Semaine d'un assassin, La
Titre original: La semana del asesino
Genre: Horreur , Drame
Année: 1971
Pays d'origine: Espagne
Réalisateur: Eloy de La Iglesia
Casting:
Vicente Parra, Emma Cohen, Eusebio Poncela, Vicky Lagos, Lola Herrera...
Aka: Cannibal Man
 

Dès les premiers plans, Cannibal Man apparaît comme l'oeuvre d'un auteur. Oui, n'ayons pas peur des mots. Il y a des choix, autant de fond que de forme, qui ne trompent pas sur les intentions d'un cinéaste, dès lors qu'il met autant de partis pris dans son film. Nous voici plongés dans un univers triste, complètement désenchanté. Un abattoir dans lequel travaille chaque jour Marcos, travailleur de condition modeste qui contribue à nourrir les autres. Son job : tailler de la carcasse de boeuf pour une conserverie. Voici qu'un soir, accompagné de son amie, il tue accidentellement le chauffeur de taxi qui les a jetés de sa voiture pour abus de bécotages. Marcos refuse de payer, le taximan s'énerve et agresse la jeune femme, Marco lui fiche un coup de pierre sur le crâne. Pas de bol, d'autant que sa petite amie est d'avis d'aller trouver la police au plus vite. Marcos est fatigué et dépassé par une tournure des événements dont il perd dès lors le contrôle. Par panique sans doute, à peine rentré dans son appartement, il tue violemment la jeune femme. Il prévient alors son frère, croyant que ce dernier l'aidera à trouver une solution, ou tout du moins l'aidera à cacher le corps. Malheureusement, le frère l'envoie paître et le ramène à ses responsabilités. C'est une spirale infernale qui commence pour Marcos puisqu'il se met à tuer en série tous les gens au fait de son meurtre, et chaque meurtre entraîne une nouvelle suspicion, et donc un nouveau devoir de tuer...

 

 

Cannibal Man est une oeuvre désenchantée, l'oeuvre d'un provocateur sensible et écorché. D'entrée, Eloy de La Iglesia opte pour un réalisme parfaitement rendu, présentant son personnage dans un environnement laborieux désolé, ce qui est suffisant pour le définir. Même accompagné, c'est un homme seul vivant en marge d'une société qui a du mal à l'accepter et contre laquelle ce dernier finira par se rebeller de manière meurtrière et suicidaire. Vivant avec une femme plus jeune que lui, il est la plupart du temps méprisé des autres, qui n'hésitent pas à le rabaisser à son petit rang de coupeur de vaches. Finalement, c'est un homme sur la tangente, proche de la rupture. L'accident initial n'a fait que dévoiler le côté sociopathe qui sommeillait dans le carcan d'une vie trop restreinte et balisée. Sa vie ne demandait qu'à perdre contrôle, voilà qui est fait. Marcos, de crime en crime, éliminant plus tard son beau-père ainsi qu'une prostituée, perd ses repères. Chaque matin, après les avoir découpés au préalable, il amène des bouts de ses victimes dans un sac de sport pour s'en débarrasser et les fondre avec les quartiers de viande à la conserverie.

 

 

Difficile de ne pas voir là-dedans une certaine ironie puisque l'être humain sera amené à manger de l'humain à petite dose en investissant dans ces conserves là. Et si finalement dans la société de consommation dépeinte par De La Iglesia, l'homme se mangeait lui-même ?

Mais ce n'est pas tout. Ce qui fascine avant tout, c'est à la fois le caractère de notre héros, en même temps que le contexte franquiste dans lequel le film a été tourné et que le réalisateur met à mal l'air de ne pas y toucher, avec pourtant un esprit frondeur qui ne se dément jamais.

C'est une société pudibonde et cléricale qu'il fustige, en mettant l'accent sur la préservation de règles se faisant au détriment de l'épanouissement individuel. Dès lors, on a droit à une autopsie d'un être qui du jour au lendemain décide, à la base bien malgré lui, de ne plus suivre que son côté bestial. On sent le réalisateur derrière lui, jusqu'à le rendre même sympathique tant qu'il va à l'encontre de toutes les règles préétablies et auxquelles De La Iglesia ne semble pas adhérer pour un sou. Voici ce qui pend au nez d'une société castratrice, semble-t-il nous dire. La relation trouble entre Marcos et Nestor son voisin annonçait cela. Il y avait bien là une attirance homosexuelle mutuelle, et voir les deux hommes batifoler ensemble dans l'eau jusqu'à se cracher de petits jets d'eau de façon taquine ne prêtait aucunement à confusion. Seulement voilà, une fois encore la règle ou disons la limite à ne pas dépasser a pris le dessus sur la pulsion, et donc l'accomplissement de soi. Ce même voisin, tellement fasciné par la virilité de Marcos qu'elle ne peut être qu'autre chose qu'un fantasme : celui d'aimer la bête enfouie en lui-même, et par procuration, se révéler tel qu'il devrait être. Devenir l'autre qu'il ne sera jamais. Mais les tabous sont tenaces...

 

 

L'ambiance du film, son humour latent, et le contexte sociopolitique se fondent en un seul bloc, dans une osmose parfaite. En témoigne la scène où Marcos, las de l'odeur nauséabonde que dégage son appartement, décide d'aller chez le pharmacien pour y acheter une flopée de flacons de parfums. Le regard suspicieux dudit pharmacien en dit long. Ce dernier ira jusqu'à en mettre sur le poignet de notre tueur et de le contraindre à le sentir, devant le regard amusé d'autres clients. Une société dans laquelle chaque débordement est suspect, doublée d'une atmosphère de collaboration, sinon à défaut, d'acceptation. Attaque en règle subtile des moeurs de l'époque, subtilité que l'on retrouve aussi pour évoquer l'homosexualité de Marcos, mal à l'aise pour le coup. Un thème semble-t-il cher au cinéaste dont je ne connais que Le bal du vaudou, mais qui semble apparaître de façon moins voilée dans ses films plus tardifs comme "Los placeres ocultos" ou "El disputados", les temps n'étant plus les mêmes. Il tournera même en 1977 "La criatura", narrant l'amour tendre entre une femme et un chien. Pas de doute, Eloy de La Iglesia aime à bousculer les tabous autant qu'à repousser les limites de l'acceptable. Quant à l'ambiance proprement dite de cette Semaine d'un l'assassin, elle est moite et glauque, bourrée de partis pris réalistes tant dans la photographie très sombre que dans la durée ou la dureté de certaines scènes. Tout en restant loin du film de type psycho-killer classique, c'est une introspection froide et cruelle à laquelle nous assistons. Pourtant, les meurtres marquent autant sinon plus que dans bien d'autres films de meurtres en série. De La Iglesia les élude même parfois, et d'un plan sur un train passant à vitesse rapide, on sait que le crime a été perpétué par notre bête humaine séductrice en diable. A ce titre, la composition de Vincent Parra est exemplaire dans un rôle très complexe et dont les motivations nous échappent même parfois. Tour à tour introverti, calme, séducteur, angoissé, paranoïaque et violent, il incarne un personnage stupéfiant d'une manière qui l'est non moins.

 

 

Pour l'histoire elle-même, pour la richesse du propos, pour son côté iconoclaste et frondeur, pour les moult qualités d'une mise en scène qui sait mettre en avant tout un décorum grisâtre au dépend d'un sensationnalisme sanglant, pour sa brillante étude sur le comportement humain, pour sa beauté cruelle et pessimiste, pour ce qu'il représente sournoisement de dangereux et culotté au regard d'un régime en place fascisant, et pour l'ambiance putride magistrale qui s'en dégage, Cannibal Man n'est pas loin d'être un grand film. Mais peut-être en est-ce un...


Note : 8,5/10

 

Mallox
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