La pentalogie de la Libération de Yuriy Ozerov |
Écrit par Sigtuna |
L'Arc de feu (Огненная дуга / Ognennaya duga) 1969
URSS / RDA / Pologne (sauf le premier) / Italie (pour les trois premiers) / Yougoslavie (le premier uniquement)
Pour débuter cette modeste notule sur ce qu'on peut considérer comme "l'apex du cinéma Brejnévien" je me dois de préciser que dans cette pentalogie (un peu à l'image de l'Armée rouge durant la Seconde Guerre mondiale), le meilleur côtoie le pire : le grand spectacle, les clichés recuits, la reconstitution minutieuse et les anachronismes les plus grossiers. Le problème étant que le premier film est de loin le moins bon, celui où justement les défauts de la série sont les plus criants, celui donc qui pourrait rebuter (à tort à mon avis) le spectateur. Mais si on arrive à faire abstraction de ses nombreuses scories, on se retrouve devant un film (ou plutôt des films) hautement spectaculaire où l'on n'a pas le temps de s'ennuyer. Plastiquement aussi, les scènes de guerre sont très réussies et globalement réalistes, sauf la séquence de combat de chars de la fin du premier épisode où les véhicules s'entrecroisent, qui se termine par un combat de catch dans un marigot entre équipages de tanks détruits (j'exagère à peine). Et puisqu'on nous bassine avec le devoir de mémoire, terminons ce préambule par une paraphrase du célèbre philosophe français contemporain Michel Sardou (à moins que je confonde avec un autre épigone de Diogène) : "Si les Russkoffs n'étaient pas là nous serions tous en Germanie", car il est bon de rappeler que 82 % des pertes militaires allemandes (morts et disparus, aviateurs et sous-mariniers compris) de l'ensemble du conflit sont dues aux combats contre les Soviétiques. - La Percée :
Mais revenons sur la genèse de cette pentalogie que l'on peut voir comme le résultat de la convergence de trois éléments. D'une part, un rejet dans certains cercles militaires soviétiques (où l'on appela par voie de presse à refaire des films de guerre comme "avant") des films sur la Seconde Guerre mondiale intimistes et antihéroïques de l'ère Khrouchtchev que furent Quand passent les cigognes (1957), La Ballade du soldat (1959) et L'Enfance d'Ivan (1962) (pour ne citer que les plus célèbres), et qui étaient eux même une réaction aux films patriotico-propagandesques de la fin du stalinisme (caricaturalement : La Chute de Berlin 1950). Le second élément, plus déterminant, c'est la perception en URSS des films hollywoodiens sur la Seconde Guerre mondiale qui n'évoquent quasiment jamais le rôle de l'URSS, la goutte d'eau faisant déborder le vase étant Le Jour le plus long en 1962. Le débarquement en Normandie étant considéré en Russie comme une simple attaque de diversion ayant modestement contribué au succès de l'opération Bagration, quelle ne fut pas la surprise des spectateurs soviétiques de voir que ladite opération n'était même pas évoquée dans le film ! Mais il faudra attendre l'arrivée au pouvoir de Brejnev en 1966 et avec cette "normalisation Brejnévienne" (constituant donc notre 3e élément) la volonté de réhabiliter Staline au moins en tant que "chef de Guerre" pour que ce "cycle de la Libération" voie le jour. Cycle que l'on peut donc considérer comme étant à la fois : la réponse soviétique à Le Jour le plus long, l'anti-La Ballade du soldat et une version modernisée et épurée des éléments de propagande les plus grotesques de La Chute de Berlin.
- Opération Bagration (ou "L'Axe d'attaque principal") :
D'où des moyens énormes (financiers et militaires) mis en place pour cette pentalogie, mais aussi la volonté, tout en se centrant sur un élément principal (respectivement pour chacun des films : la bataille de Koursk, la traversée du Dniepr, l'opération Bagration, l'offensive Vistule-Oder et la bataille de Berlin) de retracer l'ensemble du conflit sur la même période, et en particulier les événements concernant les pays ayant coproduit le film. Volonté enfin d'être à la fois avec les Frontoviks qui se battent, les états-majors qui planifient et les grands de ce monde qui négocient. Seulement voila : "Qui trop embrasse mal étreint", pour citer le célèbre philosophe italien contemporain Rocco Siffredi (à moins que je confonde avec un autre émule d'Aristote) et en voulant trop en faire, fatalement, on finit par en faire trop, d'où quelques ratés. La plupart des séquences n'impliquant pas les Soviétiques ou les Allemands sont superfétatoires, celle en Yougoslavie étant particulièrement ridicule (Ozerov n'en est pas responsable). Heureusement, les Yougoslaves n'étant impliqués que dans le premier film, on ne les verra plus par la suite.
- La Bataille pour Berlin :
En fait, les vraies vedettes du film, outre les blindés, ce sont les généraux soviétiques et plus particulièrement Joukov et Rokossovski (et pour les deux derniers épisodes, Koniev et son crâne en peau de fesse) et, dans un autre registre, Staline et Hitler. On sera plus que surpris par le personnage de Staline présenté comme bienveillant, pondéré et pacifiste dans ses relations avec les Occidentaux, face à un Roosevelt brave type mais un peu couillon et à un Churchill roué et machiavélique. On notera aussi la ressemblance physique frappante des personnages historiques avec leurs modèles, du moins pour les personnages principaux. A l'inverse, on a une Éva Braun beaucoup plus mignonne et juvénile que la vraie, sans doute pour rendre sa fin (elle est, dans le film, assassinée par Hitler) plus pathétique.
Un autre défaut, plus gênant encore, est dû à l'allergie aux sous-titres que les Soviétiques partageaient avec les Américains, en plus du statut de superpuissance. Conséquence de cette allergie, si par un souci de réalisme les protagonistes s'expriment à l’écran dans leurs langues respectives, ils ne sont pas sous-titrés mais sur-doublés en décalé par un narrateur russe et les sous-titres de Bach Films correspondent au sur-doublage décalé. D'où un effet surréaliste, les aviateurs de l'escadrille Normandie-Niémen (Normandie tout court pour les Russes) s'expriment dans un français (résultant d'un premier doublage, puisqu'ils sont joués par des acteurs italiens et russes) rendu inaudible par le sur-doublage.
Autre point fort du film, l’interprétation. Je passerai assez rapidement sur les personnages romanesques pour signaler dans le seul rôle féminin important Larissa Golubkina, vue entre autres dans Le Conte du tsar Saltan et qui fut la seconde épouse d'Andrei Mironov, le tsar de la comédie romantique made in URSS. Concernant les personnages historiques, les généraux soviétiques (la plupart septuagénaires et bardés d'honneurs au moment du tournage) purent choisir eux-mêmes leurs interprètes. Pour Joukov, ce fut Mikhaïl Oulianov, la plus grande vedette du théâtre moscovite. Sa performance fut si impressionnante que pendant plus de 20 ans on n'imagina pas quelqu'un d'autre pour ce rôle qu'il rejouera à 12 reprises. Pour sa part, Koniev, très mécontent de l'acteur qui l'incarnait dans les trois premiers opus le fit remplacer par Vassili Choukchine, autre "star" de l’époque (Ils ont combattu pour la patrie). Coté tudesque, Fritz Diez est à ce jour l'acteur allemand à avoir le plus joué Adolf Hitler. Paradoxal pour un ancien résistant antinazi et si, au moment des films, il était un peu âgé pour le rôle, sa composition, en particulier l’évolution de la décrépitude physique et psychique du Führer le long de la pentalogie, n'en est pas moins remarquable. Dans le même registre on trouve Horst Giese, le Goebbels de la Defa (entre autres dans Tomorrow I'll Wake Up and Scald Myself with Tea) et grand ami épistolaire de Klaus Kinski, qui, en plus de son rôle fétiche, joue aussi un simple officier allemand dans le premier épisode du cycle. Coproduction polonaise oblige, les spécialistes du cinéma d’Europe centrale reconnaîtront Daniel Olbrychski en jockey résistant (!) puis en officier de l'armée de libération (peut-être le même personnage d'ailleurs). Enfin, seul acteur non issu d'une des nations ayant coproduit le film, Florin Piersic (teint en brun pour faire un SS !) grande vedette du cinéma roumain joue le rôle de l'officier de Commando Skorzeny.
Compte tenu des moyens mis en oeuvre et de l'importante campagne publicitaire qui accompagna sa sortie, la pentalogie fut un échec public en URSS, son audience s’étant effondrée de moitié entre le premier et le dernier opus. Ce fut par contre un succès dans les autres pays du pacte de Varsovie et en particulier en RDA, la représentation nuancée de l'ennemi allemand qui n'est ici ni de la chair à mitrailleuse (comme dans la plupart des films hollywoodiens), ni composé uniquement de brutes sanguinaires (comme souvent dans le cinéma soviétique) y était sans doute pour beaucoup. La version édité par Bach Film fin 2017 est celle remastérisée en HD par la Mosfilm en 2002 et écourtée d'une trentaine de minutes pour l'ensemble des films par rapport à la version cinéma (cela ne concernerait que les génériques et les résumés des épisodes précédents).
En rapport avec le film :
COFFRET LA LIBÉRATION - 3 DVD + 3 BLU-RAY
Sigtuna (novembre 2017) |