Chambre de Lautréamont, La
Genre: Roman graphique
Année: 2011
Pays d'origine: France
Editeur: Futuropolis
Scénario:
Corcal
Dessin:
Edith
 

Préférant par paresse et facilité, être un pisse-copie plutôt qu'un poète sans le sou, Auguste Bretagne est feuilletoniste à la "Gazette de Paris". Ce manque d'ambition littéraire provoque la risée des membres du Cercle des poètes zutiste (Rimbaud, Verlaine, les frères Cros...), qui ne manquent pas de multiplier à son insu des blagues d'un goût douteux. C'est d'ailleurs à l'une des réunions du cercle, qu'Auguste a rencontré d'Émily, une jeune et très jolie poétesse, dont il est follement amoureux. Autant Émily adore les soirées déjantées et excentriques des zutistes, qui souvent tourne en une déclaration de guerre envinée à l'encontre des Zaka-zaka, cette espèce nuisible d'artistes académiques à éradiquer, autant elle ne supporte pas en revanche le capharnaüm morbide (hibou empaillé, squelettes divers, corps non identifiés dans du formol...) qui règne dans la chambre en location où Auguste vit.
Et pourtant, c'est un endroit d'exception, un lieu extraordinaire : Isidore Ducasse, comte de Lautréamont y vécut et y mourut à l'âge de 24 ans. "Chaque atome de cette pièce est imprégné de sa présence".
Une nuit, après avoir pris du peyotl, Bretagne et Rimbaud finissent au petit matin dans cette chambre, s'effondrant sur le lit. Est-ce dû à une hallucination ? Toujours est-il que Rimbaud entend jouer du piano et la voix de Lautréamont déclamer des vers à propos de sa verge. Ce serait donc le fantôme du comte de Lautréamont ? Auguste Bretagne n'est pas au bout de ses découvertes...

 

 

"Cette histoire n'est pas fantastique, elle n'est que romanesque" écrivait Jules Verne en introduction à son roman Le château des Carpathes.
Elle pourrait aussi servir à cette BD qui, sans faire strictement appel au surnaturel, est certes romanesque, mais se livre aussi à d'étranges incantations qu'une poésie du jusqu'au-boutisme rendrait presque magiques et dont les visions infernales sous l'influence du peyotl n'auraient rien à envier aux manifestations paranormales.
En un certain sens, elle est donc "fantastique", jusque dans son ambiance fuligineuse et ses rues où errent des silhouettes fantomatiques entre des façades de maisons défraîchies.
Mais plus encore mérite-t-elle sa présence ici par son contenu spéculatif et uchronique (para)littéraire qui intéressera particulièrement les bédéphiles : et si le Neuvième Art comme moyen d'expression (forcément encore marginal) était apparue dès 1871 et recevait une bonne réception auprès des francs-tireurs d'une littérature avant-gardiste et auprès de Rimbaud lui-même ? Une jolie idée.
La chambre de Lautréamont est une BD au final assez ludique, comme une fugue fantaisiste un peu volatile à laquelle on pourra reprocher un manque d'enjeu dramatique, mais qui rend un bel hommage à la marginalité de modes d'expression narratives en marge de la "Grande Littérature" et fières de l'être. Et où se côtoient donc le feuilletonisme grand-guignol (incarné par le personnage principal Auguste Bretagne qui en est le grand pourvoyeur), la poésie anti-académique et sans concessions et... la bande dessinée, qui aurait pu faire partie de cette marge novatrice si, dans la réalité, un auteur en avait eu l'idée.
Ce précurseur se nomme ici Eugène et côtoie les zutistes de Montmartre, un groupe d'excentriques poètes parmi lesquels s'agitent l'auteur du Bateau Ivre et Verlaine, qui ne se privent pas d'écouter avec intérêt une scéance de lecture vivante d'onomatopées sorties des phylactères d'une planche de BD.
Uchronique également l'apparition précoce d'un phonographe (appelé ici paléophone) qui permet de restituer la voix d'Isidore Ducasse alias Lautréamont récitant ses chants de Maldoror. Réécriture de l'histoire littéraire, enfin, cette collaboration d'un Rimbaud et d'un Lautréamont sous influence toxicologique qui, le temps d'une nuit à la fois charnel et spirituel, auraient enfanté de concert un texte sulfureux venu des arcanes les plus profondes de l'inspiration poétique.

D'un expressionisme qui restitue à la fois l'atmosphère de l'époque et les forts tempéraments de ces personnages en marge, le travail graphique d'Edith a la rugosité et l'expressivité de la gravure. Les tons sont majoritairement sombres, presque sépulcrales parfois, contrastant parfois étrangement avec la joyeuse désinvolture de ces zélés zutistes, mais se faisant tout autant l'écho des histoires d'épouvante d'Auguste Bretagne et des horreurs suintant des pages empoisonnées de Maldoror.
En substance, c'est toute la contradiction littéraire et artistique de cette époque - entre la frivolité des cabarets montmartrois et les aliénations des artistes maudits qui couchent sur papier ou sur toile leurs souffrances et leurs cauchemars - auquel rend hommage ce roman graphique évocateur d'un certain milieu artistique et aussi avares de concessions que ses inspirateurs.

 

Note : 7/10

 

Vorpalin

 

A propos de cette BD :

 

- Site de l'éditeur :  http://www.futuropolis.fr/accueil.php

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