Léonid Miller s'est toujours tenu à l'écart de la réalité et des relations humaines, tout aussi infréquentables à ses yeux. Pour leur substituer le monde de la fiction et du cinéma en particulier, qui le passionne.
Travaillant chez lui comme concepteur de sites web, bien entouré de ses chers livres et affiches de cinéma, l'existence réelle de Léonid se réduit à pas grand-chose mais il se trouve satisfait de n'être qu'un spectateur.
Mais la réalité ne se laisse pas aussi aisément congédier et, un jour qu'il sort d'une salle de cinéma, l'homme réalise qu'il est devenu subitement invisible, inaudible et impalpable pour le reste du monde.
Lui qui existait déjà si peu en est maintenant réduit à l'état peu désirable de quasi fantôme.
Il rencontre par hasard Françoise Angelli, une jeune actrice à la popularité grandissante et, par curiosité, se met à fréquenter le plateau de tournage de son dernier film. Il ne tarde pas à remarquer que la jeune femme, insatisfaite de son métier d'actrice sur lequel elle comptait pour exister, se met elle aussi peu à peu à s'éloigner du monde, des gens, de la réalité...
Après s'être fait connaître en tant que dessinateur avec l'excellente série victorienne Fog, scénarisée par Seiter, Cyril Bonin s'est depuis quelques années décidé à travailler en solo. Avec Chambre obscure, d'abord, un dyptique très agréable dans la lignée des aventures d'Arsène Lupin, puis l'adaptation de La belle image, un roman fantastique peu connu de Marcel Aymé. Un album qui a acquis instantanément à mes yeux le statut de chef-d'oeuvre. Bonin revient avec un nouveau one-shot qui, s'il n'atteint pas vraiment la perfection du précédent, reste un album de qualité et propose, encore une fois, une réflexion intéressante qui m'a particulièrement interpellé sur les rapports entre réalité et fiction, mais surtout sur le refus que peuvent éprouver certaines personnes à côtoyer un réel souvent décevant et se laisser séduire par les sirènes de l'imaginaire, au point qu'il en vient à remplacer la vie. Bonin traite le sujet de la manière la plus pertinente et efficace qui soit : sous la forme d'une fable fantastique et le recours à la métaphore du simili ectoplasme que finit par devenir son personnage.
La première moitié de l'album, quoique maîtrisée, reste toutefois sans grande surprise et l'on suit les étapes classiques et les conséquences que l'on peut imaginer pour ce type de récit : la découverte du phénomène, la stupéfaction initiale, les questions, puis peu à peu la résignation.
Bonin avait déjà utilisé le même principe pour La belle image et les deux albums ont d'ailleurs des similitudes évidentes.
C'est surtout la rencontre avec l'actrice, dans la seconde partie, qui ajoute de l'intérêt à l'histoire puisque le désarroi de la jeune femme entre en résonance avec la situation de Léonid (avec, pour tous deux, le cinéma comme substitut à l'existence) jusqu'à faire ressentir, à partir de ce moment, une plus grande empathie au lecteur pour cette dernière.
Il faut signaler que, pour la première fois, Bonin quitte sa période de prédilection (entre la fin du XIXiè et les années 20) pour situer, pour la première fois, ce nouvel album à l'époque contemporaine. Son dessin s'y adapte sans problème et si l'on pouvait surtout craindre, en revanche, que les couleurs dont se sert à l'accoutumée l'auteur (avec une forte dominante de brun) soient moins en phase avec l'époque moderne, elles passent assez facilement, ajoutant d'ailleurs un petit côté rétro qui a son charme. Bonin n'a d'ailleurs pas coupé complètement les liens qui le rattache à ses périodes préférées : le film tourné par Françoise Angelli se situe vers 1910 et on trouve dans l'album nombre de références au cinéma américain des années 40-50, notamment certaines scènes de La mort aux trousses d'Hitchock et La garçonnière de Billy Wilder.
Au final, L'homme qui n'existait pas reste un one-shot très recommandable malgré un traitement très classique, mais qui évite au moins toute esbroufe et recours à un ésotérisme de bazar souvent de mise dans le fantastique d'aujourd'hui, pour proposer une histoire simple, limpide mais qui pousse aussi à une réflexion salutaire.
Bref, Bonin propose un fantastique comme on n'en fait presque plus. Et s'il ne parvient pas à retrouver tout à fait, selon moi, la force de La belle image, ce nouvel album reste un excellent cru de la part d'un auteur qui fait preuve d'une belle régularité dans la qualité de ses productions.
Note : 8,5/10
Vorpalin
A propos de ce livre :
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