Paris, 1860. Jean-Jacques et Nelson sont tous deux prestidigitateurs mais, à défaut de pouvoir exercer leur talent sur scène, ils doivent se contenter de gruger les badauds crédules avec la complicité de leur partenaire Jenny. Mais las de cette vie minable, Nelson et Jenny décident d'aller tenter leur chance en Angleterre, en abandonnant Jean-Jacques à son sort.
Le couple trouve un engagement dans un bouge londonien mais l'un de leur numéro tourne mal : lors du tour de la malle mystérieuse, un enfant volontaire disparaît comme prévu mais, à la plus grande consternation de tous, ne réapparaît pas. A la place du gamin, Nelson ne trouve qu'une pierre noire dans la malle. Celui-ci parvient à échapper aux menaces de lynchage d'une foule furieuse, mais Jenny est arrêtée et, incapable de donner une explication sur cette étrange disparition, est condamnée à la prison à vie.
Cette histoire ne tarde pas à venir aux oreilles de Jean-Jacques, lui aussi présent à Londres. Il promet à la mère de l'enfant de résoudre cette énigme et à l'infortunée Jenny de prouver son innocence.
Pendant ce temps, l'ambitieux Nelson constate que la pierre noire possède un pouvoir véritablement magique, surnaturel. Grâce à elle, il devient le plus grand magicien du monde et se produit à New-York en faisant salles combles.
Mais quel prix devra-t-il payer pour cette gloire inattendue ? Et qu'est devenu l'enfant disparu ?
Autant annoncer la couleur tout de suite : ce premier tome de Blackstone est un de mes coups de coeur de ce mois, tant il est parvenu à me séduire sur tous les plans : très belle couverture, planches de Chabbert de haut niveau dans le style réaliste et un scénario d'excellente qualité, riche, dense, fascinant et bien structuré. Si je n'ai jamais été vraiment convaincu par les productions de Corbeyran (que je trouve souvent surestimé), force est de reconnaître que dans ce cas-ci, c'est une réussite.
Bien sûr, il faut reconnaître que l'influence du Prestige (le roman de Christopher Priest, magnifiquement adapté au cinéma par Christopher Nolan) est évidente dans son propos et ses personnages, où l'art du magicien ne va pas sans une ambition démesurée et destructrice. Mais aussi dans sa manière d'opposer à la magie traditionnelle (celle où il y a toujours forcément un truc) une véritable magie dont se sert l'un des illusionistes pour asseoir sa notoriété. Dans Le Prestige, cela passait par une proto-science-fiction avec la machine extraordinaire de Tesla. Dans Blackstone, Corbeyran a plutôt recours au fantastique (débouchant sur la fantasy) et à la vertu d'une pierre provenant d'un autre monde. Le sujet reste, dans un cas comme dans l'autre, intéressant dans cette optique de confronter l'art de l'escamotage et de la tromperie consentie avec le merveilleux qui n'a, pour sa part, besoin d'aucun artifice pour imposer sa puissance d'émerveillement mais aussi de destruction.
Il ne faudrait pas pour autant penser que Blackstone ne serait qu'une pâle copie de son hypothétique inspirateur : l'histoire est bien différente, particulièrement celle qui nous fait suivre les investigations de Jean-Jacques, lancé plutôt dans une quête de la vérité et de la justice que dans une recherche de gloire, contrairement à son ancien compère.
C'est d'ailleurs un autre lapin que l'auteur sort de son chapeau en posant, mine de rien, la question de l'opposition entre mensonge (représenté par Nelson) et vérité (Jean-Jacques), avec Jenny et le garçonnet perdu entre les deux, pions-victimes sur le plan à la fois factuel et symbolique de cet échiquier du Mal au royaume de l'illusion.
Et ce cheminement des uns et des autres est servi par une narration fluide, classique, mais prenante. Les dialogues sont de qualité et sonnent juste, l'émotion n'est pas absente et les deux personnages principaux, dès ce premier tome, montrent déjà une évolution : Jean-Jacques, du combinard à la moralité élastique du début au statut de redresseur de torts et Nelson, certes ambitieux depuis le commencement, mais dont on peut déjà remarquer les signes avant-coureurs d'une plongée progressive dans les ténèbres.
J'avais déjà eu l'occasion de découvrir le talent d'Eric Chabbert dans la série de science-fiction Nova Genesis. Changement radical de contexte et d'ambiance pour Blackstone, donc, mais le travail du dessinateur reste égal à lui-même (si ce n'est qu'il a gagné en détails), notamment dans sa tendance à occuper de larges espaces de planches avec des décors très variés. Dans Nova Genesis, c'étaient des structures futuristes qui s'étalaient parfois sur deux planches. Ici, on passe d'un port brumeux à un palais de justice gothique, de la salle des machines d'un navire à une usine qui crachent ses fumées pestilentielles, de gares aux locomotives rutilantes à un cimetière où des anges en pierre déploient leurs ailes sépulcrales, etc... Les édifices sont particulièrement bien mis en valeur.
Malgré tout (cela vaut d'être noté), ces décors n'empiètent absolument pas sur l'espace réservé aux personnages et à la narration, ce qui est parfois le cas de certains albums. Bref, Chabbert trouve un bon équilibre graphique entre représentation monumentale et celle de scènes plus intimistes.
La fin réserve de plus une petite surprise au lecteur qui fera faire une incursion de la série dans un autre contexte en parallèle avec celui du XIXiè auquel on ne s'attendait pas. Plaisant.
Seul point véritablement négatif : devoir attendre l'année prochaine pour la suite.
Note : 9/10
Vorpalin
A propos de cette BD :
- Site de l'éditeur : http://www.glenatbd.com/