Assassin, L'
Titre original: L'assassino
Genre: Drame , Policier
Année: 1961
Pays d'origine: Italie
Réalisateur: Elio Petri
Casting:
Marcello Mastroianni, Micheline Presle, Cristina Gaioni, Salvo Randone, Andrea Checchi, Francesco Grandjacquet, Marco Mariani...
 

Alfredo Martelli est un riche antiquaire jouissant de tout le confort moderne dont un homme peut rêver. Un jour cependant, Martelli voit la police débarquer chez lui à l'improviste, persuadée de tenir le coupable d’un meurtre. Et pas n’importe lequel puisqu’il se retrouve subitement accusé d’avoir assassiné Adalgisa (Micheline Presle), son ancienne maîtresse. Celle-ci lui offrait jusqu’ici une vie de luxe, l’approvisionnait en argent, pour se voir un jour préférer Antonella, une femme plus jeune (Cristina Gajoni). Martelli, que tout accuse, se retrouve en longue garde à vue d’abord, puis en prison ensuite. Durant ce chemin de croix, broyé par la machine policière, il repense à tout ce qui a pu le conduire à se faire inculper de meurtre. Petit à petit, il découvre sa propre culpabilité, celle de chaque jour, toute faite de petites duperies. Elle l’amène à un excès subit de mauvaise conscience, lequel, peut-être, le conduira à avouer...

 

 

En 1961, la Titanus est en pleine gloire et demeure depuis la nuit des temps la plus solide maison de production du cinéma italien. Par son organisation, on peut même la rapprocher des grandes compagnies hollywoodiennes puisqu'elle dispose en effet de salles de projection et de studios. Le fils Lombardo ayant repris les rênes, il s'engage dans la production de séries destinées au grand public. Les histoires retenues sont la plupart du temps populaires mais il les confie, non à des tâcherons de seconde zone, mais à des réalisateurs jouissant alors d'un certain crédit auprès des connaisseurs (Robert Aldrich et l'échec artistique que constituera "Sodome et Gomorrhe" par exemple). Les réalisateurs, après le colossal et inattendu succès du "Guépard" de Visconti, jouissent d'une assez large liberté créatrice, aidés également par des producteurs exécutifs dynamiques et avisés comme Giuseppe Amato. Certains réalisateurs parviennent alors à prouver que le flair commercial peut aller de pair avec la sensibilité artistique. Fellini parvient à attirer le public avec un film ésotérique comme "Huit et demi", "Rocco et ses frères" est applaudi à tout rompre, tandis que les spectateurs se risquent même, de plus en plus nombreux, dans les salles où l'on projette des films d'Antonioni comme "L'Avventura", "La Notte", "L'éclipse" ou "Le désert rouge". Même un auteur comme Pietro Germi, pourtant peu suspect de complaisance, connaît d'énormes succès avec de féroces satires comme "Divorce à l'italienne".

 

 

Elio Petri fait alors partie de la nouvelle vague italienne au sein de laquelle on trouve d'autres débutants. C'est la liberté d'expression dont jouissent les cinéastes cités plus haut, alors estampillés auteurs, que revendiqueront la plupart des réalisateurs qui vont faire leurs débuts à cette époque, plus précisément entre 1960 et 1965. Tandis que certains cinéastes comme Ettore Scola acceptent quelques compromis avec le cinéma de genre ("Parlons femmes"), d'autres parmi les nouveaux venus, refusent d'emblée, sur les bases de ce nouvel élan de liberté créatrice, toute formule éculée. Leur seul point commun réside dans la conviction que le film est un langage avant d'être un produit industriel. Autant dire que les premières tentatives de cette bande de jeunots portent déjà la marque d'un tempérament affirmé (on peut citer par exemple Gillo Pontecorvo, Pier Paolo Pasolini, Ermano Olmi, les frères Taviani, Bernardo Bertolucci puis un peu après, Marco Bellocchio avec "Les poings dans les poches").
Petri fait sans aucun doute partie de cette mouvance, et pour son premier film, il livre une enquête policière disséquant avec un regard amusé, voire cynique, les petites duperies au quotidien. Mais pas seulement : au royaume des apparences, les êtres humains sont englués selon lui dans des valeurs judéo-chrétiennes au sein desquelles chacun par définition est coupable. Les grandes instances justicières sont elles-mêmes contaminées par des "préceptes carcans" aux mains d'un pouvoir exécutif qui abuse de cette présomption de culpabilité que tout un chacun ressent. Une sorte d'extension, d'objet à tourments dans un inconscient collectif déjà malmené.

 

 

Avec ce premier film, on se retrouve d'ores et déjà devant une constance chez le cinéaste, laquelle culminera quelques années plus tard avec ses excellents et radicaux Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon et La Classe ouvrière va au paradis : une vision sociale âpre et contestataire qui va se faire de plus en plus subversive au fil des ans. Soit, on en est encore avec L'assassino qu'aux balbutiements, et ce n'est véritablement qu'en 1967 avec "La dixième victime" que ses intentions se feront évidentes puisque le réalisateur insèrera carrément de nombreuses références à l'actualité dans une adaptation d'un roman pourtant fantastique de Robert Sheckley. S'ensuivra avec A chacun son dû une peinture acerbe de la Sicile mafieuse sous le joug de la loi de l'omerta, puis le portrait de l'aliénation d'un artiste avec Un coin tranquille à la campagne. Bref, petit à petit, Elio Petri se fera le portraitiste cruel d'une l'Italie contemporaine et l'on peut considérer L'assassin comme l'esquisse de toute son oeuvre à venir. Finalement Elio Petri arpente les mêmes terres qu'un Damiano Damiani qui vient lui aussi de débuter sa carrière avec "Jeux précoces", et qui culminera avec El Chuncho puis Confession d'un commissaire de police au Procureur de la République, à la différence que ce dernier continue à respecter une dramaturgie de type traditionnel. Elio Petri, avec L'assassino se classe quant à lui davantage dans la mouvance de la nouvelle vague française avec ce que cela comporte également de paradoxes : la structure narrative (à l'instar des flashbacks révélateurs de l'infantilisme empreint d'impuissance de Gian Maria Volonte dans son "film-scandale" de 1970) se veut tout à la fois originale et élégante en plus de s'inscrire dans une démarche intellectuelle et réflexive, autant sur son sujet que sur son support. En résultent certaines maladresses dont en premier lieu, une surenchère de signifiants. Si le fond est dans la forme en plus d'être dans le propos, on peut autant parler d'harmonie que d'une certaine lourdeur.

 

 

Bref, Elio Petri ne s'est manifestement pas encore tout à fait défait de ses influences, celles-ci lui nuisent alors plus qu'elles ne lui rapportent. Ceci étant, ce coup d'essai n'en demeure pas moins extrêmement intéressant. Dans le fond, tout est déjà présent pour opérer une vigoureuse révolution dont le but serait d'ébranler une société jugée aliénante. On retrouve à cet égard dans L'assassin une sorte d'ambiance qui tient à la fois du récit Kafkaïen et de l'anticipation, voire presque de la science-fiction. Les objets modernes servent à flatter l'oeil mais aussi à transporter le spectateur dans un futur (très) proche dont Petri prévient des dangers qu’il recèle. Sa passion pour l'esthétisme ne se démentira jamais (on constate ici que même plusieurs pneus bien agencés peuvent faire office de décor ciselé, tandis qu'en gros plan, un pneu reste un pneu) et il s'en sert le plus souvent (avec une maîtrise déjà notable) pour renforcer le sentiment d'asphyxie de son personnage principal. En cela, L'assassin est aussi le parfait précurseur de Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon. Navigant entre un existentialisme engagé et un surréalisme paranoïaque, Elio Petri offre un rôle complexe à Marcello Mastroianni qui s'en sort avec brio. Alternant perplexité, indignation, pour enfin prendre conscience, non sans cynisme, qu'il n'est qu'un objet entre les mains d'autorités qui n'appréhendent plus les choses que par la suspicion, écrasant alors toute dimension, et même pire, toute dignité humaine. A partir de là, aucune communication saine ne peut tenir et à Petri de renvoyer la responsabilité en amont, dans les arcanes du pouvoir, qu'il interroge d'ailleurs ici d’une manière équivalente au harcèlement psychologique effectué par les policiers sur l'antiquaire.

 

 

On peut regretter que certains personnages secondaires soient utilisés de la même manière que les accessoires modernes. Micheline Presle (Le diable dans la tête), bien que somptueuse, y prend bien trop souvent des poses penchant vers le décoratif tandis que de façon plus intrinsèque, l'affection grandissante de Marcello Mastroianni paraît un peu forcée. Soit, L'assassin use aussi d'outrances, notamment dans la manière dont il décrit les policiers, mais Petri, à cet égard, n'a pas de prétention réaliste ; son cinéma est ouvertement militant, il prend parti au sein d'une Italie jugée trop autoritaire et fait régulièrement évoluer les flics ici présents comme des hommes à la tête de l'exercice de leur pouvoir, finissant par en abuser. Ceux-ci se permettent de pénétrer chez les gens sans se présenter, de perquisitionner sans mandat, d'avoir recours en douce et sans l'aval du procureur, à des bandes magnétiques... autant dire qu'il capte ce qui lui semble essentiel pour livrer une vision personnelle très caustique. De fait, on pourra juger L'assassin un peu trop démonstratif, toujours est-il qu'il voyait l'émergence d'un cinéaste non seulement de grande envergure mais aussi gênant, puisque les autorités l'obligèrent à apporter à ce premier essai pas moins de 90 modifications, pour la plupart en relation avec le tableau ici brossé des policiers. En l'état L'assassin est un film à découvrir. Tour à tour plaisant, ludique, austère, mal aimable, rigide, de prime abord trop classique, puis parfois au contraire insaisissable, refusant quasiment le droit à l'empathie pour son personnage principal, il pourra décevoir le spectateur venu voir une enquête policière classique, mais contentera a contrario les amateurs d'introspections malignes et incisives.

 

 

Mallox

 

En rapport avec le film :

 

ATTENTION : VERSION RESTAUREE INEDITE le 22 juin 2012 au cinéma !

Ce film n'a jamais connu de sortie normale dans les salles françaises, et pour cause...
La restauration numérique du film a été réalisée à partir du négatif caméra original auquel il manquait 2 bobines et d'un interpositif d'époque. Ces 2 éléments ont été scannés en haute résolution (2K) puis restaurés numériquement. tout ça en 2011, par la Titanus également dont une seule copie était gardée à la cinémathèque de Bologne.

 

# La fiche dvd Carlotta Films de L'assassin

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