Elle 1 et 2
Genre: Fantastique , BD européennes
Année: 2011
Pays d'origine: France
Editeur: Soleil Production
Collection: 1800
Scénario:
Elie Chouraqui
Dessin:
Alberto Jimenez Albuquerque
Couleurs:
Sandrine Cordurié
 

 

She ! Celle-qui-doit-être-obéie !

Ce nom, qui n'en est même pas un, mais dont le pouvoir d'injonction inspire le respect, évoquait dans mon esprit juvénile une entité terrible que Stephen King, dans son roman Misery, associait à la non-moins effrayante et omnipotente Annie Wilkes, bourreau de l'écrivain Paul Sheldon et qui avait tout de l'ombrageuse reine ayant droit de vie et de mort dans son royaume domestique.

En revanche, je n'ai jamais lu le roman de H. Ridder Haggard, mais après m'être renseigné auprès de certaines personnes qui avaient eu ce privilège, je pense pouvoir affirmer que cette "adaptation" serait très libre, voir saugrenue. Ce qui pourrait d'ailleurs expliquer que ces deux volets du tryptique prévu (dont le tome 2 vient juste de paraître) m'aient un peu déconcerté, principalement le premier.

Mais commençons d'abord par une première remarque : le début de l'histoire et plus précisément la motivation du personnage central, Léo, de se lancer dans la grande aventure m'a semblé capillotractée, ne serait-ce qu'à cause de ceci : il y est question d'un jeune homme du XIXè qui est censé venger l'assassinat d'un ancêtre (un prête de l'Egypte ancienne) par la fameuse "Elle" et qui a eu lieu il y a... 2300 ans ! Pour être plus précis, ce sont tous les descendants (et il y en a donc un paquet, en plus de 2000 ans !) du prêtre qui se sont refilés le fardeau de générations en générations. Je me permettrai simplement une remarque : qu'est-ce qu'un quidam vivant vers 1880 en a à faire d'un crime qui a eu lieu en 400 av. J.C. envers son arrière, arrière, arrière, arrière, arrière, etc... etc... ?

Bon... à la rigueur, ce n'est pas le plus grave et on pourrait toujours se dire que le jeune homme, sentant l'appel de l'aventure lui chatouiller les aisselles, a pu bondir sur ce prétexte tout trouvé. On peut donc passer outre ce détail et profiter de la balade, pour peu qu'elle offre son lot d'aventures.

 

 

Mais viennent maintenant les véritables griefs. Ce qui m'a beaucoup étonné dans le premier tome, c'est plutôt l'opposition entre une première partie (située en Angleterre) au ton qui se veut apparemment sérieux, premier degré, voir grave, et une seconde qui tranche avec l'esprit de sérieux du début. Car lorsque les trois anglais en pleine galère (sans oublier le chien... euh je veux dire le guide) se retrouvent en Afrique (notamment confronté aux indigènes), tout se met à prendre une tournure désinvolte, légère, voir franchement humoristique, surtout à cause de dialogues bizarrement décalés.

Manifestement, on n'est plus vraiment dans le même registre et cela donne l'impression de passer d'un album à un autre au sein du même tome car rien, entre la page 3 et la page 34, ne laisse présager du ton employé par le scénariste par la suite.

Pour être plus clair, je vais faire une comparaison qui en donne pour moi une bonne idée : imaginez un album qui commencerait comme une sombre histoire d'héritage lourd à porter dans une Angleterre du XIXiè tel que Fog et qui, au bout d'un moment, bifurquerait vers Lanfeust de Troy ! Pas moins ! Le contraste est plutôt frappant.

Bref, Elle, c'est un peu la version Lanfeust Mag du She d'Haggard.

Car outre le registre décalé et les touches d'humour un brin potaches qui parsèment les deux tomes, j'ajouterais que deux autres éléments concourent aussi à faire ce rapprochement : primo, le personnage de Léo, du fils adoptif doué en toutes choses mais relativement réservé du début, devient par la suite une espèce de fier à bras assez benêt, arborant tignasse rousse et gros muscles. Cela ne vous rappelle rien ?

Secundo, le style graphique d'Aja s'inscrit bien dans la tradition Lanfeust Mag (et bien ancrée dans son époque aussi) : un style semi-réaliste virant parfois carrément à l'humoristique, avec des personnages aux expressions parfois exagérées et de nature expansive. Certaines planches sont assez jolies mais l'ensemble reste inégal. D'une case à l'autre, on peut passer d'une représentation de personnages très correcte à des protagonistes en pied qui semble avoir un bas-ventre quasi inexistant et très carré. Certaines poses étonnent aussi, donnant aux protagonistes des airs de mannequins désarticulés.

Quant à la fameuse Elle, dont on découvre le minois dans le second volet, elle reste bien banale et on comprend mal comment les hommes peuvent tomber en extase devant je cite "la plus grande beauté qu'il y ait jamais eu". Mouais... en réalité, elle aurait plutôt l'allure convenue d'une de ces énièmes pseudo-amazones des séries de fantasy de chez Soleil aussi charismatiques qu'une pom-pom girl.

Les couleurs de Sandrine Cordurié, en revanche, m'ont bien plu et embellissent un dessin pas toujours à la hauteur et peu élégant : les planches de la partie victorienne du début, avec ses tons gris/brun et ses rouges (notamment la chevelure du héros) ne sont pas sans rappeler celles du Sambre d'Yslaire (toutes proportions gardées !) alors que les épisodes africains bénéficient d'une palette de couleurs légèrement plus chaudes, même si on est loin de la luminosité des couvertures. Voilà pour les considérations graphiques et je dirais seulement pour finir là-dessus que le style d'un dessinateur comme Dim-d par exemple (à qui l'on doit justement l'adaptation des Mines du Roi Salomon dans la même collection) aurait eu ma préférence.

 

 

On comprendra donc ma surprise et ma perplexité quand on saura que, a priori (à tort ou à la raison), je m'étais fait d'Elle une toute autre idée : celle d'une histoire sombre et fascinante, dans une ambiance de cauchemar éveillé qui n'empêche pourtant pas un certain émerveillement, proche de ce que l'on pouvait trouver dans Au coeur des ténèbres de Conrad, quoique dans un registre plus populaire. Ou à la rigueur l'ambiance d'Indiana Jones et le Temple Maudit.

Si la BD de Soleil n'est évidemment pas exempt de quelques scènes de violence - qui s'inscrivent toutefois plus dans un esprit très sérial, j'y reviendrai plus bas - on est tout de même loin du cauchemar éveillé et pour ce qui est de l'émerveillement, c'est le zéro pointé.

Mais peut-être me suis-je tout bêtement trompé de produit ?

Puisque je parlais d'"esprit serial", il serait difficile de ne pas remarquer les nombreuses et énormes invraisemblances que compte particulièrement le tome 1. Ainsi, anglais et indigènes se mettent à discuter tout naturellement dans la même langue et avec une parfaite courtoisie. C'est bien pratique. Les "sauvages" ne pensent pas à fouiller et donc désarmer les blancs qui ont donc tout loisir de sortir leurs pétoires et leur couteau quand la situation se gâte. Certains mots ou expressions paraissent bizarrement déplacés dans le contexte. Ainsi, le chef des indigènes emploiera, par exemple, le mot "bagatelle" pour décrire l'acte sexuel. Et je passe sur une phrase, lancée par un autre indigène, telle que "on dîne à des heures impossibles !" Serait-ce une revendication du responsable syndical de la tribu ? Esprit Lanfeust, là encore (qui abusait des anachronismes) ?

En fait, tous ces défauts et invraisemblances sont bien de ceux/celles qu'on s'attend à trouver dans une histoire sortie d'un pulp très bas de gamme ou... une quasi parodie qui joue avec les poncifs du genre.

Mais ici, il est tout de même question d'une sois-disant adaptation d'auteur connu (Haggard), qui jouit d'une certaine postérité dans le domaine du roman d'aventure et qui, à ma connaissance, n'était pas à proprement parler un rigolo. D'où mon sentiment (appuyé par les lecteurs du roman que je citais plus haut) que Chouraqui a pris le roman d'Haggard par- dessus la jambe en proposant une version BD fort libre, au point de non seulement user d'un ton "lanfeustien" à l'occasion ,mais aussi, peut-être, de ne pas être très regardant envers la logique.

Je n'étonnerai personne en disant que j'ai abordé le second tome avec une désinvolture qui me paraissait de circonstance. Un lecteur averti en vaut deux ! Un tome plus satisfaisant, souffrant de moins d'invraisemblances et au ton plus cohérent, et qui permet enfin d'arriver au coeur du sujet : la confrontation avec Celle-qui-doit-être-obéie, connue aussi comme Celle-qui-voit-tout, malheureusement décevante, car, comme je l'ai déjà mentionné la représentation de cette reine proche de la déité n'est guère impressionnante et que je la renommerais bien Celle-qui-m'a-déçu, desservie il est vrai par un style de dessin qui aurait eu bien du mal à la rendre charismatique.

Finalement, Elle est une BD qui se lit sans ennui, mais sans passion ni intensité non plus, comme un album de... Lanfeust. Sauf qu'ici, contrairement aux aventures d'Arleston qui annoncent d'emblée le ton, on est plutôt trompé sur la marchandise, à moins de savoir dès le départ à quoi s'en tenir.

A bon entendeur...

 

Tome 1 : Le tesson d'Amenartas

Tome 2 : Celle Qui Voit Tout

 

Note : 6/10

 

Vorpalin

 

A propos de cette BD :

 

- Site de l'illustrateur : http://ajaalbertojimenezalburquerque.blogspot.fr/

- Site de la coloriste :  http://preferencescouleur.over-blog.com/

- Site de l'éditeur : http://soleilprod.com/

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