Linda Medley
Fanny Soubiran
Le Château l'Attente est un refuge pour tous ceux, sans distinction de sexe, de races ou de classe sociale, qui cherchent un havre de paix, une retraite pour oublier les malheurs ou les alléas de leur existence. On y retrouve une galerie de personnages disparates, parmi lesquels l'intendant à tête d'oiseau Rackham Ciconius, la Soeur Paix, la cuisinière Dinah Lucina et son fils un peu simplet Simon, Chess le chevalier au physique de cheval, l'énigmatique et vaguement inquiétant Docteur Fell, le laconique forgeron Henry et les trois dames de compagnie vieillissantes de celle qui fut, il y a bien longtemps, la Belle au bois dormant à qui appartenait d'ailleurs le château.Le début de l'histoire voit surgir une nouvelle arrivante, Jaine Solander, une jeune femme enceinte et obligée de fuir un mari violent qui la battait. C'est à travers elle que nous apprenons peu à peu à suivre le mode de vie de ce microcosme et à connaître chacun de ses résidents. Particulièrement dans ce premier tome l'atypique et anticonformiste Soeur Paix, une religieuse qui a bien des choses à raconter sur sa vie passée, riche en situations souvent cocasses.Et à cette galerie vient bientôt s'ajouter l'enfant de Dame Jaine, à l'aspect plutôt... inhabituel. La sortie récente du tome 2 chez un autre éditeur (Delcourt) qui a heureusement conservé le même format "roman" et la même présentation, m'a enfin décidé à me procurer le premier tome de ce comics dont le moins qu'on puisse dire est qu'il tranche étonnament avec la production US courante, tant par son propos que par son graphisme. En premier lieu, j'ai été épaté de constater que Linda Medley est parvenue à garder toute mon attention tout au long de cette brique de 450 pages avec... une série de petits riens, de petits événements accolés les uns aux autres, parfois très banals et d'autre fois sortant un peu plus de l'ordinaire mais dans les deux cas, l'auteure parvient toujours à susciter l'intérêt par la manière sympathique dont elle les raconte et le charme qu'elle parvient à leur donner. Et c'est d'autant plus étonnant d'avoir choisi ce genre d'approche intimiste dans un contexte médiéval-fantastique. Car ici, il n'y a ni grande quête à accomplir, ni dragon à tuer, ni royaume à conquérir par le tranchant de l'épée, ni anneau à détruire. Tout au plus, dans un très long flash-back vécu par Soeur Paix qui occupe presque la moitié du tome, l'histoire un tant soit peu dramatique de la femme à barbe exploitée dans un cirque, qui s'y échappe et est poursuivie par son "propriétaire" mais dans ce registre, c'est quasiment tout.Autant d'ailleurs le dire d'emblée : ceux qui ne jurent que par les épopées d'héroïc-fantasy pleine de bruits et de fureur risquent d'en être pour leurs frais (26 euros exactement).Château l'Attente est un album presque dénué de tout enjeu dramatique, de violence, de suspense, d'aventures mouvementée, de guerres et de tout ce qui, habituellement, sont les ingrédients de la plupart des histoires, tant il est reconnu que le bonheur n'en a pas et que seuls les ennuis sont susceptibles d'en créer.A cette règle en apparence incontournable, Linda Medley répond en livrant une oeuvre le plus souvent paisible, lumineuse, d'où se dégage juste quelques soubresauts contrariants, certes, mais qui ne sont pas à proprement parler des drames non plus. Le tout et contre tout attente sans susciter le moindre ennui chez le lecteur, bien au contraire. Un exploit.Une des raisons de cette réussite vient probablement de la chaleur, de l'humanisme et de la bonne humeur qui s'en dégage : les personnages sont tous attachants et l'on se sent tout simplement bien en leur compagnie. Ils forment une sorte de famille dont le lecteur est un peu un membre supplémentaire. Du coup, on s'intéresse à eux, à leur passé, leurs particularités, leurs fêlures, leur mystère aussi. Car si on apprend bien quelques petites choses sur les uns et les autres, ce tome 1 se focalise, après la première moitié, essentiellement sur le passé d'un seul personnage (la religieuse Soeur Paix). On peut supposer que les autres tomes en fassent de même pour les autres réfugiés du château.On se surprend donc à suivre avec intérêt un visite en ville pour approvisionnement, un toit qui fuit, des femmes qui se teintent les cheveux en rouge pour meubler leur désoeuvrement ou encore des gobelins chapardeurs qui remplacent des écus par des cailloux. La vie, quoi ! Car tout est dans la manière de raconter.L'humour est omniprésent et du meilleur goût, entre l’inénarrable Soeur Paix et les épisodes de sa vie (notamment son séjour dans l'abbaye de l'ordre des Sollicitines, composé uniquement de religieuses barbues) et le chevalier Chess, fier à bras et grand séducteur de la gente féminine mais qui voit une de ses conquêtes lui échapper au profit du vieil intendant Rackham.A propos de la gente féminine, d'ailleurs, il m'est apparu que cette oeuvre distillait un féminisme assez marqué sans pour autant tomber dans le militantisme pesant. Ainsi, il paraît clair que les personnages les plus émergents et les plus affirmés sont féminins, que l'album évoque certains sujets auxquels un auteur masculin n'aurait pas forcément pensé (comme celui des femmes battues et/ou exploitées par exemple) et que le droit à l'indépendance de la femme et celui de disposer librement de sa vie, même dans un contexte médiéval, est une des constantes de l'album. Elles se révèlent de surcroît, il faut bien l'avouer, plus finaudes que leurs vis à vis masculins.Cette volonté féministe (ou cette sensibilité féminine comme on voudra) va jusqu'à provoquer gentiment le lecteur mâle en ceci que les héroïnes, par exemple, ne sont guère attirantes sur le plan physique et c'est un euphémisme ! Et je ne parle pas seulement ici de l'idée un chouïa dérangeante pour le lecteur masculin de suivre, dans la seconde partie de l'album, la vie de femmes à la pilosité faciale nettement peu engageante... car les autres sont loin d'être aussi girondes qu'une Pélisse dans La Quête de l'oiseau du temps. Amateurs de belles plantes... ne vous abstenez pas mais soyez prévenus.On notera également que les deux seuls personnages féminins séduisants sont, comme par hasard, un démon ayant pris cette forme pour tromper un homme dans le premier cas et, dans le second, une "voleuse de mari" sans cervelle. Quant à la Belle au bois dormant du prologue, elle ne se distingue pas non plus pour son intelligence mais plutôt par son insouciance et sa superficialité.Voyons-y plutôt une façon pour l'auteure d'aller au-delà des apparences en montrant les qualités humaines de ses héroïnes et de s'amuser des a priori masculins plutôt que l'expression d'une mentalité vacharde (ou revancharde). Le dessin en noir et blanc, quant à lui, est simple, sans prétention, mais net, précis, limpide, à l'instar des événements racontés. Proche de la ligne clair. Le découpage est également des plus basique et il ne faut pas s'attendre à des compositions de planches sophistiquées. Mais encore une fois, ces choix sont en adéquation avec le contenu scénaristique. En un mot et considérant le nombre de pages : digeste. Et la lecture de ce volumineux album en est donc fluide.Après une petite pause, je compte bien continuer cette aventure... humaine. Note : 9/10 Vorpalin A propos de cette BD : - Site de l'éditeur : http://www.caetla.fr/
Le Château l'Attente est un refuge pour tous ceux, sans distinction de sexe, de races ou de classe sociale, qui cherchent un havre de paix, une retraite pour oublier les malheurs ou les alléas de leur existence. On y retrouve une galerie de personnages disparates, parmi lesquels l'intendant à tête d'oiseau Rackham Ciconius, la Soeur Paix, la cuisinière Dinah Lucina et son fils un peu simplet Simon, Chess le chevalier au physique de cheval, l'énigmatique et vaguement inquiétant Docteur Fell, le laconique forgeron Henry et les trois dames de compagnie vieillissantes de celle qui fut, il y a bien longtemps, la Belle au bois dormant à qui appartenait d'ailleurs le château.Le début de l'histoire voit surgir une nouvelle arrivante, Jaine Solander, une jeune femme enceinte et obligée de fuir un mari violent qui la battait. C'est à travers elle que nous apprenons peu à peu à suivre le mode de vie de ce microcosme et à connaître chacun de ses résidents. Particulièrement dans ce premier tome l'atypique et anticonformiste Soeur Paix, une religieuse qui a bien des choses à raconter sur sa vie passée, riche en situations souvent cocasses.Et à cette galerie vient bientôt s'ajouter l'enfant de Dame Jaine, à l'aspect plutôt... inhabituel. La sortie récente du tome 2 chez un autre éditeur (Delcourt) qui a heureusement conservé le même format "roman" et la même présentation, m'a enfin décidé à me procurer le premier tome de ce comics dont le moins qu'on puisse dire est qu'il tranche étonnament avec la production US courante, tant par son propos que par son graphisme. En premier lieu, j'ai été épaté de constater que Linda Medley est parvenue à garder toute mon attention tout au long de cette brique de 450 pages avec... une série de petits riens, de petits événements accolés les uns aux autres, parfois très banals et d'autre fois sortant un peu plus de l'ordinaire mais dans les deux cas, l'auteure parvient toujours à susciter l'intérêt par la manière sympathique dont elle les raconte et le charme qu'elle parvient à leur donner. Et c'est d'autant plus étonnant d'avoir choisi ce genre d'approche intimiste dans un contexte médiéval-fantastique. Car ici, il n'y a ni grande quête à accomplir, ni dragon à tuer, ni royaume à conquérir par le tranchant de l'épée, ni anneau à détruire. Tout au plus, dans un très long flash-back vécu par Soeur Paix qui occupe presque la moitié du tome, l'histoire un tant soit peu dramatique de la femme à barbe exploitée dans un cirque, qui s'y échappe et est poursuivie par son "propriétaire" mais dans ce registre, c'est quasiment tout.Autant d'ailleurs le dire d'emblée : ceux qui ne jurent que par les épopées d'héroïc-fantasy pleine de bruits et de fureur risquent d'en être pour leurs frais (26 euros exactement).Château l'Attente est un album presque dénué de tout enjeu dramatique, de violence, de suspense, d'aventures mouvementée, de guerres et de tout ce qui, habituellement, sont les ingrédients de la plupart des histoires, tant il est reconnu que le bonheur n'en a pas et que seuls les ennuis sont susceptibles d'en créer.A cette règle en apparence incontournable, Linda Medley répond en livrant une oeuvre le plus souvent paisible, lumineuse, d'où se dégage juste quelques soubresauts contrariants, certes, mais qui ne sont pas à proprement parler des drames non plus. Le tout et contre tout attente sans susciter le moindre ennui chez le lecteur, bien au contraire. Un exploit.Une des raisons de cette réussite vient probablement de la chaleur, de l'humanisme et de la bonne humeur qui s'en dégage : les personnages sont tous attachants et l'on se sent tout simplement bien en leur compagnie. Ils forment une sorte de famille dont le lecteur est un peu un membre supplémentaire. Du coup, on s'intéresse à eux, à leur passé, leurs particularités, leurs fêlures, leur mystère aussi. Car si on apprend bien quelques petites choses sur les uns et les autres, ce tome 1 se focalise, après la première moitié, essentiellement sur le passé d'un seul personnage (la religieuse Soeur Paix). On peut supposer que les autres tomes en fassent de même pour les autres réfugiés du château.On se surprend donc à suivre avec intérêt un visite en ville pour approvisionnement, un toit qui fuit, des femmes qui se teintent les cheveux en rouge pour meubler leur désoeuvrement ou encore des gobelins chapardeurs qui remplacent des écus par des cailloux. La vie, quoi ! Car tout est dans la manière de raconter.L'humour est omniprésent et du meilleur goût, entre l’inénarrable Soeur Paix et les épisodes de sa vie (notamment son séjour dans l'abbaye de l'ordre des Sollicitines, composé uniquement de religieuses barbues) et le chevalier Chess, fier à bras et grand séducteur de la gente féminine mais qui voit une de ses conquêtes lui échapper au profit du vieil intendant Rackham.A propos de la gente féminine, d'ailleurs, il m'est apparu que cette oeuvre distillait un féminisme assez marqué sans pour autant tomber dans le militantisme pesant. Ainsi, il paraît clair que les personnages les plus émergents et les plus affirmés sont féminins, que l'album évoque certains sujets auxquels un auteur masculin n'aurait pas forcément pensé (comme celui des femmes battues et/ou exploitées par exemple) et que le droit à l'indépendance de la femme et celui de disposer librement de sa vie, même dans un contexte médiéval, est une des constantes de l'album. Elles se révèlent de surcroît, il faut bien l'avouer, plus finaudes que leurs vis à vis masculins.Cette volonté féministe (ou cette sensibilité féminine comme on voudra) va jusqu'à provoquer gentiment le lecteur mâle en ceci que les héroïnes, par exemple, ne sont guère attirantes sur le plan physique et c'est un euphémisme ! Et je ne parle pas seulement ici de l'idée un chouïa dérangeante pour le lecteur masculin de suivre, dans la seconde partie de l'album, la vie de femmes à la pilosité faciale nettement peu engageante... car les autres sont loin d'être aussi girondes qu'une Pélisse dans La Quête de l'oiseau du temps. Amateurs de belles plantes... ne vous abstenez pas mais soyez prévenus.On notera également que les deux seuls personnages féminins séduisants sont, comme par hasard, un démon ayant pris cette forme pour tromper un homme dans le premier cas et, dans le second, une "voleuse de mari" sans cervelle. Quant à la Belle au bois dormant du prologue, elle ne se distingue pas non plus pour son intelligence mais plutôt par son insouciance et sa superficialité.Voyons-y plutôt une façon pour l'auteure d'aller au-delà des apparences en montrant les qualités humaines de ses héroïnes et de s'amuser des a priori masculins plutôt que l'expression d'une mentalité vacharde (ou revancharde). Le dessin en noir et blanc, quant à lui, est simple, sans prétention, mais net, précis, limpide, à l'instar des événements racontés. Proche de la ligne clair. Le découpage est également des plus basique et il ne faut pas s'attendre à des compositions de planches sophistiquées. Mais encore une fois, ces choix sont en adéquation avec le contenu scénaristique. En un mot et considérant le nombre de pages : digeste. Et la lecture de ce volumineux album en est donc fluide.Après une petite pause, je compte bien continuer cette aventure... humaine. Note : 9/10
Vorpalin
A propos de cette BD :
- Site de l'éditeur : http://www.caetla.fr/