Brooklyn, 1944. Un enfant est kidnappé par le Croquemitaine et entraîné dans un royaume nommé L'Obscur. Les jouets du jeune garçon décident alors d'organiser une mission de sauvetage. Parvenus dans ce monde inconnu, ils subissent une étrange transformation : l'ours en peluche devient un animal féroce, le soldat de plomb un as de la stratégie militaire, le bouffon dans sa boîte un acrobate maniant parfaitement la hache... Au cours de cette périlleuse aventure, ils livreront un combat éperdu contre les armées du Croquemitaine afin de retrouver et secourir leur petit maître.
Depuis plusieurs années, j'ai pour principe de considérer avec la plus grande méfiance le graphisme séduisant d'une BD. Hélas, malgré cette bonne résolution, il m'arrive encore de faire quelques rechutes et de ne me laisser avoir.
C'est bien le cas ici où, pour être franc, aucun des aspects du scénario n'a réussi à me plaire : l'histoire est sans originalité et son postulat rappelle forcément un certain Toy Story. Sauf que contrairement au chef-d'oeuvre de Pixar, le traitement de sujet manque ici cruellement d'inventivité, de surprises, de charme et de rythme. Certes, le ton est très différent et celui de L'étoffe des légendes est plutôt sombre (en accord avec le dessin) mais ce n'est pas une raison pour excuser la platitude de l'ensemble.
Sitôt pénétré dans le royaume de l'Obscur, les jouets (qui dans ce monde deviennent des créatures de chair, si on excepte la danseuse mécanique) se livre d'emblée à une bataille sans surprise avec les armées du Croquemitaine, personnage ténébreux également assez caricatural et fonctionnel (il est méchant, très méchant, voilà tout). Ils réussissent à gagner une première bataille, mais le lecteur se sent, déjà à ce stade, peu concerné. Et pendant que le bad guy de service se prépare à une revanche, nos joujoux trouvent refuge dans La Marelle, une ville en forme de jeu de l'oie où règne un maire despotique qui oblige les habitants à se livrer en permanence à un jeu où personne ne gagne jamais, car l'homme établit les règles comme bon lui semble. A ce stade, on pourrait croire que l'album va réussir à intéresser en faisant passer un vent de folie, mais les événements sont au bout du compte bien trop conventionnels et la folie promise n'est qu'une petite crise de délirium très mince.
On suit les événements sans se sentir pris par l'action et sans trop s'inquiéter de ce qui peut arriver aux personnages tant tout cela manque de fantaisie et de rythme mais aussi... d'humour, totalement absent de l'album. Quant aux dialogues, ils ne marquent pas la mémoire.
Les protagonistes manquent terriblement de nuances et de reliefs, chacun d'entre eux se résume à une ou deux caractéristiques : l'ours est téméraire, la danseuse mécanique pondérée, le bouffon bagarreur, le colonel courageux et leader-né, le porc trouillard et perfide (du moins au début), etc... Brefs, ils présentent les attributs que pourraient leur donner un enfant en bas-âge quand il se livre à ses jeux. Cela ne peut suffire à contenter un lecteur ado/adulte qui, même dans un contexte de conte, s'attend tout de même à des personnages moins creux et moins simplistes. En outre, aucun d'eux n'attire la sympathie et les interactions entre eux sont peu intéressantes. En un mot, on pourrait dire que la plupart d'entre eux sont désincarnés et ne parviennent pas à se hisser au-delà de leur statut hiératique de... jouets justement. Bref, ils donnent l'impression d'être mû par un mécanisme.
Ce défaut de caractérisation aurait pu passer si l'histoire était elle-même suffisamment prenante et faisait preuve d'imagination, mais comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, il n'en est rien. L'ennui m'a tenaillé durant toute la lecture.
Si, comme le disait Shakespeare "nous sommes de l'étoffe dont sont faits les rêves", celle dont il est question ici n'est pas parvenue à vêtir les miens.
Reste donc le graphisme de Charles Paul Wilson III et la mise en "couleurs" du tandem Conkling et DeVito, d'une beauté qui séduit d'emblée avec ses dessins au crayonné et fusain, le tout dans des tons en sépia du plus bel effet et ses noirs profonds, d'autant que l'album se présente sous un format à l'italienne assez agréable.
Toutefois, même graphiquement, ce choix du sépia sur une centaine de pages finit par desservir un peu la lecture, rendant le climat fort lourd et monotone. Attractif dans un premier temps, il devient assez vite pesant, oppressant, même si c'est certainement l'effet voulu.
Je finirai par remarquer que cet album risque d'avoir du mal à trouver son public, car il est à la fois trop sombre pour le jeune public et trop simpliste pour un public plus mature.
Un défaut de plus à ajouter à une oeuvre à laquelle j'ai trouvé bien peu de qualités si ce n'est, donc, le travail graphique et sa jolie présentation qui rehaussent un tant soit peu ma note.
Note : 5/10
Vorpalin
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