1 - Atavisme
2 - Epreuve
3 - Resurgence
Mon choix de rassembler les trois premiers albums de cette série en une chronique a deux raisons d'être : primo, je n'aime pas chroniquer une série album par album et deuxio (la plus pertinente, dans ce cas précis) : ce n'est qu'avec le tome 3 que j'ai commencé à accrocher à Weëna, car il faut bien avouer que si je m'étais contenté de livrer une critique du premier tome ou même du second, mon avis aurait été plus mitigé.
Tout cela pour dire à ceux qui seraient tentés de commencer cette série de ne pas désespérer à la lecture des deux premiers opus. On est parfois bien inspiré de persévérer.
Certes, Résurgence n'est pas franchement exceptionnel non plus mais, que ce soit au niveau du dessin ou du scénario, on peut noter une nette amélioration (j'y reviendrai) qui laisse présager une série qui, sans être un chef-d'oeuvre, n'a pas à rougir face à tant d'autres BD d'héroïc-fantasy très formatées.
Evidemment, si les tomes suivants se révèlent inférieurs, j'aurai l'air malin, mais restons confiants !
Avec Weëna Corbeyran le vieux routard, dont c'était d'ailleurs ici la première incursion dans le genre, est très loin de révolutionner la fantasy, disons-le tout net. Mais il opte, de manière appréciable en ce qui me concerne, pour le bon vieux "principe ESB" (traduction : Empire Strikes Back) à partir du tome 2 : en somme diviser (les personnages) pour mieux raconter, ce qui permet une lecture moins ennuyeuse que de faire cheminer de manière linéaire une communauté regroupant chevaliers humains, nains, elfes en charcutant des orcqs et buvant dans les tavernes. Ce choix narratif me donne toujours l'impression de voir resurgir un scénario réchauffé de Donjons & Dragons.
Pourtant, le premier tome, Atavisme, est une sorte de condensé de la recette d'un genre si celui-ci pouvait se cuisiner, la seule originalité étant que le héros est ici une héroïne. Pour le reste, on est en terra cognita : l'histoire commence dans un petit village, une prophétie annonce que l'héroïne causera la perte de sa communauté, l'enfant grandit néanmoins parmi les "siens" mais elle est peu appréciée, d'autant que son apparence est plutôt étrange puisqu'elle arbore une chevelure grise et une peau sombre, loin d'être les caractéristiques de son espèce. Comme de juste, elle est amoureuse depuis son jeune âge de Gwylym, un berger benêt qui rêve d'aventures et de gloriole. Il ne reste plus qu'à ajouter celui sans qui une histoire d'héroïc fantasy serait comme un cassoulet sans saucisses : le bad guy, le méchant et cruel seigneur : Morckoor.
Avec tout ça, on se dit que Corbeyran n'a pas dû cogiter cent sept ans pour commencer sa saga. Par contre, il s'est appliqué (comme on le verra surtout dans le tome 3) à imaginer un contexte et un univers cohérent qui ont au moins le mérite de venir donner de la perspective à la dramaturgie et à la caractérisation des personnages.
C'est que le monde de Nym-Bruyn s'enorgueillit d'un passé prestigieux où, à partir d'une souche commune (baptisée d'ailleurs la Souche) sont venues grandir plusieurs branches (baptisées d'ailleurs... Branches, ce n'est pas compliqué) familliales auxquels les personnages sont liés. Nous en connaissons trois principales : la Branche Maîtresse, la Branche Invisible et la Branche Morte (par ailleurs passablement pourrie aussi). Issu de cette dernière sur laquelle plane une malédiction ancestrale qui oblige les mâles à se marier à leur soeur, Morckoor entend bien briser ce cycle infernal et, en passant, prendre le pouvoir en destituant le souverain en place issu de la branche Maîtresse. Pour ce faire et conseillé par le sorcier Haggral, il doit s'unir officiellement avec une représentante de la branche Invisible. Celle-ci n'est autre que Weëna.
Je ne dévoilerai pas la suite des événements mais on peut se douter que, avec son pedigree, le seigneur n'est pas du genre à frapper poliment à la porte de ses futurs beaux-parents...
Voilà pour ce premier tome.
Le dessin d'Alice Picard, bien que prometteur par son raffinement et sa finesse qui nous fait d'ailleurs comprendre pourquoi elle a choisi de dessiner une espèce proche des elfes plutôt que des nains (mais je n'ai rien contre les nains, hein !), montre encore une certaine gaucherie et surtout pas mal de confusion dans les scènes d'affrontements où hommes et chevaux se mêlent dans une ratatouille graphique où une femelle largol (petit mammifère du monde de Nym-Bruyn) ne retrouverait pas ses petits.
Un album somme toute pas désagréable (principalement grâce à sa ravissante héroïne au caractère déjà bien trempé) mais qui, comme mise en bouche, donne une trop grande sensation de déjà mâché.
Epreuve, le tome suivant, a pour lui d'évacuer toute menace de linéarité, comme je l'ai dit plus haut, en faisant aller ses personnages dans des directions différentes.
Ainsi, alors que Weëna profite de sa captivité pour faire connaissance avec une jeune esclave, ancienne religieuse-choriste répudiée par ses pairs qui deviendra par la suite son amie et en compagnie de laquelle elle tentera de s'enfuir, le berger Gwylym et Miureal, la nourrice bien en chair de Weëna - rescapés tous deux des exactions de Morckoor - commencent un long voyage pour retrouver la jeune fille. Cela nous vaut quelques échanges amusants entre ce duo improbable où la naïveté de l'un se heurte au bon sens terrien de l'autre, mais aussi une incursion vers la féérie lorsque Corbeyran, sans prévenir, convoque Petit Peuple des Bois et Unicornes. Si ces personnages conviennent à merveille au style graphique éthéré d'Alice Picard, le scénariste rate l'occasion d'insuffler un peu de poésie à l'album à cause de scènes assez prévisibles et à l'émotion un brin factice, ce passage ne visant finalement qu'un objectif très utilitaire : s'emparer d'une corne magique dont... l'utilité, justement, reste mystérieuse.
Par ailleurs, il faut avouer que Gwylym est un personnage qui agace en permanence le lecteur par son comportement bravache et ridicule. Une vraie tête à claque, quoi ! Il reste à espérer que Corbeyran fasse évoluer au mieux ce personnage pour l'instant bien encombrant. Et ce n'est pas l'épisode - également prévisible - où il se fait enrôler dans une taverne par un chef militaire avec une candeur déconcertante, qui risque de le rendre plus sympathique.
L'intérêt de ce tome 2 reste donc bien le duo Weëna-Opéra, nettement plus convaincant et émouvant, que ce soit dans l'évocation douloureuse du passé de la petite esclave, de leur fuite désespérée ou de leur arrivée au port d'Apaloosa. J'ai suivi leur itinéraire avec plus d'intérêt et d'empathie que celui du tandem Gwylym-Miureal.
Entre ce quatuor se glisse un nouveau personnage : la jeune soeur de Morckoor, délaissée par ce dernier, mais qui compte bien respecter la tradition familiale et la volonté paternelle - fussent-elles toutes deux ineptes. Un protagoniste supplémentaire bienvenu, qui jouera un rôle plus important dans le tome suivant.
Celui-ci, Résurgence, comme je l'ai dit plus haut, a plutôt été une bonne surprise au regard des précédents. Dès les premières planches - fastueuses et il faut remarquer ici une nette amélioration graphique par rapport au tome 1 - on en apprend bien plus sur les origines des Branches familiales dominantes, sa longue généalogie et celle de Weëna elle-même. De quoi débuter la lecture sur des bases solides et dissiper certaines questions. Alors que les deux tandems continuent leur voyage et essuient d'autres avanies, un élément supplémentaire vient enrichir l'histoire en compliquant encore les projets de Morckoor : l'apparition d'une créature monstrueuse (qui n'est pas sans faire penser à l'alien de H.R. Giger dans sa manière peu ragoûtante de naître et de se développer) qui fait une entrée fracassante et sanglante en incarnant la malédiction touchant la Branche Morte.
Si elle donne lieu à des planches horrifiques qui tranchent avec l'ambiance générale des albums précédents, elle devient surtout un obstacle imprévu auquel devront probablement faire face tous les protagonistes de l'histoire... à moins qu'elle ne serve au contraire de levier à Morckoor dans sa quête du trône, sait-on jamais...
Avec de surcroit l'épisode d'Opéra la petite esclave qui, accompagnée de Weena, retrouve par la force des choses le couvent d'où elle avait été bannie jadis (et, accessoirement, le duo toujours un peu anecdotique Gwylym-Miureal coincé dans un casernement au milieu d'un no man's land) les choses se compliquent et promettent des situations sans doute plus intéressantes que ce qui a été proposé jusqu'à présent.
C'est du moins ce que l'on est en droit d'espérer pour la suite de cette saga pas déplaisante, classique, mais possédant un charme certain et servie par un dessin tout en délicatesse, qui a juste mis un certain temps pour décoller.
Mais je n'en suis, après tout, qu'au troisième tome d'une série qui en compte huit.
Note : 7,5/10
Vorpalin
A propos de cette BD :
- Site d'Alice Picard : http://bobbaji.fr.nf/
- Site de l'éditeur : http://www.editions-delcourt.fr/