Ozu - Coffret 20 films - Carlotta Films
Écrit par Francis Moury   

 

Coffret 11 Blu-rays ou 15 DVD

Éditeur : Carlotta Films
Pays : France

Sortie des films : de 1929 à 1962
Sortie DVD : 06 novembre 2019

Langues : Japonais
Sous-titres : Français


Zone 2 (DVD) / B (BR)

Durée : 1 947 min

 

Carlotta Films édite le 06 novembre 2019 un nouveau coffret Yasujiro Ozu (1903-1963) comprenant 20 longs-métrages et de nombreux documents (courts-métrages, moyens-métrages, fragments de longs-métrages perdus, documentaires, entretiens, etc.) tournés de 1929 à 1962.

 

L'ensemble est reporté sur 11 Blu-rays ou sur 15 DVD selon qu'on préfère l'un ou l'autre support.

10 titres (1949 à 1962) sont restaurés à partir de nouveaux masters 2K et 4K.

9 autres titres (1929 à 1947) sont repris de masters SD en suppléments.

1 titre (celui de 1936) occupe le Blu-ray n°1 car il est HD mais il n'a pas été restauré 2K ni 4K.

Ces 20 titres couvrent assez bien chronologiquement l'ensemble de la carrière de Ozu qui a réalisé son premier film en 1927, le dernier en 1962. On y trouve l'intégralité de la «trilogie Noriko» (dénommée ainsi par les critiques car l'actrice Setsuko Hara interprète un personnage nommée Noriko dans les trois titres) restaurée : 1949+1951+1953. Ce coffret (le plus complet actuellement disponible en VOSTF) comporte des exemples des genres principaux abordés par Ozu : comédies réalisées à la charnière du muet et du parlant, comédies dramatiques douces-amères réalistes des années 1930-1940 (contenant parfois une virulente critique sociale), comédies dramatiques et drames psychologiques (au style épuré N&B puis en couleurs à partir de 1958) de la décennie finale 1952-1962.

 

 

Sur le plan technique, notons que ce coffret présente 4 des 6 films tournés en couleurs par Ozu de 1958 à 1962 : seuls Herbes flottantes (Jap. 1959) - qu'il ne faut pas confondre avec le film muet de 1934 ici présent - et Dernier caprice / L'Automne de la famille Kohayagawa (Jap. 1961) manquent à l'appel, ce qui est dommage car ce passage à la couleur (tardif tout comme avait été tardif son passage au parlant en 1936) n'est pas anecdotique dans l'histoire de l'évolution stylistique de Ozu, depuis son premier film tourné en couleurs à savoir Fleur d'équinoxe (Jap. 1958) à son dernier qui est aussi son dernier film tout court, à savoir Le Goût du saké (Jap. 1962). Les titres couleurs de ce coffret sont mastérisés d'après une source 2K mais aucun n'est, assez curieusement, mastérisé d'après une source 4K. Le niveau supérieur 4K est réservé à des titres N&B filmographiquement plus anciens. Il y a là une certaine incohérence : il aurait fallu, au contraire, systématiquement procéder aux restaurations 4K en commençant par les titres récents en couleurs puis remonter progressivement la liste jusqu'aux N&B parlants puis muets des débuts. Ce coffret comporte en revanche l'intégralité restaurée 4K de la «trilogie Noriko».

 

On lit sur l'article Wikipédia consacré à Ozu que son oeuvre était «inconnue» en France avant 1978. Pas exploitée commercialement dans les cinémas mais inconnue, certainement pas. Le nom d'Ozu l'était chez nous depuis au moins 1955 : voir le n° spécial Japon de la revue Cinéma 55 petit format. La bibliographie en bas de l'article Wikipedia contredit d'ailleurs allégrement ce dernier puisqu'elle cite une monographie de Max Tessier sur Ozu publiée dans un des volumes de l'Anthologie du cinéma (éditions de l'Avant-Scène, Paris 1971) : 1971 c'est déjà nettement antérieur à 1978 ! Et on peut remonter plus haut sans difficulté : Georges Sadoul, Dictionnaire des cinéastes (éditions du Seuil, Paris 1965) lui consacre un article d'ensemble et le même Georges Sadoul, Dictionnaire des films (éditions du Seuil, Paris 1965) consacre certaines notices à certains de ses films (y compris muets) probablement visionnés à la Cinémathèque française ou lors de festivals.

 

En réalité, la véritable exploitation française des titres d'Ozu commença par la révélation, durant la saison cinéma 1979-1980, de son ultime titre tourné en 1962. Curieuse situation qui contribua sans doute à sculpter l'image qu'on se fit de lui à cette époque : celle d'un styliste méditatif, presque parnassien. Elle fut non pas modifiée (car elle est foncièrement valable concernant la période 1949-1962) mais enrichie à mesure qu'on nous révélait ses oeuvres de jeunesse et de maturité. On discerne certes, à l'occasion, dans ses oeuvres de jeunesse l'influence stylistique de cinéastes américains comiques (Ozu aimait Harold Lloyd et Buster Keaton) mais son propos est, dès les années 1930, foncièrement autre que celui de ces cinéastes américains. Il appartient à une autre culture et à une autre civilisation.

 

La France découvrit donc Ozu à rebours (alors que les cinéphiles américains le connaissaient depuis bien plus longtemps : Donald Richie & Joseph Anderson, Le Cinéma japonais, édition originale américaine de 1959, par exemple : le même Richie publie en 1980 un livre entièrement consacré à Ozu alors que la France commence tout juste à visionner son oeuvre) à la fois en exploitation commerciale normale dans les circuits de reprises des salles Arts et essais, dans divers festivals (au cinéma mais aussi à la télévision) et dans les grandes rétrospectives du cinéma japonais organisés par la Cinémathèque française (1984-1985) et le Centre Pompidou (1997). Son image se rééquilibra à mesure qu'on découvrait ses films d'avant-guerre et ses films muets. Dès 1980-1985, Ozu était considéré comme un des cinéastes majeurs de l'histoire du cinéma japonais par la critique française.

 

Depuis 1980-1985, la connaissance de l'histoire du cinéma japonais n'a cessé de s'approfondir en France, grâce aux rétrospectives, aux festivals, à la vidéo, à internet. On peut certes aujourd'hui reconnaître et admirer des cinéastes japonais contemporains ou postérieurs à lui, aussi divers et remarquables que Kinji Fukasaku, Inoshiro Honda, Teruo Ishii, Masaki Kobayashi, Yasuzo Masumura, Tomu Uchida (parmi des dizaines d'autres noms intéressants ou majeurs de la période 1930-2000), en toute connaissance esthétique de cause. L’œuvre d'Ozu n'en ressort nullement diminuée pour autant : elle demeure inaltérable, telle qu'en elle-même. Ozu serait-il donc «le plus japonais des cinéastes», ainsi qu'on se plaisait à le surnommer en France ? Ce nouveau coffret offre au novice comme au disciple et au connaisseur 20 clés permettant de ré-examiner cette intéressante question.

 

 

Liste des 20 titres classés en 2 sections (dans l'ordre filmographique) :

 

10 titres Full HD (format 1.37 respecté, compatible 16/9) nouvelles restaurations argentiques 2K et 4K :


Printemps tardif [Banshun] (Japon, 1949, N&B, durée 109 min.) Blu-ray n°2 - 4K

Eté précoce [Bakushu] (Jap., 1951, N&B, 125 min.) Blu-ray n°3 - 4K

Le Goût du riz au thé vert [Ochazuke no aji] (Jap., 1952, N&B, 116 min.) Blu-ray n°4 - 4K

Voyage à Tokyo [Tokyo monogatari] (Jap., 1953, N&B, 136 min.) Blu-ray n°5 - 4K

Printemps précoce [Soshun] (Jap., 1956, N&B, 145 min.) Blu-ray n°6 - 4K

Crépuscule à Tokyo [Tokyo boshoku] (Jap., 1957, N&B, 140 min.) Blu-ray n°7 - 4K

Fleurs d'équinoxe [Higanbana] (Jap., 1958, couleurs, 118 min.) Blu-ray n°8 - 2K

Bonjour ! [Ohayo !] (Jap. 1959, couleurs, 94 min.) Blu-ray n°9 - 2K

Fin d'automne [Akibyori] (Jap., 1960, couleurs, 129 min.) Blu-ray n°10 - 2K

Le Goût du saké [Sanma no aji] (Jap., 1962, couleurs, 113 min.) Blu-ray n°11 - 2K

 

10 autres titres (masters numériques SD et un HD) :

 

J'ai été diplômé mais... [Daigaku wa deta keredo] (Jap. 1929, fragment d'un long-métrage : durée conservée 12 min., VOSTF muet sans musique) - SD sur Blu-ray n°7

Tokyo 1929. Un jeune diplômé cache à sa mère qu'il est chômeur mais, grâce à l'exemple de sa confiante et énergique épouse, reprend confiance en lui et accepte un poste subalterne auquel sa fierté l'avait d'abord fait renoncer. Son employeur, touché par ce sacrifice, lui propose alors un poste d'un niveau plus élevé. Critique sociale contenant de savoureuses séquences de comédies (les après-midi du chômeur au jardin public, jouant au ballon avec les enfants) dont il ne reste hélas que des fragments très bien remontés dans leur continuité. Etat argentique médiocre mais peinture sans fard de la crise de 1929 et de ses conséquences au Japon. Certains éléments graphiques de comédie proviennent assez clairement de l'intérêt de Ozu pour des cinéastes américains tels que Buster Keaton ou Harry Langdon.

 

Le Choeur de Tokyo [Tokyo no korasu] (Jap. 1931, durée 90 min., VOSTF muet sans musique) - SD sur Blu-ray n°6

Père de deux enfants et au chômage car licencié, Okajima est obligé d'accepter un emploi d'homme-sandwich, portant un panneau publicitaire pour le restaurant fondé par son ancien professeur de culture physique. Ses enfants découvrent, incrédules, son nouveau métier. Scénario de Komatsu Kitamura et Kogo Noda. Peinture légèrement comique mais régulièrement démentielle des conséquences sociales au Japon de la crise mondiale de 1929. Intertitre célèbre : «Tokyo : capitale du chômage». Il faut bien comprendre que l'ancienne génération dépeinte dans les classiques de Ozu réalisés en 1949-1962 est précisément celle qui fut adolescente ou adulte durant cette période 1920-1945, qui a vécu le tremblement de terre de 1923, la crise de 1929, la Seconde guerre mondiale de 1939-1945.

 

Gosses de Tokyo [Otona no miru ehon umarete wa mita keredo] (Jap. 1932, durée 87 min., VOSTF muet sans musique, ) - SD sur Blu-ray n°9

Les deux enfants d'un petit employé de bureau de la banlieue de Tokyo demandent à leur père pourquoi il répond aussi obséquieusement à son patron. La réponse du père étant jugée insatisfaisante, les deux enfants entament une grève de la faim. Le père les punit, sachant néanmoins qu'ils ont raison. Comédie réaliste, à l'humour pince sans rire, au rire littéralement jaune. Le thème de la grève de la parole enfantine sera repris par Ozu dans son titre de 1959, dans le cadre de la critique plus ample de la «société de consommation» des années 1960.

 

Où sont mes rêves de jeunesse ? [Seishun no yume ima izuko] (Jap. 1932, durée 85 min., VOSTF muet sans musique) - SD sur Blu-ray n°2

Trois étudiants se lient d’amitié et courtisent une serveuse de bar. Lorsque le père de Tetsuo meurt, ce dernier hérite de l'entreprise familiale et il embauche ses camarades. Scénario de Kogo Noda. Une comédie parodiant les comédies américaines de la même époque. Nombreux extérieurs, plusieurs mouvements de caméra. Savoureuses allusions aux théories économiques de Smith et de Ricardo. Question posée au concours d'entrée : “Qu'est-ce que l'inflation ?”, terme popularisé par la crise économique allemande de 1923 puis la crise économique de 1929. Etat argentique assez bon.

 

Une Femme de Tokyo [Tokyo no onna] (Jap. 1933, durée 46 min., VOSTF muet sans musique) - SD sur Blu-ray n°3

Secrétaire le jour, Chikako travaille le soir dans un cabaret afin de financer les études de son frère Ryoichi. Lorsque ce dernier apprend son activité, il ne le supporte pas. Adapté d'un roman allemand de Ernst Schwartz. Ozu montre, dans un cinéma où se rend un couple, quelques plans du générique et de l'acteur Charles Laughton dans le film collectif Si j'avais un million (USA 1932) : acculturation ou appropriation culturelle ? Ni l'un ni l'autre : juste constat documentaire sur l'exploitation cinématographique à Tokyo en 1933. Et une discrète complicité aussi, concernant la critique de l'administration, de ses bureaux, de ses portes qui s'ouvrent et se ferment sans cesse, broyant les êtres humains qui les franchissent. Un curieux mélange de tons sous-tend l'ensemble, oscillant constamment entre comédie et drame mais s'achevant finalement en mélodrame, avec suicide à la clé. Etat argentique inégal mais assez bon globalement.

 

Histoire des herbes flottantes [Ukikusa monogatari] (Jap. 1934, durée 86 min., muet sans musique) - SD sur Blu-ray n°8

Diverses intrigues amoureuses sèment le trouble dans une troupe de comédiens ambulants au bord de la faillite, lorsque son directeur retrouve son ancienne maîtresse et hésite à reconnaître son fils naturel. Scénario adapté par Ozu de son roman. Ne pas confondre ce titre avec le long métrage couleurs de Ozu presque homonyme de 1959 mais au scénario différent bien que se déroulant dans le même milieu artistique. Etat argentique médiocre.

 

Une auberge à Tokyo [Tokyo no yado] (Jap., 1935, durée 75 min., muet avec musique) - SD sur Blu-ray n°8

Un père et ses deux enfants errent à la recherche d'un emploi. Dans une auberge, ils sympathisent avec une femme et sa petite fille : leurs situations familiales sont symétriques. Lorsque la petite fille tombe malade, l'homme vole l’argent nécessaire aux soins puis il se rend à la police. La marche de la famille errante durant la première partie a peut-être inspiré celle bien plus tard filmée dans Vidas secas (Brésil, 1963) de Nelson Pereira dos Santos. Écrit par Masao Arata et Tadao Ikeda. Etat argentique très médiocre : dommage car ce titre contient pas mal de séquences d'une beauté plastique confondante.

 

Le Fils unique [Hitori musuko] (Jap., 1936, durée 83 min., premier long métrage parlant de Ozu) - HD sur Blu-ray n°1

Shinshu, petit village de montagne au centre du Japon, en 1923 : une fileuse de soie élève seule son fils Ryosuke. Bon élève, celui-ci est en âge d’aller au lycée mais la mère s’y oppose car les études sont trop coûteuses. Elle finit néanmoins par accepter, se sacrifiant pour l’éducation de son fils. Treize années plus tard, Ryosuke s’est installé à Tokyo et sa mère lui rend visite pour la première fois. Malgré les efforts de son fils pour l’accueillir, elle découvre qu’il vit dans une situation précaire, déçu par les promesses de la grande ville. Adapté par Ozu de sa propre nouvelle et son premier film parlant. HD mais pas restauré 2K ni 4K. Etat argentique inégal, indiqué par un panneau préalable au générique de début.

 

Il était un père [Chichi ariki] (Jap., 1942, durée 87 min.) - SD sur Blu-ray n°9

Province : l'enseignant veuf Shuei Harikawa mène une vie modeste avec son fils unique. Lors d’un voyage scolaire, un de ses élèves se noie dans un lac. L’enseignant endosse la responsabilité de l’accident et démissionne. Il décide de quitter la ville avec son fils afin de retourner dans sa région natale ; cette réunion ne durera pas car le fils doit partir étudier en internat. Un chef-d'oeuvre annonçant clairement les oeuvres de la maturité par son esthétique rigoureuse, dépouillée, tendue, opposant la permanence de la nature aux errements humains et sociaux. Ecrit par Kogo Noda, Tadao Ikeda et Takao Yanai. Etat argentique assez bon.

 

Récit d'un propriétaire – chronique des gens ordinaires [Nagaya shinshiroku] (Jap., 1947, durée 71 min.) - SD sur Blu-ray n°4

Tashiro, habitant d'une banlieue de Tokyo portant encore les traces de la Seconde guerre mondiale, recueille un jeune garçon apparemment abandonné par son père, un charpentier. Les voisins, parmi lesquels une veuve qui n'a pas la fibre maternelle, décident d'enquêter sur ce garçon encombrant surgi de nulle part : progressivement, les éléments de la véritable histoire sont mis au jour. Quelques séquences assez curieuses d'extérieurs en bord de mer, sur la plage, entre une veuve et le petit garçon, annoncent un peu le cinéma expérimental des années 1960 par leur dénuement presque abstrait. Scénario et dialogues vifs et amusants. Description du Japon d'après guerre oscillant entre constat froid et lucide, humanisme chaleureux, curieux regard sociologique où tous semblent rescapés d'une catastrophe non-dite et non-filmée mais sous-tendant l'intrigue : la guerre elle-même, source de chaos. Et, comme toujours avec Ozu, quelques expérimentations esthétiques occasionnelles, au détour d'un film au premier abord presque néo-réaliste. Ecrit par Tadao Ikeda et Ozu. Etat argentique inégal.

 

3 courts et moyens métrages : Amis de combat / Combats amicaux à la japonaise [Wasei kenka tomodachi] (Jap. 1929, N&B, durée 14 min., VOSTF muet sans musique, sur Blu-ray n°2). Il s'agit d'un fragment de 14 minutes conservées d'un plus long métrage perdu, tourné en 9,5mm puis transféré pour restauration en 35mm. Deux amis pauvres mais partageant tout, recueillent dans leur appartement une jeune femme blessée par un accident de la route.

 

Un garçon honnête / Le Galopin [Tokkan kozo] (Jap. 1929, N&B, durée 14 min., VOSTF muet sans musique, sur Blu-ray n°4). Il s'agit là aussi d'un fragment de 14 minutes d'un plus long métrage perdu, tourné en 9,5mm puis transféré sur 35mm pour restauration, d'après une histoire originale de O'Henry, racontant le rapt d'un petit garçon qui se lie d'amitié avec son kidnappeur doté d'un curieux talent : l'art de grimacer d'une manière comique, au point d'étonner les jeunes filles qu'il croise au carrefour. La partie centrale est perdue, pour l'instant.

 

Kagamishi – La Danse du lion [Kikugoro no kagamijishi] (Jap. 1935, N&B, durée 24 min., VOSTF, parlant avec musique, sur Blu-ray n°10). Il s'agit d'un moyen métrage documentaire sur l'acteur de théâtre Kabuki nommé Kikugoro Onoe IV: on évoque ses origines, son éducation, ses premiers succès : il interprète, âgé de 51 ans, le rôle d'une jeune fille, Yayoi, possédée par l'esprit d'un lion. Le seul documentaire connu (pour l'instant) signé Ozu qui, évidemment, était féru d'art théâtral.

 

3 documentaires : J'ai vécu mais... [Ikite wa mita keredo – Ozu Yasujiro den] (Jap. 1983, VOSTF, 122 minutes, sur Blu-ray n°11) de Kazuo Inoue : documentaire japonais sur la vie et l'oeuvre de Ozu. Photographié par Yuharu Atsuta, son directeur favori de la photographie, il contient de nombreux témoignages (Chishu Ryu, Mariko Okada, Haruko Sugimura, etc.) illustrés par des documents de première main. On peut notamment y observer une sculpture de l'idéogramme «Mu» («Rien») qui décore la stèle noire de la tombe de Ozu. Supplément exclusif au coffret (mais qu'on trouvait déjà dans l'ancien volume II du coffret DVD). On le trouve sur le Blu-ray n°11 du film ultime d'Ozu, celui de 1962.

 

Chishu Ryu (1904-1993), la Shochiku et les studios d'Ofuna (Jap. 1988, 4/3, VOSTF, 45 min., sur Blu-ray n°7) de Kinichi Hanawa : Ryu, acteur principal de Ozu, revient aux studios Shochiku (localité d'Ofuna) qui ont vécu l'âge d'or du cinéma japonais de 1935 à 1965 et se souvient de ses tournages muets puis parlants avec Ozu, Kinoshita et d'autres cinéastes, de la période de la guerre, de la manière dont Ozu réalisait et dirigeait les acteurs. Il explique comment Ozu le spécialisa progressivement dans des rôles d'homme âgé. Témoignage de première main, émaillé de nombreuses anecdotes historiques et techniques, tourné avant, pendant et après la démolition des anciens studios. Ce documentaire avait été déjà annexé en 2006 à une édition single DVD Carlotta du titre de 1942 : il demeure indispensable à une connaissance de Ozu.

 

Conversations sur Ozu (1993, VOSTF, 80 min., sur Blu-ray n°10) avec les cinéastes Paul Schrader, Claire Denis, Wim Wenders, Stanley Kwan, Lindsay Anderson, Hou Hsiao-Hsien, Aki Kaurismaki. Ils sont filmés dans leur environnement naturel, leurs pays respectifs, parfois dans de mignons extérieurs (Hou Hsiao-Hsien, par exemple, se fait filmer devant des lieux qui servirent de décors réels à certains de ses propres films). Inégalement intéressant, assez peu homogène mais on peut grappiller ici ou là quelques remarques intéressantes.

 

7 documents divers : 1 module de restauration du titre de 1942, 1 analyse filmique du titre de 1942 par Jean Douchet, 1 analyse filmique du titre de 1953 par Charles Tesson, Kazuhiko Yatabe et Paul Jobin, 1 lecture d'extraits du livre de Kiju Yoshida sur Ozu à propos de son titre de 1953 illustré par des photos de plateau, enfin et surtout 3 «voyage au cinéma» en forme de retours sur les lieux de tournage des titres de 1951, 1953 et 1962.

 

Je recommande principalement ces trois «voyages au cinéma» présentés par une sympathique jeune fille cinéphile aux cheveux courts qui prie sur la tombe de Ozu au début de l'un d'eux; on y voit les studios Shochiku d'Ofuna, les extérieurs de Kamakura dans la préfecture de Kanagawa (et la fondation Kawakita qui s'y trouve, bien connue des cinéphiles français car elle avait participé à la rétrospective japonaise de 1985 à la Cinémathèque française) : chacun dure environ un quart d'heure et on y apprend de nombreuses informations de première main, parfois distillées par d'anciens techniciens ayant travaillé avec Ozu, sur la manière dont il tournait ses scènes, dirigeait ses acteurs, modifiaient l'emplacement des objets de ses décor et bien d'autres choses encore. On peut y observer le trépied métallique spécial (plus bas que la normale) de la caméra dont il se servait, ainsi que le schéma tétra-directionnel qu'il utilisait pour indiquer les déplacements d'objets dans le cadre. Sa précision semble avoir été réellement chirurgicale, concernant l'espace autant que concernant le temps de la mise en scène. On peut aussi le voir brièvement diriger les acteurs du titre de 1962 dans le «voyage» consacré à ce titre ultime de 1962. On peut y voir sa tombe et son fameux idéogramme inscrit sur la stèle.

 

3 entretiens : avec Catherine Cadou sur le titre de 1942, avec Jean-Jacques Beneix sur le titre de 1936, avec Jean-Michel Frodon sur l'évolution du style de Ozu.

 

4 «figures» : il s'agit en réalité de montages de plans de mer et de rivières (6 min.), de plans de trains et de voitures (10 min.), de plans d'affiches et de panneaux publicitaires (9 min.), de plans de linges, de fumées et de poteaux électriques (7 min.) prélevés dans divers titres de sa filmographie et remontés bout à bout : supplément absurde car redondant et inutile. Le cinéma étant autant un art du temps qu'un art de l'espace, un plan isolé de sa continuité n'a plus aucun sens filmique. Ici on traite les plans comme des photos d'exploitation mais les attendus esthétiques de ces deux objets sont différents : un plan de film n'est pas une photo d'exploitation ni vice-versa.

 

5 bandes-annonces originales : (format original respecté 1.33 pour les muets, 1.37 pour les parlants, N&B + couleurs, VOSTF, états argentiques et numériques inégaux, allant du médiocre à l'assez bon) des titres de 1953, 1958; 1959; 1960, 1962 + 1 bande-annonce Carlotta 2019 consacrée à l'ensemble du coffret. Les BA japonaises originales des 5 titres permettent de comprendre le message que le distributeur Shochiku voulait transmettre aux spectateurs japonais, notamment sur le plan sociologique : le cinéma d'Ozu, à partir de sa période classique de 1949, devient une sorte de miroir du Japon contemporain, non seulement objectif (comme l'est tout miroir) mais discrètement directif. La BA du titre de 1958 indique clairement au spectateur qu'on va lui montrer le conflit (mesuré mais réel) entre deux générations : celle des Japonais d'avant-guerre, celle d'après-guerre. Le suspense consiste dans le fait qu'il ignore dans quel sens ce conflit sera résolu : il doit aller voir le film pour le savoir. D'autres BA insistent plus classiquement sur le fait que le cinéma d'Ozu est un cinéma de la vie quotidienne dépeinte avec un style artistique personnel, sélectionné dans divers Festivals. La BA la plus intéressante est celle du titre final de 1962 : on y voit brièvement Ozu diriger les acteurs et le titre est qualifié par la voix off de mélodrame sur l'amour d'un père pour sa fille (situation exactement inverse de celle de Ozu qui vécut avec sa mère sa vie durant).

 

Spécifications techniques du coffret Ozu 20 films :

 

11 Blu-rays ou 15 DVD comprenant au total 20 longs métrages = 10 films longs métrages restaurés sur masters Full HD 1080 / 23.98p encodés AVC à partir de restaurations 2K et 4K + 10 autres longs métrages sur masters SD et HD. Intertitres japonais sous-titrés sur les films muets + VOSTF en DTS-HD Master Audio 1.0 sur les films parlants à partir de 1936. Formats image : 1.33 pour les films muets + 1.37 pour les films parlants. N&B jusqu'en 1958 et couleurs à partir de 1958. Durée totale des films : 1947 min. environ. Nombreux suppléments : documentaires sur le cinéma de Ozu, courts et moyens métrages de Ozu en SD et HD, divers entretiens, bandes-annonces, analyses de séquences, montages de plans sur un même thème à travers son oeuvre, etc.

 

FICHES ET CRITIQUES DES 10 FILMS RESTAURÉS 2K et 4K


 

 

Printemps tardif [(晩春, Banshun]

(1949 – Japon – 109 min. – format image 1. 37 N&B restauration 4K – DTS-HD Master Audio 1.0 VOSTF)


de Yasujiro Ozu avec Setsuko Hara, Haruko Sugimura, Kuniko Miyake, Yumeji Tsukioka, Chishu Ryu, etc.

 

Résumé du scénario : Tokyo et Kyoto, 1949. Noriko, âgée de 27 ans et convalescente d'une maladie contractée durant la Seconde guerre mondiale, vit seule avec son père veuf Somiya. Son père, sa tante et une amie tentent de la convaincre de se marier mais Noriko refuse d'abandonner son père. Sa tante ne renonce pourtant pas : elle trouve pour elle un possible prétendant et elle élabore un stratagème destiné à convaincre Noriko que son père peut bien vivre sans elle.

 

Critique : Écrit par Kogo Noda et Ozu d'après un roman de Kazuo Hirotsu. C'est le premier titre de ce qu'on nomme au Japon la «trilogie Noriko» tournée par Ozu avec en vedette l'actrice Setsuko Hara que les spectateurs japonais surnommaient la «vierge éternelle». Les deux autres titres de cette trilogie sont Été précoce (1951) puis Voyage à Tokyo (1953). Hara y incarne une jeune femme prénommée Noriko qui est une sorte d'ange, discrètement érotique en raison de sa beauté et obstinément vouée au culte de sa famille, qu'elle fait passer avant son bonheur personnel. Noriko incarnée par Hara est, dans le cinéma de Ozu, le symbole de la génération courageuse née avant-guerre puis confrontée à la reconstruction après-guerre. Elle maintient intacte les valeurs traditionnelles japonaises, en dépit des difficultés sociales et matérielles. La relation entre l'actrice et son cinéaste était si esthétiquement intense qu'elle renonça définitivement au cinéma après la mort de Ozu, alors qu'elle était au sommet de sa popularité. Sur le plan syntaxique, la plénitude est d'emblée atteinte. Il suffit de comparer ce titre de 1949 avec celui de 1947 pour mesurer l'évolution : le titre de 1942 l'annonçait certes déjà mais on peut vraiment dire qu'ici, le style définitif est atteint : les grands classiques d'Ozu reprendront sa morphologie, sa syntaxe et une partie de son casting jusqu'en 1962. A noter la séquence de représentation de théâtre No, durant laquelle Noriko se laisse prendre au stratagème de son père : on ne l'apprendra qu'à la fin. Montage parfois sophistiqué, presque esthétisant et les enchaînements réservent des surprises, opposant éléments naturels et «impermanence» humaine. A noter aussi l'insistance sur les signes de la présence américaine : panneaux en anglais, publicité pour Coca-cola, remarque sur le physique du fiancé ressemblant à Gary Cooper (qu'on ne verra jamais à l'écran). Elle est discrètement opposée à la représentation de la reconstruction du Japon par les Japonais : après le chaos, l'ordre est retrouvé et le dialogue des générations assure la continuité non seulement religieuse, morale, sociale, mais encore nationale.

 

 

 

Eté précoce [麦秋, Bakushu]

(1951 – Japon – 125 min. – format image 1. 37 N&B restauration 4K– DTS-HD Master Audio 1.0 VOSTF)

de Yasujiro Ozu avec Setsuko Hara, Chikage Awashima, Kuniko Miyage, Chishu Ryu, etc.

 

Résumé du scénario : Tokyo et Kamakura, préfecture de Kanagawa, 1951. Noriko, âgée de 28 ans, vit heureuse en compagnie de ses parents et de la famille de son frère marié et père de deux enfants. Elle mène une vie célibataire et indépendante, travaille et fréquente surtout des amies de son sexe mais sa famille et même ses supérieurs hiérarchiques estiment qu'elle devrait se marier. On lui recommande un homme de 40 ans, encore célibataire. Elle refuse, préférant choisir elle-même son mari.

 

Critique : Écrit et découpé d'une manière précise, pointilliste, par Kogo Noda et Ozu, c'est le second volet de la «trilogie Noriko» dans la filmographie de Ozu avec Setsuko Hara en vedette reprenant un personnage sociologiquement et psychologiquement proche du premier volet de 1949 mais il y ajoute un thème secondaire plus angoissant : la lente et inexorable dissolution d'une famille, au début réunie, progressivement séparée par les divers aléas de la vie. Ozu avait déclaré à propos de ce titre : «Davantage que l'histoire, j'ai voulu peindre les métamorphoses et les métempsychoses de l'éphémère». Le montage traduit constamment cette volonté : brusquement, une scène se conclut ou s'ouvre par un enchaînement surprenant ou inhabituel, rompant la psychologie de la scène, n'introduisant pas à la scène suivante mais constituant une rupture, un tout à lui seul, même de quelques secondes. Plans de pièces vides, d'arbres, d'objets. Le rappel de la Seconde guerre mondial est récurrent : on parle d'un parent disparu, probablement mort en opérations. Une certaine angoisse de mort flotte sur l'ensemble en dépit de quelques scènes de comédie (au salon de thé, la constitution du clan des vierges contre le clan des mariées, les mini-révoltes des enfants contre les adultes). Les plans symboliques les plus stupéfiants, bien que volontairement imbriqués dans la nécessité réaliste la plus apparente, sont ceux de l'après-midi au pied d'une statue de Bouddha. Casting admirable où Chishu Ryu ne tient pas encore le rôle d'un vieillard mais celui d'un homme mûr un peu bête et coléreux : une curiosité qui permet de mesurer les transformations physiques et psychologiques que lui fit subir Ozu. Concernant le style, un peu d'esthétisme (le ballon s'élevant dans les airs : figure de style convenue du cinéma japonais muet qu'on retrouve encore en 1975 dans Cimetière de la morale [Jingi no hakaba], film appartenant pourtant à un tout autre genre ― celui du film noir policier violent ― et signé par un cinéaste pourtant aussi original et novateur que Kinji Fukasaku) mais aussi d'admirables plans fixes (comme toujours chez Ozu) et de brefs mais remarquables travellings sans oublier un sublime mouvement de grue (promenade finale dans les dunes au bord de la mer) qui annonce tout à fait ce que feront, dix ans plus tard, plus franchement et amplement, des cinéastes tels que Hiroshi Teshigahara ou Masaki Kobayashi.

 

 

 

Le Goût du riz au thé vert [お茶漬の味, Ochazuke no aji]

(1952 – Japon – 116 min. – format image 1.37 N&B restauration 4K – DTS-HD Master Audio 1.0 VOSTF)

de Yasujiro Ozu avec Michiyo Kogure, Shin Saburi, Koji Tsuruta, Keiko Tsushima, Chishu Ryu, etc.

 

Résumé du scénario : Tokyo 1952 : Takeo, issue de la bonne société, est une épouse capricieuse et se lasse de son époux qui est un honnête cadre travailleur mais d'origine campagnarde. Parallèlement, sa nièce Setsuko se révolte contre la tradition exigeant qu'une femme doive se marier et contre la tradition des mariages arrangés.

 

Critique : Écrit par Kogo Noda et Ozu, l'intrigue oscille entre comédie, comédie dramatique et drame psychologique. Vaut d'être vu principalement pour deux scènes : celle de la reconnaissance suivie d'un dîner impromptu entre le caporal et son ancien subordonné devenu directeur d'une maison de jeux («pachinko» dont la sociologie et la psychologie sont mentionnées dans le dialogue avec une surprenante acuité critique) dans laquelle passe le souvenir de la guerre et de l'occupation de Singapour et de la Malaisie; celle de la fuite en train de Takeo vers la station balnéaire, occasion de prouesses photographiques en magnifiques transparences lorsqu'elle traverse un colossal pont de chemin de fer en acier. Dans la scène du souvenir de guerre, Chishu Ryu et Shin Saburi font passer l'angoisse de la mort à laquelle ils ont échappé ainsi que l'esprit du nationalisme militaire nippon dont ils furent les soldats. Dans la scène de la fuite ferroviaire de Takeo, il y a probablement un souvenir de ce que faisaient les cinéastes russes de la période muette soviétique. C'est la tentation permanente dans le cinéma japonais, y compris celui de Ozu, à savoir celle de l'esthétisme, de l'art pour l'art. Le reste de l'histoire est plus convenu. Un plan de travelling légèrement latéral, de quelques secondes, sur un public de théâtre Kabuki provient peut-être du titre antérieur de 1951. Au casting, la belle Chikage Awashima (rôle de Aya) est au sommet de sa beauté : on ne se lasse pas de la regarder lorsqu'elle apparaît. Keiko Tsuchima (rôle de la jeune Setsuko) joue un rôle féministe : son prénom renvoie directement à la trilogie Noriko jouée en vedette par Setsuko Hara. Et, pour le spectateur français, mentionnons un hommage à l'acteur Jean Marais que la jeune fille veut aller voir dans un film (dont le titre est négligé par le dialogue : seul le nom de cet acteur y est mentionné).

 

 

 

Voyage à Tokyo [東京物語,Tokyo monogatari]

(1953 – Japon – 136 min. – format image 1.37 N&B restauration 4K – son DTS-HD Master Audio 1.0 VOSTF)

de Yasujiro Ozu avec Chishu Ryu, Chieko Higashiyama, Setsuko Hara, So Yamamura, Haruko Sugimura, etc.

 

Résumé du scénario : au petit village côtier d'Onomishi puis à Osaka et Tokyo, 1953. Un couple âgé, Sukishi et Tomi, vit avec leur fille cadette Kyoko, maîtresse d'école. Ils décident de rendre visite à leurs autres enfants, vivant à Osaka et à Tokyo. Désabusés mais fatalistes, ils découvrent que seule Noriko, la veuve de leur fils mort à la guerre, leur témoigne une réelle affection. Ils en prennent leur partie, acceptant leur destin.

 

Critique : Écrit par Kogo Noda et Ozu, c'est le dernier volet de la «trilogie Noriko» et l'un des titres de Ozu les plus célèbres en France qui eut les honneurs de la télévision française à plusieurs reprises. Pourquoi cet engouement ? D'une part à cause du personnage principal féminin discrètement compatissant (interprétée par l'emblématique Setsuko Hara) qui touchait les spectateurs français, sensibles aux qualités morales évidentes du personnage. D'autre part, sans doute aussi, parce que le scénario décrit un sujet qui touchait à la même époque la société française : l'exode rural des jeunes générations vers les villes, l'abandon des personnes âgées. Le thème de la reconstruction de l'après-guerre est plus discret : Ozu y substitue celui, plus ample métaphysiquement, de la succession humaine des générations, source de souffrance dans la religion bouddhiste. C'est à la fois l'un de ses titres les plus proches du néo-réalisme italien et l'un de ses plus japonais sur le plan stylistique. Techniquement, c'est un des chefs-d'oeuvre de la période N&B : son dépouillement plastique et sa sobriété s'allient à des plans dont l'architecture confine parfois au symbolisme, voire à l'esthétisme. Et un des plus célèbres rôles de vieillard de l'acteur Ryu pour Ozu : d'autant plus fascinant rétrospectivement que Ryu, devenu réellement vieux, tel qu'on le voit dans les documentaires sur Ozu de 1983 et 1988, y ressemble dorénavant tout à fait aux personnages qu'il interprétait alors grimé.

 

 

 

Printemps précoce [早春, Soshun]

(1956 – Japon – 145 min. – format image 1. 37 N&B restauration 4K – son mono DTS-HD Master Audio 1.0 VOSTF)

de Yasujiro Ozu avec Keiko Kishi, Ryo Ikebe, Chikage Akashima, Chishu Ryu, etc.

 

Résumé du scénario : Tokyo, 1956. Shoji, employé dans la section administrative d'une manufacture de briques, impressionné par l'agonie d'un collègue et légèrement lassé de sa vie, y compris conjugale avec son épouse Masako qu'il aime cependant encore, tombe amoureux de la secrétaire Chiyo, une jeune célibataire volontaire et libérée. Son patron l'affecte en province où Masako le rejoint. Chiyo acceptera, sans rancune ni remords, sa défaite amoureuse.

 

Critique : Écrit par Kogo Noda et Ozu, c'est l'un des chefs-d'oeuvre de sa période N&B. Il y a ici une certaine virulence parfois à peine contenue. Le thème du couple désuni est certes traité d'une manière moins âpre que chez le cinéaste japonais contemporain Mikio Naruse (dont un beau coffret Carlotta a été assez récemment édité) mais il permet à Ozu de frôler, à plus d'une reprise, le drame psychologique. Interprétation en vedette de la belle actrice Keiko Kishi qui interprétera la non moins belle mais beaucoup plus redoutable «femme des neiges» dans l'une des histoires fantastiques de fantômes du célèbre Kwaidan (Jap. 1964) de Masaki Kobayashi. Notons aussi quelques effets de caméra (mi-subjective, mi-objective) inattendus et intégrés de main de maître à la continuité du montage : par exemple un travelling avant dans un couloir vide du siège administratif de l'entreprise, durant quelques secondes à peine, comme pour signifier la vacuité totale des activités humaines, ainsi comme sous-tendues par le silence et le néant, en translucide arrière-plan.

 

 

 

Crépuscule à Tokyo [東京暮色, Tokyo boshoku]

(1957 – Japon – 140min. – format image 1. 37 N&B restauration 4K – son mono DTS-HD Master Audio 1.0 VOSTF)

de Yasujiro Ozu avec Setsuko Hara, Ineko Harima, Isuzu Yamada, So Yamamura, Chishu Ryu, etc.

 

Résumé du scénario : Tokyo 1957. Deux soeurs vivent avec leur père. Akiko est enceinte d'une liaison extra-conjugale; Takako a quitté son époux et est revenue vivre au foyer paternel, en compagnie de son unique enfant. Leur mère, qu'elles tenaient pour morte, réapparaît subitement et raconte sa vie (elle tient à présent un salon de jeu) à Takako qui la supplie de cacher son existence à Akiko. Mais cette dernière apprend bientôt la nouvelle, ce qui provoque un drame.

 

Critique : Écrit par Kogo Noda et Ozu, c'est un Ozu peu connu en France mais passionnant en raison de sa tonalité avérée et unifiée de drame psychologique, assez rare en fin de compte, qu'il s'agisse de sa filmographie muette comme parlante. Distribué en 1972 aux USA sous le mignon titre de Tokyo Twilight, il ne fut révélé au cinéma en France qu'en 1994. Il est, depuis 2015, assez régulièrement sélectionné par les rétrospectives japonaises dans les festivals internationaux de cinéma. Sa photo N&B accentue les contrastes et multiplie les clairs-obscurs tranchés : elle est, de temps en temps, franchement inspirée par celle du film noir policier, qu'il soit japonais ou américain : la séquence de l'arrestation de Akiko en ressort directement. C'est, en outre, l'un des rares films de Ozu dont le scénario semble avoir été influencé par la thématique de son contemporain Mikio Naruse : mis à part le couple issu de la Seconde guerre mondiale, les autres finissent seuls, mal assortis ou se suicident. L'irruption du suicide est rare dans le cinéma de Ozu. Sans parler de l'avortement, ouvertement et très clairement abordé. Autre intérêt, le casting : la très mignonne actrice Ineko Arima qui jouait la même année en vedette dans Rivière noire (Jap. 1957) de Masaki Kobayashi, est opposée à l'égérie Setsuko Hara dans un rôle, inhabituel pour elle, d'épouse insatisfaite mais tentant malgré tout d'assurer encore une fois l'unité familiale entre les générations. Quelques effets esthétiques modernistes (montage sec de plans d'ensemble aux motifs presque abstraits tels que ces arbres dénudés) et d'autres provenant au contraire de temps bien plus anciens (l'enseigne d'un opticien représentant des yeux regardant à travers des lunettes, héritage direct du cinéma expressionniste allemand).

 

 

 

Fleurs d'équinoxe [彼岸花, Higanbana]

(1958 – Japon – 118 min. – format image 1. 37 couleurs restauration 2K– son mono DTS-HD Master Audio 1.0 VOSTF)

de Yasujiro Ozu avec Kinuyo Tanaka, Shin Shaburi, Ineko Arima, Keiji Sada, Chishu Ryu, etc.

 

Résumé du scénario : Tokyo, Hakone et Kyoto, 1958. Hirayama tient fréquemment des discours progressistes sur l'amour et le mariage. Lorsque sa fille aînée Setsuko veut épouser un jeune homme inconnu, il refuse pourtant obstinément. Elle parvient cependant, avec l’aide de sa mère et d'une amie progressiste, à organiser son mariage. Mais Hirayama refuse de leur donner sa bénédiction. Finalement, sous la pression de sa femme et d’un vieil ami, il finira par approuver le mariage et s'y rendre. Il aide également un vieil ami dont la fille est devenue hôtesse de bar à Ginza. A une réunion d'anciens élèves, les pères de famille méditent en écoutant un chant patriotique attribué à Kusunoki.

 

Critique : Adapté par Ozu et Noda d'une histoire de Ton Satomi, c'est son premier titre tourné en couleurs : de même qu'il avait été assez réticent à l'innovation technique du cinéma parlant (son premier film parlant date de 1936 alors que le procédé était généralisé depuis 1931), Ozu fut assez long à adopter la couleur (qui existait depuis l'époque du cinéma muet et se généralisait progressivement au cinéma mondial depuis 1945) puisque c'est en 1958 qu'il saute le pas. Il le saute en virtuose : la composition de chaque plan est équilibrée, certaines séquences sont à dominantes, d'autres alternent gracieusement les tons. L'un des thèmes principaux de Ozu y apparaît nettement : le père (ou le grand-père, selon les cas) devenant légèrement étranger à sa propre famille, constatant que le temps et la psychologie de la nouvelle génération lui échappent, qu'il est promis à la vieillesse et à la mort à son tour, l'acceptant. Thème parallèle également illustré : l'homme d'expérience à qui on demande conseil sur une matière dans laquelle il est considéré comme expert mais qui s'avère incapable de trouver la marche à suivre lorsque le problème le concerne à son tour : l'idée peut provenir du genre comique (dans lequel Ozu excella étant jeune) mais elle est ici adaptée d'une manière douce-amère, voire cruelle. Un dialogue curieusement philosophique, presque hégélien : « Seul Dieu ne se contredit pas alors que les hommes ne cessent de se contredire ». On sait que le Japon cultivé de l'ère Meiji lisait avec intérêt les classiques de l'histoire de la philosophie occidentale, allemande incluse bien entendu (c'est d'ailleurs toujours le cas aujourd'hui). A noter que l'héroïne Setsuko, jouée par Ineko Arima, porte le prénom de l'actrice fétiche de Ozu, Setsuko Hara. Ce n'est pas un hasard car Ineko Arima interprète ici un personnage dans la droite lignée de ceux auparavant interprétés par Setsuko Hara : la différence étant qu'ici, l'héroïne veut se marier (alors que les personnages joués par Setsuko Hara, dans la «trilogie Noriko», ne le voulaient pas) avec un homme refusé par son père. A noter aussi l'hymne poétique et patriotique attribué par le personnage joué par Ryu à Kusunoki (楠木氏) : cette référence culturelle est profondément patriotique voire même nationaliste, dans le contexte de l'occupation américaine du Japon. Elle tranche et s'oppose aux signes d'américanisation (publicités pour Coca-Cola, panneaux indicateurs écrits en anglais, etc.) relevés occasionnellement par la caméra de Ozu, souvent disposés en amorce ou en arrière-plan de certains plans d'ensemble en extérieurs.

 

 

 

Bonjour ! [お早う, Ohayo !]

(1959 – Japon – 94 min. – format image 1. 37 couleurs restauration 2K – son mono DTS-HD Master Audio 1.0 VOSTF)

de Yasujiro Ozu avec Keiji Sada, Yoshiko Kuga, Chishu Ryu, Kuniko Miyake, Haruko Sugimura, Eijiro Tono, etc.

 

Résumé du scénario : Isamu et Minaru, vivent avec leurs parents dans la banlieue de Tokyo. Un voisin possède un poste de télévision qui attire les enfants du quartier. Les deux gamins demandent à leurs parents d’en acheter une. Ceux-ci refusent et leur demandent de se taire : ils sont pris au mot.

 

Critique : Ecrit par Kogo Noda et Ozu, le sujet de Bonjour ! reprend en l'amplifiant l'idée de la révolte silencieuse des enfants contre leurs parents, autrefois filmée dans Gosses de Tokyo (Jap. 1932) de Ozu. Le thème revient régulièrement à l'occasion des séquences enfantines disséminées dans toute sa filmographie muette puis parlante : progressivement, il est de moins en moins traité comme thème de comédie au premier degré, de plus en plus comme thème symbolique d'une révolte contre les rapports humains contraignants et absurdes construits par les adultes. Révolte discrète par elle-même mais qui annonce tout de même, par sa critique de la société de consommation, la révolte adolescente de la génération hippie contre la culture industrielle dont la télévision est alors considérée comme un symbole. On peut même aller un cran plus loin dans l'analyse : le refus du langage par les enfants renvoie aux analyses philosophiques de Jean-Paul Sartre qui suspectait, dans L'Être et le néant (éditions Gallimard, Paris 1943) le langage de constituer, en raison de sa dimension sociale déjà construite, sinon un empêchement à la pensée personnelle, du moins une contrainte dont il fallait fondamentalement se méfier. De telles analyses seront reprises et amplifiées par la vogue de la sémiologie structuraliste durant la période faste de la linguistique des années 1960-1970. Le jeune professeur d'anglais considère au contraire le langage quotidien collectif comme un «lubrifiant» social permettant la communication de base mais il partage le point de vue enfantin concernant son inadaptation à l'essentiel. Du point de vue de Ozu, cette amusante mais acerbe critique (prolongée par divers exemples : les mères de famille de l'association ont tendance à substituer les mots aux choses, à imaginer au lieu d'observer réellement et de communiquer réellement) s'appuie cependant d'abord et avant tout sur la tradition silencieuse du bouddhisme : le silence y est fondamentalement préférable à la parole, dans une perspective religieuse. A noter la durée, inférieure à 100 minutes : cas rare puisque la majorité des films d'Ozu tournés à partir de 1949 durent nettement plus longtemps. Par ailleurs, description réaliste et acerbe, ironique, désabusée de la vie dans une banlieue modeste (au niveau de vie nettement inférieur à celui des protagonistes des titres antérieurs) qui ramène Ozu à certains des films de sa jeunesse : le casting est savoureux. Un grand moment : la discussion au café sur la théorie émise par Ryu selon laquelle la TV finirait par provoquer l'abrutissement général du Japon à brève échéance, raison pour laquelle il refuse d'en acheter une à ses enfants. Mise en scène soignée, millimétrée et quelques hommages discrets au cinéma français et américain contemporain : en arrière-plan, on peut distinguer fugitivement, accrochées au mur de deux chambres, des affiches de Les Amants (Fr. 1958) de Louis Malle et de La Chaîne (The Defiant Ones, USA 1958) de Stanley Kramer. Ce dernier sera l'objet d'un remake-variation japonais : Prisonniers d'Abashiri (Jap. 1965) de Teruo Ishii dont le succès fut si considérable qu'il engendra une des séries de films les plus populaires de toute l'histoire du cinéma japonais.

 

 

 

Fin d'automne [秋日和, Akibiyori]

(1960 – Japon – 129 min. – format image 1. 37 couleurs restauration 2K– son mono DTS-HD Master Audio 1.0 VOSTF)

de Yasujiro Ozu avec Setsuko Hara, Yoko Tsukasa, Mariko Okada, Keiji Sada, Shin Shaburi, Chishu Ryu, etc.

 

Résumé du scénario : Depuis la mort de son père, sept ans ont passé et la jeune Ayako Miwa vit encore avec sa mère Akiko. Trois anciens amis du défunt, qui furent amoureux de Akiko, décident d'honorer la mémoire du mort : ils prendront en charge l’avenir d’Ayako en lui trouvant un mari. Mais Ayako ne veut pas abandonner sa mère à la solitude. Les trois hommes décident alors, pour vaincre cet obstacle, de marier Akiko. Ce qui provoque un conflit entre elle et sa fille, dont l'entourage viendra à bout grâce à l'abnégation d'Akiko.

 

Critique : Adapté par Kogo Noda et Ozu du roman de Ton Satomi, ce titre confère, l'âge venant, le rôle de mère à Setsuko Hara tandis que sa fille, interprétée par Yoko Tsukasa, est dotée par le scénario d'une psychologie et d'un caractère exactement identiques à ceux des jeunes filles autrefois interprétées par la même Setsuko Hara. Savoureuse mise en abîme des personnages et de leurs interprètes par le cinéaste, conscient au plus haut degré des effets dramaturgiques de ces modifications de casting sur le spectateur japonais ayant vu ses films antérieurs. Il y a vraiment quelque chose de balzacien chez Ozu : tout comme Balzac, Ozu tisse progressivement d'étranges liens de similitude et de dissemblance, de filiation et d'imitation, faisant presque, selon la formule célèbre de Balzac lui-même, concurrence à l'état civil tant les peintures sont vivantes et précises. Aux quelques réminiscences de la guerre, s'ajoute la vision d'une sorte de renaissance du Japon : matérielle (Ozu prend plaisir à filmer les éléments matériels d'un pays reconstruit) et morale (les diverses générations contribuant à résoudre chaque élément de conflit, assurant la transmission de l'essence du Japon de générations en générations). En apparence le film plaide pour le féminisme et la modernité des moeurs mais sur le fond, c'est l'inverse : l'héroïne Akiko se sacrifie pour que sa fille reproduise et transmette le mariage traditionnel. Le cinéma d'Ozu est un cinéma authentiquement réactionnaire et conservateur : chaque personnage est évalué moralement par le scénario selon sa capacité à préserver cette essence nationale et à s'y conformer. Ce qui n'empêche pas une liberté de ton parfois surprenante dans le contexte : la sexualité est évoquée gaiement et librement, notamment celle des personnes âgées. Sur le plan technique, sublimes plans d'ensemble magnifiant les moindres séquences en extérieurs et utilisation raffinée de la couleur dans la composition des plans.

 

 

 

Le Goût du saké [秋刀魚の味, Sanma no aji]

(1962 – Japon – 113 min. – format image 1.37 couleurs restauration 2K – son mono DTS-HD Master Audio 1.0 VOSTF)

de Yasujiro Ozu avec Chishu Ryu, Shima Iwashita, Kyoko Kishida, Keiji Sada, Mariko Okada, Eijiro Tono, Daisuke Kato, Kuniko Miyake, etc.

 

Résumé du scénario : Tokyo, 1962. Hirayama, veuf depuis peu, a trois enfants : Kazuo, son fils marié qui a tendance à dépenser plus que ce que son salaire ne lui permet, sa fille Michiko qui aimerait trouver l'amour mais demeure célibataire afin de s'occuper de son père et d'élever Koichi, son jeune frère cadet. Le vieux professeur Sakuma, devenu pauvre et qui tient une épicerie avec sa fille, se reproche devant Hirayama de gâcher l’avenir de cette dernière. Frappé par la similitude de leur situation, Hirayama décide alors de marier Michiko mais elle refuse d'abandonner son père. Après bien des péripéties, le mariage aura lieu.

 

Critique : Écrit par Kogo Noda et Ozu, cet ultime titre tourné par Ozu en 1962 tient une place similaire dans sa filmographie à celle du dernier film de Kenji Mizoguchi tourné en 1956, à savoir celle d'un ultime chef-d'oeuvre synthétisant les qualités plastiques et les visées thématiques de son cinéaste. Oscillant sans cesse entre comédie et comédie dramatique, une sourde et méditative tristesse s'y fait régulièrement jour. Il traite, comme tous les titres de cette période finale majeure 1949-1962, à la fois le thème de la solitude engendrée par la vieillesse et celui du renouvellement des générations. Thème brûlant en cette année 1962 pour Ozu lui-même qui perd sa mère puis mourra à son tour l'année suivante. Le thème de la guerre refait surface dans une séquence stupéfiante (la rencontre entre l'ancien capitaine et son subordonné) où on médite sur la défaite, la guerre, la paix tandis que la barmaid n'omet évidemment pas de leur faire écouter un disque de l'hymne de la marine militaire. Les célèbres plans d'ensemble d'enseignes colorées urbaines, presque abstraites en raison de leur dépouillement géométrique (celui-là même qui fascinait Roland Barthes), illustrent fondamentalement l'opposition entre la fluctuation des désirs humains, leur vanité profonde et la permanence de la divinité dans le bouddhisme, à laquelle renvoie celle de la nature. Casting féminin de deux actrices bientôt célèbres de la Nouvelle vague japonaise : Kyoko Kishida (La Femme des sables, 1964) et Shima Iwashita (Double suicide à Amijima, 1969). Casting masculin remarquable de Eijiro Tono en professeur devenu pauvre, alcoolique (sorte de double maléfique de Hirayama : les dialogues le présentent ainsi à plusieurs reprises) et de Daisuke Kato en ancien combattant devenu garagiste mais toujours militariste et nationaliste. Pour le reste, une grande partie de la vieille garde des castings d'Ozu est présente à l'appel. Presque entièrement tourné en intérieurs de studio, sauf les plans de coupe de paysage et la séquence de la gare. Film-somme par lequel le hasard fit débuter la connaissance de Ozu en France mais ce fut assurément un heureux hasard car on commençait par le plus beau et le plus achevé.

 

Francis Moury