elles n'étaient qu'au service d'une dramaturgie essentiellement axée sur une confrontation intellectuelle qui tenait du jeu entre deux joueurs d'échecs dont les pièces auraient été des personnes vivantes.

Ironiquement, la mort de Light/Kira est, à l'inverse, montrée dans toute sa réalité, sa tangibilité. Et la conscience de cette angoisse viscéral de la mort éprouvée par le jeune homme est à ce point longue et terrifiante qu'elle en devient presque poignante et que nous en arrivons à ressentir de la pitié pour lui, malgré le nombre de victimes qu'il a pu faire. Une façon malicieuse, peut-être, de brouiller à nouveau les cartes et montrer que l'empathie s'attache toujours davantage à un seul individu (fut-il méprisable) qu'à une foule d'anonymes.

Quoiqu'il en soit, le sort très éprouvant réservé à Light/Kira se comprend : le confronter à cette mort qu'il a si souvent et si légèrement distribuée aux autres ne manque pas de piquant, même si je dois avouer que les fins trop moralisatrices à la manière des thrillers hollywoodiens me pèsent souvent.

En conclusion, un dernier tome qui ne démérite pas par rapport à l'ensemble (mêmes qualités, mêmes défauts) mais nettement moins cérébral et plus émotionnel - surtout dans ses deuxième et troisième parties - et qui clôt la série dans une apothéose mortifère qui ne manque pas d'intensité.

Sous le regard et le sourire carnassier d'un Ryûk qui, en tout cas, s'est "bien amusé".

Ce qui fut aussi mon cas mais seulement par intermittence.

 

Bilan de la série en quelques mots :

Je crois que les défauts de cette série sont maintenant bien connus. Souvent étouffante par l'avalanche de textes, plombée par des joutes intellectuelles rébarbatives et des rebondissements tellement nombreux et systématiques qu'ils en deviennent lassants, une certaine manière d'étirer les choses, Death Note aurait certainement gagné à compter bien moins de volumes.

Une autre faiblesse vient du fait que cette série ne propose aucun personnage capable de susciter un tant soit peu la sympathie/empathie du lecteur. Outre des personnages secondaires, qui semblent faire tout du long de la figuration et n'être que les faire-valoir des génies, ceux-ci (L., Near, Light) n'emportent pas davantage l'adhésion sur le plan émotionnel. Near en particulier, Petit Prince surdoué aux boucles blondes faisant joujou avec ses robots, est d'une froideur au moins aussi rébarbative que celle de Light ou même du premier L. Sans oublier que certains propos tenus à la fin de l'histoire laissent planer le doute quant à son intégrité et son honnêteté.

Ce combat des cerveaux, pour intéressant voir parfois passionnant qu'il ait pu être à certains moments, manque à ce point d'humanité que j'en suis arrivé à cette étrange sensation à la fin de cette lecture-fleuve : les dernières pages de cette vaste et riche construction narrative tournées, on quitte les personnages sans regret. Seul Matsuda, pourtant présenté comme un homme d'une naïveté (voir d'une bêtise) irritante est finalement le seul qui mérite le qualificatif d'être humain malgré son inconsistance. Que l'"idiot" de service bénéficie de ce genre de statut a quelque chose de révélateur.

J'ai toutefois apprécié ce manga pour son originalité, l'intelligence de ses développements (jusqu'à l'auto- complaisance, hélas), son aspect ludique et, last but not least, un dessin précis et élégant, d'une belle finesse qui m'a plu d'emblée. Sans oublier une mise en page assez sobre (comparé à la plupart des mangas, surtout de type shonen) qui a l'avantage de ne pas trop rompre avec les habitudes d'un lecteur de BD francophones comme moi. C'est aussi le cas de Monster et ce n'est pas un hasard si Death Note et Monster sont les deux seules longues séries manga que j'ai pu lire jusqu'au bout (en attendant de pouvoir continuer 20th Century Boys).

 

Une petite pomme ?

 

7/10 (pour le tome 12)

Note : 7/10 (pour l'ensemble de la série)

 

Raggle Gumm

 

A propos de ce manga :

 

- Site de l'éditeur : http://www.mangakana.com/

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