Evadée, L'
Titre original: The Chase
Genre: Film noir
Année: 1946
Pays d'origine: Etats-Unis
Réalisateur: Arthur Ripley
Casting:
Robert Cummings, Michèle Morgan, Peter Lorre, Steve Cochran, Lloyd Corrigan, Jack Holt...
 

Chuck Scott, vétéran de la seconde guerre mondiale démobilisé et sans le sou, erre sans but dans les rues de Miami en regardant avec envie les vitrines de restaurants quand il tombe sur un portefeuille abondement garni. Après s'être repu dans un modeste drugstore grâce à l'argent trouvé, son honnêteté foncière prend le dessus et il rapporte le dit portefeuille à l'adresse indiquée sur la carte d'identité du propriétaire, Eddie Roman. Le voilà donc devant une villa cossue d'un quartier aisé, où il subit un véritable interrogatoire de la part du factotum des lieux et d'un individu louche, Gino, avant d'être présenté à Eddie Roman. Ce dernier, sous des dehors d'homme d'affaires respectable, est en fait un gangster sadique et imprévisible. La franchise et l'honnêteté de Scott l'amuse, et il l'engage incontinent comme chauffeur. Lors de la première "course" de Scott, Roman teste son sang froid et ses capacités de pilote grâce à un dispositif lui permettant d'enlever au chauffeur le contrôle des freins et de l'accélération, pour les donner à des pédales secondaires placées devant le siège passager. Scott réussit le test qui se termine à quelques mètres d'un train express. Roman a aussi une blonde, sculpturale et mélancolique épouse, Lorna, qu'il séquestre et dont Scott tombe amoureux. Il décide d'aider Lorna à s'enfuir, en prenant avec elle un bateau à destination de La Havane...

 

 

Voila un film noir de la grande époque, avec des acteurs connus et talentueux, une histoire tirée d'un roman d'un des auteurs de polars les plus réputés de son temps (et le plus adapté), et réalisé par le créateur de la chaire de cinéma à la prestigieuse université de l'UCLA. Avec tous ses atouts, difficile de se rater. Et de fait, ce film est loin d'être un ratage, mais il n'est pas pour autant un chef-d'oeuvre. La mise en scène est assez incolore (un comble pour un film noir) pour ne pas dire quelconque ; les acteurs sont parfois à contre-emploi ou, en tout cas, il manque quelque chose pour qu'ils soient tout à fait crédibles sans que leur talent de comédien soit en cause. Mais surtout, et c'est sans doute ça le principal problème : l'histoire n'est pas assez "cinématographique" pour faire un bon film. Je me rends bien compte que cette dernière phrase n'est pas claire, mais il m'est difficile d'être plus explicite sans trop dévoiler le scénario. Disons qu'au début du troisième tiers du film, arrive un twist qui efface tout ce qu'on a vu au second tiers pour le recommencer totalement. Un twist totalement imprévisible, sauf au moment où il arrive (car sinon le film est terminé), mais imprévisible uniquement parce qu'on nous a caché un élément important sur le héros. Bref, le genre de truc, original certes, qui peut marcher dans un livre, mais qui fonctionne moins bien sur un écran et nous fait regarder la fin du film avec désintérêt.

 

 

Ce scénario est tiré d'un roman de Cornell Woolrich, plus connu sous son pseudonyme (qu'il utilisait pour signer ses romans policiers) de William Irish. Considéré de son vivant comme un des plus grands auteurs de polars américains, ne cédant que devant Hammett et Chandler, il est celui dont les romans seront les plus adaptés au cinéma et par des réalisateurs aussi divers que Jacques Tourneur, Hitchcock (Fenêtre sur cour) ou Truffaut ("La mariée était en noir", "La sirène du Mississippi"). La personnalité de Woolrich ne déparerait pas dans un de ses romans. Jeune mondain homosexuel, il épousa l'innocente fille d'un producteur (le jour de son mariage, l'article du journal régional couvrant l'événement laissait entendre, à mots à peine couverts, qu'au vu des mœurs passées et de l'attitude du fiancé, seule sa promise était dupe de la mascarade) pour lui faire une mauvaise blague, et il la quitta (aussi vierge qu'il l'avait trouvée) au bout de trois mois parce qu'il ne supportait plus d'être éloigné de sa mère (une artiste juive new-yorkaise, caricature de la génitrice possessive et castratrice). A la fin de sa vie, misanthrope et cloîtré dans sa suite d'hôtel, il sera amputé du pied à cause d'une chaussure trop serrée, comme dans un mauvais sketch (précisons quand même qu'entre les deux il y eut une histoire de gangrène).

 

 

Pas grand-chose à dire sur la mise en scène d'Arthur Ripley, strictement fonctionnelle. Surtout connu pour avoir créer la chaire de cinéma à la prestigieuse UCLA, Ripley n'a pas laissé un grand souvenir en tant que metteur en scène. Il débuta chez Mack Sennet, où il fut gagman d'Harry Langdon, en duo avec un autre jeune scénariste répondant au nom de Frank Capra. Quand Langdon s'affranchit de Sennet pour fonder sa propre maison de production, il emmena Capra et Ripley avec lui, et ces deux derniers se retrouvèrent rapidement promus co-réalisateurs. Mais quand Capra quitta le navire deux ans plus tard, les films de Langdon scénarisés par le seul Ripley furent des échecs. Ripley se retrouva scénariste (et gagman) indépendant et, parallèlement, réalisateur de courts métrages comiques, le plus souvent des films qu'il avait scénarisé, mais pas toujours (il eut ainsi l'insigne honneur de diriger W.C. Fields). Au tournant des années 40, il passa aux longs métrages (le présent film étant son 4ème et pénultième) sans rencontrer le succès public malgré de bonnes critiques. Il se consacra par la suite à l'enseignement.

 

 

L'interprétation cristallise les défauts et qualités du film : de bons acteurs livrant des prestations très correctes, mais auxquelles il manque quelque chose. L'exemple le plus criant étant celui du plus célèbre d'entre eux, bien que relégué ici à un second rôle : Peter Lorre. Son talent n'est absolument pas en cause, et dans le rôle du bras droit / tueur / conseiller du gangster Eddie Roman son numéro d'imitation de Georges Raft ou Bogart première période serait plutôt réussi s'il n'était pas complètement à contre-emploi. Avec son mètre cinquante et son visage lunaire, difficile en effet de le trouver crédible quand il menace et terrorise un armateur. Dans le même ordre d'idée, et même si c'est moins criant, Steve Cochran est un peu trop jeune et lisse pour interpréter le sadique et torturé Eddie Roman. Robert Cummings paraît lui trop "sain d'esprit" dans le rôle du héros, même si cela participe à égarer le spectateur. Enfin, Michèle Morgan semble un peu trop âgée pour jouer les blondes fatales, pour lesquelles on risquerait sa vie. Je dis "semble" car elle n'avait en fait à l'époque que 26 ans, mais dix ans après ses débuts français, où elle étalait son irréelle et précoce beauté, elle a pris l'aspect d'une respectable bourgeoise "provinciale" (cette dernière réflexion, tout comme l'ensemble de cette modeste critique, n'engage bien évidemment que moi).

Bref, pour résumer : ce film n'est pas si mal ; il aurait pu être mieux, mais il y a trop de choses qui ne fonctionnent pas.

 

 

Note : 7/10

 

Sigtuna

 

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