Fontaine pétrifiante, La
Titre original: The affirmation
Genre: Science-fiction
Année: 1981
Pays d'origine: Angleterre
Editeur: Gallimard
Collection: Folio SF
Auteur: Christopher Priest
 

Je ne rendrais jamais assez grâce à l'ami qui m'a fait découvrir Christopher Priest, ni au gentil libraire de Scylla qui a su me conseiller La Fontaine Pétrifiante.
Attention chef-d'oeuvre ! Attention danger ! Jamais je ne saurais rendre tout l'intérêt qu'il y a à lire ce roman fabuleux en tous points ni tous les dommages qu'il peut causer à votre cerveau. Permettez-moi de reprendre depuis le début. Rien n'est simple et rien n'est vrai. Rien n'est faux et rien n'est juste. Et peut-être que rien n'existe.
Je m'appelle Rémy. De cela, j'en suis sûr. Si l'on demande à ma mère qui je suis elle vous répondra "c'était un gentil garçon très brillant" et tout un tas de joyeusetés... Si vous demandez à ma chère femme qui je suis elle vous répondra : c'est un garçon très attentionné, gentil etc... Il n'y a pas de mal à s'envoyer des fleurs non ? Et vous pouvez demander à d'autres ils vous répondront encore d'autres gentillesses sur moi bien sûr. Si je me demande qui je suis, je ne pourrais répondre avec autant de certitude... Mais je pense que je saurais tout de même dresser une esquisse, certes moins précise et moins élogieuse de ma personne, mais je crois que j'y arriverais tout de même.
Toute la clef du livre de Priest et même de toute son oeuvre, nous renvoie à cette thématique : réel / irréel, ce qui est vu / ce qui est perçu, ce qui est attesté comme vrai / ce qui est attesté comme faux, ou pour résumer ce qui change avec le point de vue. Je vous renvoie à la chronique du monde inverti, roman dans lequel la Terre (ou ce qui pourrait être présumé comme tel), sa direction et ses mouvements, changent selon les référentiels utilisés. Je vous fais grâce d'une démonstration quant au référentiel galiléen, au référentiel de laboratoire et autre. Mais il est vrai que selon certains systèmes la marche de la terre n'est pas celle que nous admettons d'une façon toute empirique. En tout cas je vous invite à relire la chronique de cet excellent ouvrage de Priest ainsi que le livre lui-même.
Si le monde inverti constituait pour moi la première intrusion dans l'univers / non univers de Priest, j'étais quelque peu resté sur ma fin quant à ses explications tendances hard-science juste un peu limites et juste un peu trop complexes.
Ici, ma seconde intrusion dans l'univers de Priest m'a littéralement scotché, bluffé, sidéré et je dois avouer que je suis encore sous le choc. Rares sont les livres qui ont eu un tel impact sur moi.
Pour l'heure, reprenons le fil directeur de cette chronique si vous le voulez bien. Donc pour un tel je suis tel homme, pour une autre j'en suis un autre. Et pour moi je suis encore autre "chose". Donc qui suis-je ? Breton et tout le mouvement surréaliste auraient bien sûr donné une réponse simple, c'est-à -dire savoir qui l'on est, c'est savoir qui nous hante. C'est-à -dire qui habite en nous et pour le savoir quelle meilleure façon que de s'écrire ? Méthode surréaliste et c'est celle-ci que choisit Peter Sinclair, le héros de ce livre, pour mieux se connaître.
Peter Sinclair est au plus mal. Rupture après une vie de couple catastrophique, soeur possessive et mort du père. Des "petits aléas" qui conduisent notre héros à tenter d'écrire son autobiographie pour mieux savoir qui il est, pour pouvoir reprendre pied, depuis le temps qu'il nage dans les profondeurs du mal-être, dans le néant de sa vie. Sinclair s'isole. C'est un bien faible mot. Sinclair se coupe du monde, il ne vit que pour son manuscrit, pour lui, pour savoir qui il est, quel est son réel à lui, quel est son monde et qui le hante ou bien qui il hante. Mais qui fait le manuscrit et qui fait Sinclair ? Qui est l'écrivain et quel est son monde ?
Sinclair, c'est comme Rémy. Ce ne sont que des mots, pas des personnes. Les personnes changent selon le référentiel. Ainsi pour sa soeur, Sinclair est un malade, un paumé. Pour son ex femme il est encore quelqu'un d'autre. Inutilité des mots...

Donc Sinclair décide d'utiliser la métaphore car la métaphore, l'image, dépasse le mot pour aller chercher une once de réel dans le jeu des combinaisons que sont les phrases. Il s'isole, une pièce blanche dans une maison perdue en Angleterre, une pièce blanche comme les pages de son manuscrit, une toute petite pièce qui sent le moisi, l'odeur de la nourriture que laisse pourrir Sinclair, des excréments et de l'urine, car l'auteur en quête de lui-même s'oublie, pour ne penser plus qu'à son manuscrit, cet ouvrage qui lui permettra de se retrouver lui-même, de faire le point sur une vie remplie d'inutile. Le manuscrit ne devient plus que la seule chose qui compte.
En à peine quarante pages Christopher Priest nous entraîne dans un monde sombre ou plane l'ombre d'une folie à peine dissimulée qui pourrait s'appeler schizophrénie. En quarante pages, sur un ton plutôt réaliste, l'auteur vous a cloué à votre fauteuil, vous ne pouvez plus lâcher ce livre, qui se lit d'abord comme une incursion dans la maladie mentale la plus glauque. Mais, et tout le génie de l'auteur est là , au fur et à mesure que Sinclair écrit à la recherche de lui-même, la réalité ou ce que l'on supposait comme telle s'émiette et nous voilà entraîné dans un autre monde. Lequel est réel ? Lequel est vrai ?
Car dans cet univers là , il est toujours Sinclair. Mais le monde est différent, divisé en îles et les personnages que rencontre Sinclair sont comme ceux qu'il laisse à Londres mais sans être les mêmes...
Priest quitte sa pièce blanche avec son manuscrit et s'embarque sur un étrange bateau qui doit le conduire sur une île où il pourra devenir immortel. Voilà parfaitement illustré ce que je pourrais appeler le syndrome du bateau ivre. Sinclair a rompu les amarres avec la réalité pour arriver dans une autre réalité. Une réalité dans laquelle il a de la chance, dans laquelle il a gagné à la loterie le droit d'être immortel s'il abandonne sa mémoire. Mais abandonner sa mémoire, c'est abandonner sa vie, c'est mourir. Donc vivre une éternité, c'est un peu mourir.
Alors Sinclair fait des allers-retours entre son monde vu à travers le manuscrit et son monde sans le manuscrit. Puis peu à peu tout se brouille jusqu'à un dénouement final qui nous apprend beaucoup de choses... Je ne peux en dire plus.
Mais ce qui est sûr c'est que le roman de Priest, expliqué par moi, peu paraître complexe. Et c'est vrai qu'il l'est. Mais c'est vrai aussi qu'il se lit simplement, comme un roman d'aventures, et que malgré quelques longueurs il est plein de rebondissements, plein de surprises et qu'il vous amène jusqu'à mettre en doute votre propre réalité.
Sur les îles dites imaginaires, Sinclair se trouve interné volontaire dans une clinique avec un ordinateur capable de calculer son espérance de vie la plus exacte. Saviez-vous qu'il suffit d'un calcul rénal combiné à un petit mal de tête de temps en temps et votre espérance de vie est quasiment ramenée à celle d'un fumeur ? Acceptera-t-il alors l'opération qui le rendra immortel, opération qui s'avère être un lavage de cerveau plus ou moins élaboré ? Retournera-t-il vers sa femme, je veux dire l'autre, la vraie, ou restera-t-il avec cette jolie blonde qu'il a rencontré sur une île? Et si le vrai monde était mort ? Ou si ce vrai monde n'était pas le vrai ?
Un roman passionnant, intelligent, aux rebondissements nombreux et qui en plus nous questionne et nous interroge sur nous-mêmes et notre monde et surtout sur celui de l'imaginaire. Et si l'imaginaire était une maladie, celle des gens malheureux qui aiment à toujours s'imaginer ailleurs ? Et si l'imaginaire était ce que je vivais et non pas ce que j'écris ou ce que je lis ? En tout cas je ne saurais que trop vous conseiller de vous enfuir dans cette réalité que nous décrit Priest dans La Fontaine Pétrifiante, un fabuleux voyage dont vous ne reviendrez pas intacts...

Note : 9/10

Le Cimmerien

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