Marquise des Ténébres

 

 

Editeur : Éditions du Petit Caveau

Collection : Sang d'Absinthe

Auteur : Ambre Dubois

Date de sortie : 15 Février 2012

Nbre de pages : 270

 

 

 

Prologue

 

Le corbeau observait la victime de son regard vide.

 

Un dernier son rauque s'échappa de ses lèvres entrouvertes, un dernier mot murmuré, ultime souffle d'espoir vers la vie avant le grand plongeon.

 

Son esprit habita encore son corps quelques instants, empli d'amertume. Depuis toujours, il savait, au plus profond de son être, que le désir et la passion provoqueraient sa déchéance.

 

Il avait tant souffert de la tentation, il avait tout expérimenté pour s'en détourner, pour se purifier l'âme. Mais son corps et ses pensées lui faisaient vivre un enfer sur terre, le torturaient chaque nuit, chaque heure. Alors, il avait plongé à bras le corps dans le péché, incapable de résister. Il avait su que ses errements causeraient un jour sa perte. Pourtant, malgré cette certitude, il n'avait su renoncer au plaisir, à tous les plaisirs. L'heure était donc venue de payer.

 

Sans un bruit, l'assassin s'éloignait, les lèvres maculées de sang. Il était heureux et satisfait. Dans sa main brillaient les délicats pétales d'une rose blanche. Il la serra comme un trophée, comme une victoire. Ses épines transpercèrent l'épaisseur de ses gants et pénétrèrent au cœur de sa peau, provoquant une douleur presque jouissive. Il aimait le pouvoir, il aimait les hommes, il aimait cette nuit sans fin qui était la sienne et la douce folie qui se nichait peu à peu dans les méandres de son cerveau.

 

Au détour d'un chemin, il disparut, ne laissant pour seul souvenir derrière lui qu'une épaisse odeur de sang.

 

Le corbeau resta longtemps immobile, à observer ce corps recroquevillé, ce cadavre au teint grisâtre. La couleur du sang qui maculait sa gorge semblait éclatante au côté de celle de sa peau exsangue. Dans la nuit sans lune, la scène ressemblait presque à une œuvre d'art. Presque.

 

Dans le silence, le volatile poussa un cri éraillé, sinistre. Le vent se leva et ses prunelles se mirent à refléter un éclat venu de nulle part.

 

Il s'envola, abandonnant le mort à sa solitude éternelle.

 

 

 

1

 

 

Les hululements de la chouette habitaient l'atmosphère autour de nous. Son chant, clair et répétitif, prenait une dimension mystique en se répercutant sur les arbres de la forêt. Quand une brise chaude se mit à souffler, le frémissement des branches lui offrit un accompagnement mélancolique.

 

Doucement, elle quitta son poste d'observation pour venir se poser plus près de nous, escortant notre marche de sa mélopée monotone.

 

Cela faisait plusieurs heures que Corwin et moi déambulions dans la forêt de Hampstead, sans but précis. Nos pas nous avaient menés loin des rues tumultueuses du centre de Londres. Cet été, la capitale était un véritable cauchemar pour les êtres habitués à la solitude et au silence.

 

― Ainsi, les zombies existent réellement ?

 

La voix du vampire n'était qu'un murmure, la nature autour de nous imposait le respect. Je lui répondis sur le même ton :

 

― Si un vampire boit le sang d'un humain au point de le laisser pour mort, il arrive que le mortel se relève de sa tombe sous la forme d'un zombie.

 

― Quelles différences présente-t-il avec un vampire, dans ce cas ?

 

Mon compagnon venait de stopper sa marche et de tourner ses grands yeux vert d'eau vers moi. Depuis quelques semaines, il avait retrouvé un peu de sa bonne humeur, mais il m'avait confié que des états d'âme continuaient de le tarauder aux heures les plus sombres de la nuit. Je m'arrêtai à sa hauteur dans un froufroutement de jupons, tendant presque religieusement l'oreille vers la petite chouette qui nous suivait dans notre escapade.

 

― Pour qu'un humain devienne un vampire, il faut qu'il ait absorbé une partie du sang de son créateur avant de franchir le cap de l'Autre Monde. Le sang maudit coule dans ses veines et permet d'emprisonner son âme auprès de son corps au moment de sa mort. Le démon, attiré par la substance damnée, prend alors possession de cette enveloppe qui lui est offerte, attiré comme un aimant. Un zom-bie, lui, n'a pas reçu d'essence vampirique. Son âme quitte cette terre et la carcasse qui lui servait d'habitacle. Je suppose que le simple fait qu'un vampire ait laissé ses traces sur la peau du cadavre suffit à guider un démon pour qu'il s'empare de son corps.

 

― Mais le cadavre continue de se décomposer…

 

― Donc le monstre doit se dépêcher de profiter du peu de temps qu'il passe sur Terre pour s'abreuver de sang et de chair humaine avant de replonger dans les Ombres.

 

― Je n'y entendrai jamais rien à toutes ces histoires de démons !

 

Je ne pus m'empêcher de sourire à sa remarque alors que nous poursuivions notre chemin improvisé entre les branchages et les ronces. Nos pérégrinations nous ramenèrent à proximité des habitations. La Londres étouffante de ce mois de juillet n'avait guère de charme. Les nuits étaient courtes et grouillantes, bon nombre d'humains passaient les longues heures nocturnes à déambuler dans les rues, en quête d'une hypothétique fraîcheur qui ne venait pas. Voilà plus d'une semaine que cette écrasante chaleur perdurait et je ne prenais plus aucun plaisir à me mêler à cette foule suante et irritable.

 

Une petite clairière était la dernière chose qui nous séparait des affres citadines. À cette distance, mon aura pouvait déjà percevoir les premières étincelles de vie. En me concentrant un peu, j'aurais été capable de les sentir respirer, de frôler leur sommeil et de visionner leurs rêves et leurs angoisses.

 

― Stella ?

 

 

 

A propos de ce livre :

 

- Site de l'auteur : http://www.ambredubois.com/

- Site de l'éditeur :  http://www.editionsdupetitcaveau.com/

 

 

(Copyright Editions du Petit Caveau / Ambre Dubois, extrait diffusé avec l'autorisation de l'éditeur)