Lorsqu'elle se rend dans une propriété pour y commencer un travail, la belle Coraline n'a en réalité qu'une idée très vague de la nature de celui-ci. Préceptrice ? Dame de compagnie ? Rien n'était clairement indiqué dans l'annonce.
Arrivée sur les lieux, elle n'est guère plus avancée : tout au plus est-il question de distraire le maître des lieux, un jeune garçon qui possède le génie de la mécanique, de ses occupations un brin trop sérieuses pour un enfant de son âge. Mais malgré ses efforts, Coraline a bien du mal à arracher l'inventeur zélé de sa passion et c'est au contraire celui-ci qui ne cesse de l'emmener sur son propre terrain de jeux : celui de machines invraisemblables de sa fabrication qui rendent Coraline assez perplexe.
Mais la jeune femme a bien d'autres raisons de marquer sa surprise, car il se passe des choses bien étranges dans cette propriété où les domestiques semblent en savoir bien plus long qu'elle, où les ateliers du jeune inventeur lui sont strictement interdits et où rêve et réalité semblent parfois se mêler. Ainsi, quelle est la signification de ce rêve qui commence toujours de la même manière et où Coraline se retrouve tantôt sur un bateau pirate, tantôt en pleine jungle victime des indigènes.
Le mystère s'enroule autour des formes généreuses de notre héroïne peu farouche comme un boa constrictor autour d'Allan Quatermain.
Saura-t-elle se sortir de ce mauvais pas ? Arrivera-t-elle à garder son corset plus de deux heures d'affilées ?
Rien n'est moins sûr.
Mon éternel refrain de bédéphile averti selon lequel l'excellence d'un style graphique ne peut rattraper l'indigence du scénario est tout de même parfois infirmé par quelques exceptions. Cet album fait partie des rares élus qui ont réussi, malgré un scénario aussi léger que les tenues de son héroïne, à me séduire et pas seulement pour les raisons que vous pourriez imaginer... Certes, la superbe plastique de Coraline, que le dessinateur ne se lasse apparemment jamais de représenter dans toutes les postures et de préférence assez peu vêtues, n'y est pas tout à fait étrangère non plus, mais il m'en faut tout de même un peu plus (si ! si!) pour m'intéresser à une oeuvre graphique.
A l'érotisme (soft) très présent, j'ai tout d'abord été subjugué par une esthétique d'un grand raffinement très inspiré de l'Art Nouveau et de Mucha en particulier qui est un vrai régal pour l'amateur de ce courant (dont je suis) et quelques motifs incontestablement steampunk, principalement représenté par les étonnantes machines du petit génie des lieux, allant de la locomotive miniature servant les plats à table jusqu'à une colossale débroussailleuse, en passant par des chevaux mécaniques marchant à la vapeur et un "bateau à vapeur à double hélice à aubes désolidarisées" (sic !).
Servies par un dessin totalement maîtrisé et des couleurs aux tons pastels dominants, les planches ne sont pas vraiment belles : elles sont plutôt magnifiques. De ce côté là, on en prend plein les mirettes.
Erotisme esthétisant et steampunk, donc, mais aussi une ambiance onirico-fantastique qui imprègne tout l'album et empêche, par ailleurs, le scénario de n'être simplement qu'une succession de vignettes coquines enchâssée dans un scénario prétexte et très pragmatique comme c'est le cas avec Manara par exemple, dont le propos est pourrait-on dire plus "fonctionnel".
Car si l'histoire telle que présentée dans ce tome 1 est, il faut le reconnaître, assez nébuleuse et n'est pas le point fort de l'album, le scénariste parvient tout de même à intriguer avec quelques mystères dont on espère simplement, à la lecture d'un second volet qui se fait attendre depuis six ans, qu'ils ne seront pas secrets de polichinelle destinés à donner un semblant de profondeur à une oeuvre qui serait au final un simple exercice d'esthétisme gratuit. Difficile de le dire pour l'instant, mais je veux croire qu'elle dépasse un peu ce registre.
Enfin, et quand bien même la conclusion prochaine serait décevante, il faut aussi mettre à l'actif de ce premier tome un second degré évident dans la représentation de certaines scènes de rêves faits par la belle, qu'elle soit attachée au mât d'une galère par de concupiscents pirates (bonjour Angélique, marquise des anges !) ou faites prisonnières par des indigènes cannibales qui font des remontrances à un enfant pelotant les seins de la captive sous prétexte que "l'on ne joue pas avec la nourriture", juste avant que n'apparaisse une espèce de Tarzan sauveur non moins obsédé.
Ces touches d'humour sont bienvenues et montrent que le tandem, même dans leur volonté d'offrir un bel ouvrage aux esthètes, ne se prennent pas pour autant au sérieux.
Au final, Songes est une oeuvre qui brasse, avec légèreté, raffinement et désinvolture, quelques étapes artistiques et romanesques de la fin du XIXiè siècle : l'Art Nouveau, les prémisses de la science-fiction, l'atmosphère d'un fantastique fortement teinté d'onirisme et le roman d'aventures exotiques.
Le tout dans un fort bel emballage.
Note : 7,5/10
Vorpalin
A propos de cette BD :
- Site de Terry Dodson : http://terrydodsonart.com/
- Site de l'éditeur : http://www.humano.com/