4 de l'apocalypse
Titre original: I Quattro dell'apocalisse
Genre: Western spaghetti
Année: 1975
Pays d'origine: Italie
Réalisateur: Lucio Fulci
Casting:
Fabio Testi, Lynne Frederick, Michael J. Pollard, Harry Baird, Tomas Milian, Adolfo Lastretti, Bruno Corazzari, Giorgio Trestini, Donald O'Brien, Salvatore Puntillo...
 

Stubby, un joueur (Fabio Testi), Bunny, une pute (Lynne Frederick), Clem, un alcoolique (Michael J. Pollard) et Bud, un fossoyeur noir (Harry Baird) se retrouvent compagnons de cellule. La ville est alors attaquée par une milice masquée à la solde d'un Shérif (Donald O'Brien bien sadique) pour le moins peu scrupuleux et surtout amateur de justice expéditive. Echappant de peu au lynchage en règle, nos quatre compères s'enfuient à bord d'un chariot ; se retrouvant seuls et démunis, ils chercheront à rejoindre la ville la plus proche. Durant leur périple un temps calme, ils rencontreront d'abord les restes d'une communauté amiche, comme eux bannis de la ville, avant de faire connaissance du mystérieux Chaco (Thomas Milian). Celui-ci, de prime abord, sera plutôt sympathique, voire très utile, notamment grâce à ses talents de chasseur qui leur permettra de se nourrir. Malheureusement, il se révélera beaucoup plus diabolique ensuite, violant la dame, puis les torturant sauvagement avant de les laisser seuls attachés dans le désert...

 

 

Il s'agit là de la seconde incursion de Lucio Fulci au sein d'un genre alors sur le déclin ; après un excellent Temps du Massacre en 1966, ("Les Quatres desperados" en 1969 n'étant pas de lui malgré ce qui est parfois affirmé...) et avant un plus tardif Sella d'argento en 1978 (et si l'on met de côté ses deux Croc-blanc, lesquels font davantage partie du domaine de l'aventure). Le voici donc qui s'attaque à nouveau à l'Ouest, rameutant ici quelques uns de ses thèmes de prédilection, emmenant dans un même temps ces 4 de l'apocalypse aux abords d'un surréalisme morbide, transformant la chose en sorte d'ovni au sein du Western, pour ne pas parler de road movie initiatique et nihiliste.

 

Dans sa manière d'aborder le genre, on pourrait presque le rapprocher du "John Mc Cabe" de Robert Altman : une "Ballade désabusée" au sein de petites villes minières "gangrènées" par la corruption et au travers des grands espaces non moins malveillants. Ici, quatre rebuts de la société, puis d'un cinquième qui n'est pas sans évoquer un certain Charles Manson...

 

 

4 de l'apocalypse est un film à la fois excessif, dépouillé et déroutant, de par son script d'abord, singulier d'autre part, par la façon dont Fulci le trahit pour l'amener vers ses obsessions, très personnelles. Partant sur les bases d'un road movie en calèche, celui-ci nous emmène dans un voyage cauchemardesque, quasi intemporel, flirtant avec la lisière du fantastique, empruntant des chemins oniriques qu'il connait bien (Le venin de la peur) ; ce désert qui servira de décor principal n'est du reste pas sans rappeler l'enfer dépeint plus tard dans L'Au-delà, tout comme les affres que devront traverser les protagonistes.

 

Enfin, nous sommes invité dans une aride étude de caractères mettant en exergue des décalés sociaux en quête de rédemption (la fin de l'ère hippie déjà critiquée dans Una Lucertola con la Pelle di Donna et mise à mal ici ?), à la recherche d'une vie meilleure, même si ces derniers sortiront finalement d'un enfer pour finalement rentrer dans un autre...

A ce titre, la vision de l'auteur est une fois de plus mélancolique et désenchantée, voire carrément tragique, désespérée, sans issue : il n'y a pas de place sociale pour ces "anti-héros", il n'y a nul ailleurs où se retrancher, ceux-ci semblent fatalement destinés à une place en enfer.

Quand bien même ils en réchapperaient, ce ne sera pas sans séquelles ni démons.

 

A ce titre, et sans dévoiler la fin, la soif de vengeance de Stubby prendra le dessus sur la volonté de reconstruire une société nouvelle, symbolisée par la main tendue de l'enfant dont Bunny est enceinte : le seul espoir, voire la seule échappatoire pour accéder au rachat et à la vie nouvelle tant escomptée.

 

Pourtant, parmi les quatre, deux survivront, accéderont hantés, à la ville nouvelle... une ville dont les seuls résidents sont d'anciens bandits, lesquels relèveront malgré tout le défi de donner naissance au nouveau né ; Entre-temps, ayant vécu l'enfer, les démons de la vengeance hanteront si bien Stubby que celui-ci abandonnera cette chance qui s'offre à lui pour traquer Chaco/Manson, trauma symbolique de toute une génération et générateur des stigmates de l'enfer atteignant dans leur chair, comme dans leur âme, des bannis maudits en quêtes de nouveaux repères et qui pourtant ont tant de mal à trouver leur place.

Pareil pour le groupe de mormons, dont la quête de prospérité parait noble aux yeux de Fulci : ils n'en seront pas moins abattus froidement. De même, lorsque Chaco/Manson torturera l'un d'eux, crucifié au préalable : un plan furtif fait apparaître le crucifix dans l'oeil de celui-ci, lui faisant refléter un regard sataniste.

 

 

L'un des problèmes du film cependant est son manque de lien, voire de fusion entre certaines séquences aux ruptures de ton très marquées ; L'on sent que Lucio Fulci s'est beaucoup plus intéressé aux décors (somptueusement photographiés par Sergio Salvati / "L'homme au masque de Cire"), morbides, emplis de cadavres, de cimetières, d'insectes rampant sur les personnes, idem pour sa dissection cruelle des communautés, par la torture et le mal en général. Un mal qui pourrait bien se voir ici comme un réalisme âpre, trait récurrent du réalisateur.

 

L'insupportable équarrissage en règle par Chaco est dans sa violence graphique, le trait Fulcien le plus reconnaissable ici ; il sera décliné peu après dans des oeuvres plus connues telles que Frayeurs, L'Enfer des zombies, L'Au-delà ou même encore La maison près du cimetière même si l'on peut le rapprocher de la lente agonie de Florinda Bolkan dans La longue nuit de l'exorcisme.

 

Il y a également un choix qui pourra paraître assez inadéquat au sein de ces 4 de l'apocalypse, celui d'avoir mis en filigrane les thèmes musicaux de Franco Bixio et Fabio Frizzi au profit d'une sorte de Folk psychédélique d'époque, qui contribue soit, à une adéquation se voulant réaliste, mais également parfois à une certaine mollesse ; mollesse dont l'oeuvre de Fulci n'est pas toujours exempte (Croc Blanc). Une exploitation d'un matériaux qui semble pourtant tout dédié à une oeuvre qui n'attendait que lui pour respirer plus encore, achever de lui donner dimension. On est loin - pour revenir à la comparaison faite en début de texte - de l'usage intelligent dont faisait preuve Altman en employant la magnifique partition de Leonard Cohen dans son "John Mc Cabe".

 

 

Autre versant pour finir, où l'on retrouve à nouveau le Fulci anti-puritain de Liens d'amour et de sang, c'est la ville dont s'échappe au préalable les protagonistes. Elle représente la loi et l'ordre, gorgée de valeurs morales portées à leur paroxysme ; ce message là, Fulci l'infuse au figuré, égrainant son oeuvre d'images religieuses : la milice armée n'est pas sans rappeler - dans ses pratiques comme dans sa forme (avec des cagoules proches du KKK) - celles du clergé de la Renaissance, dépeint dans le film précité. De même, la figure de Chaco est celle d'un Christ diabolique ; d'abord ange, puis démon, celui-ci ne fera au final qu'une bouchée des faibles ; voir Fabio Testi porter son arme à deux mains de la façon la plus hésitante et maladroite qu'on ait pu voir au cinéma pour un personnage principal est une sorte de régal de singularité : une preuve supplémentaire qu'on tient là, en plus d'un artisan, un auteur, lequel poursuit le même travail poursuivi avec Le venin de la peur (la bourgeoisie et ses valeurs traditionnelles ainsi que celles, soit-disant anti-conventionnelles de la communauté hippie, y étaient renvoyées dos à dos) et La longue nuit de l'exorcisme (méfiez vous de la personne qui se prête le plus aux sermons...).

 

 

En l'état, 4 de l'apocalypse est une oeuvre inégale et bancale, mais toujours surprenante et somme toute passionnante à resituer dans la filmographie de Lucio Fulci.

 

Mallox

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