Selle d'argent
Titre original: Sella d'argento
Genre: Western spaghetti
Année: 1978
Pays d'origine: Italie
Réalisateur: Lucio Fulci
Casting:
Giuliano Gemma, Geoffrey Lewis, Sven Valsecchi, Ettore Manni, Gianni De Luigi, Cinzia Monreale, Licinia Lentini, Aldo Sambrell, Philippe Hersent, Donald O'Brien, Sergio Leonardi, Karine Stampfer, Agnes Kalpagos, Maria Tinelli...
Aka: Selle d'argent (traduction littérale) / Silver Saddle / They Died with Their Boots On (USA)
 

Laissés itinérants suite à la vente d'une propriété inexistante, un fermier et son fils (Giuliano Gemma) sont à la recherche de Luke Fletcher, l’adjoint du riche propriétaire terrien Richard Barrett (Ettore Manni), afin d’obtenir réparation. Une fois l'homme retrouvé, le fermier est lâchement assassiné sous les yeux de son fils. Ce dernier, dans un sursaut de désespoir, se saisit discrètement du fusil alors à portée, puis tue froidement le meurtrier. Sans mot dire, il s’accapare alors la monture du défunt voleur, parée d’une selle en argent avant de s’éloigner lentement...

 

 

Le garçon a grandi, il se fait maintenant appeler Roy Blood et est devenu un chasseur de primes réputé pour son habileté au tir. Lors de son errance en plein désert, il rencontre un vieux vagabond du nom de Serpent (Geoffrey Lewis), un être semble-t-il peu scrupuleux, puisque son passe-temps est de récupérer les effets des défunts en récitant quelques passages de la Bible. Serpent reconnaît Roy Blood à sa selle et le suit alors dans son périple, certain de pouvoir récupérer le frusquin de ses innombrables victimes. Peu après, il retrouve son amie prostituée Shiba (Licinia Lentini) dans la maison close de Cerriotts. Celle-ci lui fait part de ses craintes : elle est menacée par l'un des hommes de Garrincha (Aldo Sambrell), cruel scélérat mexicain. Roy Blood, alors à son tour menacé, tue l'homme sous le regard conspirateur d’un blond énigmatique, un certain Turner (Gianni De Luigi), qui lui propose ensuite, par l’intermédiaire de Serpent, de liquider moyennant rétribution un dénommé Barrett. Roy Blood, d'abord méfiant, finit par accepter l’offre, reconnaissant le nom de l'employeur de l’assassin de son père. Roy Blood tend alors un traquenard à Barrett dans un cimetière abandonné. Mais au lieu de voir le riche propriétaire apparaître, c'est un enfant portant un large col en dentelle, venu pour déposer un bouquet de roses sur la tombe de son père, qu'il voit surgir...

 

 

Tourné entre L'emmurée vivante et L'enfer des zombies, Sella d'argento est tout à la fois l'un des films les moins connus de son auteur en plus d'être l'un des derniers dignes représentants de l'euro-western. Loin d'être pour autant le dernier grand western italien, comme il est parfois dit dans certains ouvrages écrits par des gens dont l'érudition n'est pourtant pas à remettre en cause, Selle d'argent, si on le replace dans la filmographie de Fulci, notamment celle des années 70 et de ses plus grandes réussites (Le venin de la peur, La longue nuit de l'exorcisme), fait figure d'oeuvre mineure. Des trois westerns que l'on peut pleinement lui attribuer (les deux autres étant Le temps du massacre et 4 de l'apocalypse), il demeure également le plus faible. Reste qu'à le prendre en tenaille entre d'autres films du réalisateur, autant qu'à le détacher du reste de son oeuvre, il demeure impossible d'ôter à Sella d'argento sa belle singularité décalée. On signalera à ce sujet que le traitement est ici, malgré tout, souvent proche de celui plus mélancolique et pessimiste de son 4 de l'apocalypse si controversé. C'est aussi ce qui en fait une oeuvre à part, toute personnelle, aussi bancale et inégale soit-elle...

 

 

A ce sujet, Sella d'argento souffre principalement d'être tiraillé entre deux volontés : celle de son réalisateur de livrer une peinture âpre, violente, amère et mélancolique de l'Ouest, le tout orné d'un traitement tendant vers l'onirisme et le tragi-comique ; et celle de son acteur-vedette, lui aussi rompu au genre (souvent avec bonheur : "Un pistolet pour Ringo" et son retour, "Le dollar troué", Le dernier jour de la colère, Texas), de tirer le film vers un spectacle plus familial et bon enfant. Il résulte de cette dernière tendance une sorte d'annihilation du travail de fond effectué par Fulci. Si l'on ajoute à cela une maladresse assez récurrente de la part de l'auteur de La maison près du cimetière à filmer les enfants, souvent de manière pataude et mièvre, autant dire que la part importante prise au générique par l'un des trois protagonistes principaux, à savoir Sven Valsecchi (aperçu juste avant dans "L'Exécuteur" de Maurizio Lucidi aux côtés du même Ettore Manni ici présent, en plus d'y camper Roger Moore enfant) aurait pu faire craindre le pire (Le retour de Croc-Blanc). Pourtant, à l'exception d'un prologue mettant en scène Giuliano Gemma gosse assistant à l'exécution de son père, ainsi qu'une ou deux scènes apathiques, Fulci ne s'en tire pas trop mal. En témoignent deux scènes : l'une d'une violence exacerbée voyant le gamin attaché se faire fouetter comme plâtre par un Aldo Sambrell à la main leste ; une autre où l'humour désarçonne un prologue qui s'annonçait nunuche, et qui voit partir au sein des immenses espaces d'Almería notre gamin à dos de poney. Difficile, de fait, de se montrer trop dur avec le pendant familial du film d'autant qu'ailleurs certaines thématiques propres à son auteur émergent...

 

 

Ainsi, le désert de Tabernas, si souvent exploité dans le western spaghetti, se fait ici le miroir de ses personnages et de leur solitude, en même temps que de représenter un monde presque parallèle à l'instar du no man's land sauvage des 4 de l'apocalypse ou encore de la plongée finale de L'au-delà. Il sert ici également de révélateur ainsi que de chemin spirituel, dans la mesure où celui-ci va aider nos trois personnages à tromper leur solitude jusqu'à les refaçonner. Roy Blood va tout d'abord faire la rencontre d'un personnage aux allures de rapace et pour lequel il n'aura tout d'abord que méfiance, ce avant de lui octroyer une générosité jusque là insoupçonnée ; campé par un excellent Geoffrey Lewis (on se souvient de lui dans de nombreux westerns, notamment ceux d'Eastwood, mais aussi dans le très beau Tom Horn, ou encore, pour rester dans le domaine transalpin, dans "Mon nom est Personne"), le personnage du "Serpent" aurait pu facilement faire partie du groupe des 4 de l'apocalypse tant il est symptomatique des personnalités contrastées et d'abords peu aimables que Fulci affectionne. Pour en revenir à notre héros, sa seconde rencontre, celle avec Thomas Barrett Jr., va se transformer peu à peu en véritable pèlerinage expiatoire. Se reconnaissant dans l'enfant, Blood s'attachera petit à petit à ce caractère irascible qui lui ressemble tant, avant de se transformer en figure paternelle, évitant à l'enfant de reproduire ses propres erreurs d'antan. Le symbolisme passera par l'empêchement de se servir d'un fusil, lequel serait synonyme, selon la vision de Blood, d'un passage trop précoce à l'âge adulte. D'un autre côté, la façon espiègle qu'aura parfois Thomas Barrett Jr. d'avoir le dessus sur les deux autres hommes contribuera quant à elle à adoucir leurs tourments.

 

 

Il en résulte, au final, un film empreint d'une tendresse inhabituelle chez Fulci. Celle-ci, et c'est un autre paradoxe, a tendance à atténuer les excès d'un genre et d'en signer son trépas définitif. Le rythme se fait parfois trop nonchalant, le traitement plus conformiste qu'à l'usuel, tandis que certaines fulgurances redynamisent par moments l'ensemble de manière virevoltante, rappelant au bon souvenir du Temps du massacre. Bien entendu, on y retrouve des outrances graphiques propres à Fulci : outre les chairs déchirées par les balles qui jalonnent toute la bobine, l'arrivée de Blood et de Richard Barrett dans l'hacienda au sein de laquelle Aldo Sambrell vient de perpétuer un massacre, avec les prêtres ensanglantés pendus à leur clocher, est un moment "délétèrement" lugubre.

Campé par une pléiade d'acteurs vieillissants habitués au western transalpin depuis ses débuts, relégués le plus souvent au troisième plan à l'image d'un genre proche de s'éclipser (Donald O'Brien/Saludos Hombre, 4 de l'apocalypse, Keoma... - Aldo Sambrell/Pour une poignée de dollars, Navajo Joe, El Chuncho...), Selle d'argent alias Silver Saddle est soutenu - outre une chanson un brin envahissante - par une bande son dynamique signée par l'incontournable trio Bixio/Frizzi/Tempera, laquelle ne cesse de cligner de l'oeil à d'anciens hits ("Il était une fois dans l'Ouest" pour le plus évident). Le script d'Adriano Bolzoni, qui avait déjà collaboré avec Fulci sur Au diable les anges avant de mettre son grain de sel dans quelques belles réussites du genre (El mercenario, Far West Story), tient plutôt bien la route, même quand celle-ci se fait désertique. Signalons enfin, et pour ne pas rester dans un monde purement machiste, l'impeccable prestation de Cinzia Monreale que nombreux connaissent pour son double rôle dans le Buio Omega de D'Amato et que l'on reverra dans L'au-delà.

 

 

Finalement, Sella d'argento est un film inégal mais très intéressant en plus de s'avérer, tout compte fait, plus personnel qu'il n'y paraissait de prime abord.

Mallox



* Le film est disponible chez Artus Films :


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