Disons, un soir à dîner
Titre original: Metti una sera a cena
Genre: Comédie , Thriller , Drame
Année: 1969
Pays d'origine: Italie
Réalisateur: Giuseppe Patroni Griffi
Casting:
Florinda Bolkan, Jean-Louis Trintignant, Tony Musante, Annie Girardot, Lino Capolicchio, Silvia Monti...
Aka: Mettons, un soir à dîner / Love Circle / One Night at Dinner
 

Metti una sera a cena est un film fidèle aux thèmes de Pirandello, avec des personnages complexes et tiraillés dont la personnalité se révèle multiple et dont l'image, figée dans l'esprit des autres personnages, les empêche de s'exprimer pleinement, librement, dépendant tout à la fois des moeurs et des conventions sociales de l'époque. Ainsi chacun reste à sa place, même s'il rêve d'être à une autre et, au jeu de la ronde et des chaises tournantes, finalement, chaque personnage retrouve sa chaise initiale.
Ainsi Michele (Jean-Louis Trintignant) est un dramaturge cherchant ses trois personnages : Nina (Florinda Bolkan), sa femme ; Max (Tony Musante), le meilleur ami de Michele ayant même une attirance sexuelle pour lui mais qui est l'amant de Nina ; Ric (Lino Capolicchio), l'amant de Max lequel fraye avec Nina jusqu'à en tomber amoureux, sauf que Nina, elle, aime son mari. Finalement, pour démêler tout ça, si le mieux était de rajouter une cinquième personne. Ce sera chose faite avec Giovanna (Annie Girardot), qui formera un triangle avec chacun des couples, et sera censée ramener en cela l'équilibre dans leurs rapports, notamment celui de Michele et de Nina, au bord du précipice.
Vous pensez tout ceci compliqué, gratuitement tordu et alambiqué jusqu'au ridicule ? Vous n'avez pas tort...

 

 

Produit par Euro International Films, Disons, un soir à dîner fait partie de la carrière de Florinda Bolkan, encore sous la protection de la comtesse vénitienne Marina Cicogna, ambitieuse productrice et propriétaire de la fameuse firme italienne. Un contrat qui durera trois ans, de 1968 à 1971, avec entre autres le superbe Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon d'Elio Petri.
On retrouve au générique Jean-Louis Trintignant, lequel tourne alors énormément en Italie comme nombre de ses compatriotes. Il vient d'enchaîner "Meurtre à l'italienne", La mort a pondu un oeuf, Le grand silence et s'apprête à tourner "Si douces, si perverses" et "Le Conformiste". Dario Argento a acquis une belle renommée en tant que scénariste, après avoir notamment co-écrit "Il était une fois dans l'Ouest", 5 gâchettes d'or, mais aussi quelques comédies contribuant à la libération sexuelle telles que "La rivoluzione sessuale" en 1968. Tony Musante émerge seulement de la télévision et vient de se faire remarquer dans El Mercenario de Sergio Corbucci. Ce sera l'occasion pour Argento et lui de se rencontrer puis d'enchaîner ensuite avec le fameux L'oiseau au plumage de cristal. Quant à Annie Girardot, elle évolue en Italie depuis une dizaine d'années, avec des cinéastes comme Luchino Visconti ("Rocco et ses frères") ou Marco Ferreri ("Le mari de la femme à barbe").
L'histoire est transposée à l'écran par Giuseppe Patroni Griffi, auteur de la pièce originale qui eut au préalable son succès au théâtre...

 

 

Autant le dire de suite, Disons, un soir à dîner fait partie de ces films nombrilistes destinés à montrer au spectateur combien le processus de l'écriture scénaristique est difficile. Il fait également partie de deux autres pans (même si l'un et l'autre se rejoignent le plus souvent) : l'un destiné à conspuer une société dans laquelle la libération sexuelle est difficile (et mène souvent à l'impasse, comme sous-entendu en préambule), l'autre consistant à s'inscrire dans le film d'auteur gavé de pop et de contre-culture avec une prétention toute arty. Ceci explique sans doute sa présence au festival de Cannes en 1969. Disons, un soir à dîner est somme toute assez proche d'autres films de l'époque tels que A Rather Complicated Girl de Damiano Damiani ou d'"Un coin tranquille à la campagne" de Petri. Rien à voir en tout cas avec le genre giallo dans lequel on le retrouve assez souvent classé ; l'amalgame tenant sans doute à la fois de la rareté du film à ce jour autant que de la présence au générique de gens ayant fortement contribué au genre, devant ou derrière la caméra. Pour en revenir au sujet du film, malgré un ton par moments sarcastique, il est loin de détrôner les deux grands chefs-d'oeuvre du genre : "Huit et demi" de Fellini ou "Providence" d'Alain Resnais.
Ainsi, assiste-t-on durant plus de deux heures aux affres créatives de Michele, mêlant vie privée, notamment amoureuse et sexuelle, faisant tourner comme dans une sarabande ses personnages à l'instar de pantins. Au lieu de vivre sa vie, celui-ci la raconte et se pose cette question qui lui semble suprême et déterminante : "J'essaie de comprendre pourquoi mes personnages font ce qu'ils font".
Et à nos personnages d'évoluer dans une sorte de mascarade autant prétentieuse que dénuée du moindre humour ou de distanciation, dans laquelle ils se cherchent dans un contact sensuel avec l'autre.

 

 

Disons, un soir à dîner débute de manière magistrale : une femme se rend chez son amant, la caméra suit son pas décidé dans une petite ruelle de basse classe, la magnifique partition d'Ennio Morricone vient se coller à la pellicule, donnant une beauté et une vie inouïe à un spectacle qui va se faire de plus en plus théâtral et grotesque. Les cadrages sont savamment élaborés, tout cela est formidablement découpé, tour à tour mystérieux, intrigant, alerte, puis, d'un coup d'un seul, le spectacle se fige pour ne plus ressembler qu'à sa source : une pièce de théâtre des plus bavardes qu'on tente de masquer par tous les artifices possibles et inimaginables.
La mise en scène emprunte aux films en vogue et à la nouvelle vague, alterne gros plans picturaux aussi proches de la bande dessinée que de la peinture, cherche des angles à foison en guise de rythme. Puis, elle présente ses personnages dans ce qu'ils ont de relationnel avec les autres, ce chacun leur tour, comme pour mieux leur donner vie et humanité à l'écran ; et surtout - et c'est là que le film échoue dans les grandes largeurs - échapper à sa source théâtrale.
Si Florinda Bolkan s'en sort une fois de plus remarquablement, que dire de la prestation absurde de Lino Capolicchio dans le rôle de son amant, sinon qu'il n'est qu'une caricature idiote d'un jeune anticonformiste. Ainsi, pour bien le croquer, Giuseppe Patroni Griffi lui fait sortir une bannière à croix gammée dans laquelle celui-ci veut absolument faire l'amour pour montrer qu'il est à contre-courant d'une société à la pensée uniforme. On a beau se rappeler que Florinda Bolkan sort tout juste de son rôle d'Olga dans "Les Damnés" de Visconti, et on a beau vouloir croire qu'il s'agit là d'un clin-d'oeil ironique de la part du réalisateur, cela n'empêche : ça tombe non seulement à plat, mais c'est absurde.

 

 

Le reste des personnages - et je ne tomberai pas pour une fois dans l'énumération - est dessiné de la même façon. Comment à partir de là, peut-on croire une seule seconde aux motivations de pantins articulés par des ficelles aussi grosses que visibles ?
Le plus préjudiciable là-dedans, c'est que cette grossièreté des traits - qu'on aimerait donc imputer à de l'ironie - reste d'un sérieux imperturbable d'un bout à l'autre ; et, outre le fait que la critique de moeurs a beau se vouloir caustique, elle demeure tellement dénuée d'humour (pour ne pas parler de grotesque volontaire), que Metti una sera a cena est au final un film mort sur la vie. Les seules choses qui vivent à l'écran sont les décors, qui semblent avoir été choisis avec une telle méticulosité que ça confine en effet à de l'art. De même pour cette partition magique de Morricone qui, si elle ne parvient pas à élever la lourdeur d'un script de trois tonnes, galvaudé qui plus est, réussit l'exploit de vivre d'elle-même. Idem pour la splendide photographie qui ne sert ici qu'à achever une pièce filmée déjà bien ampoulée à la base.
De fait, et malgré que certains acteurs parviennent à tirer leur épingle du jeu (Girardot, en femme libre, insuffle un peu de frais à cette chambre froide), Disons, un soir à dîner est un film d'une étonnante beauté factice. Il ressemble à un objet vintage sorti du grenier et qu'un brocanteur professionnel tenterait de nous vendre beaucoup plus cher que ce qu'il vaut vraiment. Et ce n'est pas l'omniprésence d'un érotisme visuel soft suranné (Vadim n'est pas loin !), ou même de langage lorsqu'il ne s'agit pas de sous-entendus puis de symboles, qui sauvent ce dîner de la collation difficile à avaler. Dommage.

 

 

Mallox

 

TOP FILM N°1 du 1er août 1970

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