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Aalehx
Écrit par Hëlëne   

 

 

Interview réalisé le 30 mars 2012 au Gobelin vapeur à Metz.

 

 

Interview d'Aalehx à l'occasion de la sortie de son œuvre "Le patin sans visage"

 

 

L'ARTISTE

 

 

Peux-tu te présenter brièvement et nous parler un peu de ton parcours d'artiste ?

 

Mon parcours d'artiste.... si on peut appeler ça un parcours parce que je n'ai rien fait d'autre avant ça en fait ; pas de formation particulière. Je me suis lancé et c'est parti. C'est mon premier projet, donc... c'est le début quoi.

 

 

C'est ton premier projet en tant qu'artiste visuel, mais tu as déjà eu des projets en tant que chanteur. Quand je dis "artiste" c'est en général.

 

C'est vrai que j'ai eu des groupes mais... comme tout le monde on va dire... au lycée, à la fac, des groupes de rock. Mais ça n'était pas fait pour devenir gros, c'était pour s'amuser.

 

 

LE PANTIN

 

 

Une des tendances actuelle est de faire tomber les barrières entre les différentes expressions artistiques. Tu as toi-même toujours été musicien et artiste visuel en parallèle et tu as notamment réalisé les artworks de ton groupe The Jack's. Mais il est rare qu'un seul artiste incorpore par lui-même autant de formes d'art (bande dessinée, vidéo, musique, contes, et décor scénique) et au sein de la même œuvre : d'où est venue cette envie de mélanger les genres au sein d'une même création ?

 

Pour ne pas être frustré je pense : j'aime bien tout faire, donc j'ai tout fait. Et puis c'est toujours plus cohérent de faire tout soi-même en terme de fluidité de l'ensemble : si c'est de la musique, faire son livret je trouve ça cool parce que c'est nous qui connaissons le mieux notre propre œuvre.

 

 

Comment est née l'idée de l'histoire du pantin sans visage ?

 

L'histoire a démarré par la musique en fait. Je me baladais sur mon piano, comme ça pour m'amuser, et en fait une mélodie m'est venue qui m'a inspiré beaucoup d'images. Et du coup je me suis dit, quitte à faire un album - j'avais déjà quelques compos - plutôt que de faire juste 12 ou 13 chansons mises bout à bout, autant qu'elles soient toutes liées, avec les mêmes personnages et une histoire. A l'image d'un conte, comme quand j'étais petit avec Walt Disney(c) qui faisait des livres accompagnés d'une cassette : c'est l'idée mais pour adulte.

 

 

Mais comme tu parlais de coller des images sur ta musique... Tu dis que tu n'as pas de formation mais je suppose que tu dessines quand même en autodidacte depuis un certain temps ?

 

Oui, oui ; depuis toujours en fait.

 

Comment s'est organisée la création entre le texte, la musique, les vidéos... ?

 

J'ai fait l'album [de musique] en premier sauf que les images s'imbriquent au fur et à mesure. Même si j'ai tout composé - les paroles, la musique - en premier, pendant ce temps j'ai forcément eu l'histoire et les images qui me venaient en tête, naturellement. Vu que, comme je l'ai expliqué, les chansons sont liées, je ne peux pas juste les faire une par une pour donner de la cohérence. Donc ça arrive en même temps mais c'est quand même la musique en premier. Après j'applique la partie plus scénario, enfin BD quoi.

 

 

Et du coup l'idée de la mise en scène avec la vidéo et tout, c'est venu encore après ? Parce que le "BD-concert", c'est quand même la première fois que je vois le concept.

 

En fait c'est venu quand je me suis posé la question du live de l'album. Au début je proposais des expos avec des tableaux en même temps que je jouais l'album mais en acoustique, dans des petites galeries ou des bars. C'était plutôt des "expos-concerts" : je jouais et les gens pouvaient voir les tableaux en même temps. Et au fur et à mesure, pour que ce soit plus complet, je me suis dis que les projections ce serait cool. Mais bon, des projections statiques avec juste les images c'est dommage. Donc j'ai animé la BD pour en faire vraiment comme un film d'animation et tant qu'à faire, autant ajouter du décor, des lumières, de la mise en scène, pour créer vraiment un spectacle.

 

 

Mais quand tu parles d 'expos-concerts, à ce moment la BD n'existait donc pas ?

 

Non. En fait j'avais fait un album avec un livret contenant 2 illustrations par chanson avec le texte. C'était plus un gros artbook, c'était moins scénarisé. Il y avait une histoire fluide mais c'était nettement laissé à l'imagination. Toutes les scènes n'étaient pas bien décrites au départ.

 

 

Quelles sont les techniques que tu emploies pour les images ?

 

Tous les traits sont faits au crayon de papier puis je scanne et je mets en couleur avec la palette graphique.

 

 

On ressent de nombreuses influences dans ton travail, tu leur rends d'ailleurs certains hommages à travers d'excellents fan arts (visible sur le site). Peux-tu nous parler des artistes ou des œuvres qui t'inspirent et en particulier de ceux qui t'ont influencés pour le pantin sans visage ?

 

Ce qui m’inspire en général c'est beaucoup le cinéma ; pas beaucoup la BD en fait. J'ai quelques "maîtres" en la matière, mais je ne suis pas un gros fan de BD ; j'en achète 3 par an peut-être.

Et donc en cinéma il y a tous les Tim Burton, les Guillermo Del Toro, Miyazaki, David Fincher. Des choses très visuelles en fait. Et plutôt des trucs sombres mais avec des personnages naïfs qui amènent un contraste.

 

 

Un peu du "dark fairy tale" en somme ?

 

Oui carrément.

Et musicalement il y a Björk, Radiohead, Noir désir, du classique avec des choses assez sombres encore comme Prokofiev, Tchaïkovski, des musiques de films avec Dany Elfman -encore Tim Burton - … les Pink Floyd évidemment. D'ailleurs les Pink Floyd m'ont pas mal inspiré avec le concept du film The Wall. [Il y a d'ailleurs un passage avec des ciseaux qui avancent qui fait directement penser aux marteaux du film des Floyd]

 

 

A-t-il été difficile de trouver un partenaire de diffusion vu le format particulier de ton œuvre ?

 

Ah oui, c'était vachement balèze ! Je ne m'occupe pas directement de ça en fait, c'est Camille la chargée de prod qui s'occupe de la partie édition, c'est elle qui cherche les dates de concerts, est en contact avec les éditeurs, fait la pub etc. Et donc c'est elle qui a monté les dossiers pour les éditeurs. Et il y en a très peu qui ont répondu positivement justement à cause de la BD et du CD, notamment parce que ce n'est pas les mêmes taxes entre les livres et les CD. En plus dans ma BD il y a quelques textes mais pas de dialogues et les éditeurs nous répondaient "Oui mais les gens aiment bien qu'il y ait de la lecture !". Il n'y a qu'un éditeur qui a accroché directement, ce sont les éditions du Riez.

 

 

LA SYMBOLIQUE DU PANTIN :

 

 

Dans le "Pantin" : le récepteur est volontiers laissé dans le flou, les personnages n'ont pas de noms, il n'y pas de parole. Il m'est alors apparu que ton œuvre avait plus une vocation sensible intellectuelle. Qu'en penses-tu ?

 

Complètement, c'est ça. Vu que le pantin n'a pas de visage, il découvre le monde avec l’ouïe, le toucher, c'est tout. Et vu qu'il n'a pas de visage, ça peut être n'importe qui donc on peut vraiment se projeter dans ce personnage, fille ou garçon. Donc on est dans le domaine du sensible oui.

 

 

Du coup, à la lumière de ce que tu disais précédemment, je me demande si ça ne vient pas du fait que c'est né de la musique ?

 

Peut-être. Je ne me suis jamais posé la question mais sûrement inconsciemment oui.

 

Sans trop casser la liberté d'interprétation du lecteur, peux-tu nous parler des grands thèmes qui t'ont inspiré pour le livre ?

 

Déjà, les personnages n'ont pas de bouche dans le livre, donc le symbole est assez simple pour l'oppression, étant donné qu'ils sont dirigés par un tyran. Il y a aussi l'écologie puisqu'on est dans un monde industriel à part la forêt. Et la liberté ; c'est le plus gros thème je pense. Le livre parle vraiment d'une quête de liberté. Et puis oui, les sens, les sensations : comment en naissant dans un corps conscient sans visage.... on peut pas vraiment dire qu'on est handicapé car le handicap c'est seulement par rapport aux autres. Si on naît sans yeux, le monde n'est que de la matière tactile et auditive. Donc voilà je voulais apporter une dimension... pas philosophique mais, quasiment.

 

 

Les personnages n'ont pas de bouche, il n'y a pas de dialogue : selon toi, les mots sont-ils superflus ?

 

Non, surtout pas. Justement, c'est tout le défi dans le livre : j'ai essayé de donner une vie à mon personnage juste avec les expressions des yeux et des mains, et c'est justement parce que eux n'ont pas de mots que les mots ont de l'importance. C'est pour ça aussi l'oppression. C'est justement le fait qu'ils soient privés de mots qui est important.

 

 

En parlant de mots, le seul personnage pourvu d'une bouche est le marionnettiste, le bourreau s'est mutilé pour en avoir une et mutile les autres par obsession, et les pantins trouvent le bonheur sans elle : la bouche serait-elle l'argent de notre réalité?

 

Euh... peut-être. Remarques oui parce que dans la première version du fameux livret j'avais une scène en plus avec des espèces de traders. Ils n'avaient pas de visage, ils avaient juste une bouche et ils brandissaient des billets. Donc c'est possible, j'ai pas fait gaffe à ça.

 

 

Peux tu nous parler du travail sur les couleurs ? Elles sont peu nombreuses mais intenses, et il m'a semblé qu'elles avaient un rôle symbolique dans l'œuvre.

 

Pareil, je pense que c'est inconscient. Quand j'ai dessiné le pantin pour la première fois, je ne me suis pas du tout posé la question, il était forcément rouge. Il aurait été bleu ça aurait été pourri, je sais pas pourquoi. C'est peut-être parce que les personnages sont porteurs de passion qu'ils sont rouges, mais c'est vraiment inconscient. Après le quasi noir et blanc sur les usines, c'est pareil, c'est un monde gris quoi, le ciel est toujours gris. Je me le pose pas comme ça en me disant que je vais faire un ciel gris pour faire triste mais si je le fais bleu ça fait pas triste donc... et même le contour des pages : quand elles sont noires il y a toujours un truc un peu oppressant qui se passe dans la scène et quand elles sont blanches c'est souvent positif. Ou les couleurs chaudes pour le papillon, c'est un peu le feu parce qu'il est dangereux et la fée est bleue comme une espèce de luciole, c'est positif. Mais je me le suis pas demandé.

 

 

Le pantin et la pantine sont de même nature et on le même costume : est-ce une symbolique du concept de l'âme sœur ?

 

Oui, peut-être. Je préférais qu'ils aient le même costume pour qu'on ne sache pas lequel des deux est construit comme c'est un pantin et elle non. Mais au final c'est aussi un pantin car elle n'a pas de bouche. Même si elle n'a pas été construite elle est habillée pareil et... je ferais peut-être des parallèles quand je ferais la suite. C'était pas forcément voulu mais au final ça m'inspire pour après.

 

 

Je trouve que le personnage du bourreau est l'un des plus forts : il est à la fois cruel et pathétique . Peux-tu nous parler un peu de ce personnage ?

 

Je pense qu'il m'est venu juste après que je me sois goinfré toute la série Dexter ; j'avais envie d'un espèce de psychopathe, sauf que lui c'est pas pour le bien … enfin Dexter non plus. J’aimais bien le fait qu'il n'ait pas de bouche mais qu'il essaie de se grandir comme le marionnettiste en s'en faisant une. Mais il a pas trop de psychologie celui-là : c'est juste le méchant un peu con.

 

 

En même temps, c'est personnel mais je l'ai trouvé... pas attachant, mais il a un côté qui fait qu'on a envie de le plaindre et en plus, pour moi c'est celui qui représente le plus les mauvais côtés du citoyen de base de la société moderne : celui qui n'a pas de pouvoir mais qui aimerait bien, qui finalement ne se pose pas la question de faire chier les gens pour se donner l'illusion de... enfin je me demandais s'il n'y avait pas des vocations derrière les personnages ?

 

Oui j'ai un peu essayé de le construire comme ça ; il y a quand même un parallèle sur la société dans le livre. Je dirais que celui-là il est dans le système mais... Comme des gens parqués dans des HLM ou je sais pas... il est au milieu de tout ça et il essaie de se distinguer, mollement.

 

 

et sadiquement. ^_^.

 

Oui et sadiquement aussi.

 

 

La paire de ciseaux est un objet qui revient souvent - il apparaît d'ailleurs sur la pochette. C'est à la fois l'objet qui libère le pantin des ficelles du marionnettiste et celui qui supprime les ailes de la pantine lui permettant de se libérer : il semble dire que tout dans la vie à un prix et que la liberté s'acquiert au prix de grands sacrifices : peux-tu nous parler de la symbolique de cet objet ?

 

C'est qu'à part le côté liberté : couper des fils, couper des ailes, bon ça c'est pas la liberté mais...

 

 

ben c'est comme ça qu'elle se libère, mais d'un autre côté pour les gens les ailes c'est aussi un symbole de liberté.

 

C'est ça, c'est le contraste que je voulais faire. Et puis il y a aussi un rappel d'Edouard aux mains d'argent, … j'aime bien cet objet...et puis le passage avec les ciseaux qui rappelle les marteaux des Pink Floyd, je voulais que ce soit impressionnant.

 

 

Oui parce que, ils sont quand même récurrents et ils sont la clé du dénouement.

 

Oui, justement car c'est le symbole de la liberté je trouve. Enfin pas dans la vie, dans la BD, j'ai trouvé que c'était un bon symbole. Plutôt qu'une bête colombe, des ciseaux pour une marionnette, c'est bien. Et donc le marionnettiste il a la hantise de ça puisque ce sont les fils qui symbolisent son pouvoir.

 

 

Des projets en préparation ?

 

Non pas trop. En fait j'ai pas le temps, je suis à fond sur le Pantin. La tournée me prend du temps, je suis quasiment tous les week-ends en déplacement en France. Et pour les groupes, j'ai encore The Jacks car je l'aime bien, je vais répéter avec eux mais on arrive pas... on aimerait bien faire un album et des concerts, mais on a pas le temps à cause de moi.

Et puis je travaille déjà sur la suite de la BD.

 

 

Et globalement, si tu vois plus loin que ce projet, c'est le début d'une carrière d'artiste dans ce domaine ou c'est un projet comme ça et après on verra ?

 

Je suis content de faire des BD, j'ai toujours voulu en faire. Bon à la base je voulais faire un dessin animé mais tout seul c'est impossible, donc la BD c'est le plus court pour ça. Mais après j'aimerais bien tendre vers un truc plus abstrait comme sortir un livre avec un Cd, ça ce serait vraiment cool et si c'est juste un livre d'illustrations je préfèrerais car c'est encore plus sujet à interprétation. Une grosse image qui symbolise plusieurs choses, ça se rapproche plus de la musique je trouve.

 

 

Quelque chose à ajouter ?

 

Je ne crois pas.

 

 

Et bien merci Aalehx !

 

Merci.

 

 

A propos de cette interview :

 

- La chronique du "Pantin sans visage"

- le site de l'artiste : http://www.aalehx.com/