Rayon Bleu, Le

 

 

Editeur : Interkeltia

Collection : SF today

Auteur : Marc D'Evausy

Date de sortie : 2009

Nbre de pages : 280


1

 

Patrick Smaghe attendait la sortie de son client au terminal E de l'aéroport Charles de Gaulle. L'avion était arrivé, mais apparemment, sans les bagages... Derrière les vitres du hall, il observait les voyageurs résignés qui fixaient un tapis roulant désespérément immobile... Enfin, après trente sept minutes de patience, et quelques signes d'exaspération, la machine se mit en branle, et les valises apparurent une à une.

- Avez-vous fait bon voyage ?

- Très bon merci...

C'était toujours la même question et Patrick obtenait de ses clients souvent la même réponse. Ils parlaient bagages et du temps perdu, de l'été pourri et de l'automne qui ne s'annonçait pas mieux, des événements survenus de part et d'autre des continents, et généralement, à la barrière du péage de Senlis, les sujets de conversation étaient épuisés... Ce jour là, ce fut comme d'habitude, après avoir réglé le régulateur de vitesse sur 135km/h, Patrick dégagea son pied droit de l'accélérateur et, plus confortablement installé, apprécia le ronron des six cylindres de sa Mercedes Classe S. L'ordinateur de bord lui indiquait 645 km d'autonomie mais heureusement pour lui son trajet serait plus court, car de l'aéroport à Courtrai en Belgique son GPS affichait 228 kilomètres à parcourir. Il serait de retour chez lui vers 19 heures dans sa bonne ville de Tourcoing...

Chauffeur indépendant, il travaillait principalement pour des hommes d'affaires belges en les conduisant de leur domicile à Roissy et vice versa. Autonome, parlant peu, écoutant quand il était seul la radio, cette routine lui plaisait et il avalait ses kilomètres journaliers avec tranquillité en songeant à tous ces businessmen assis derrière lui, stressés par la monté de l'euro et fatigués par les décalages horaires.

En cette fin d'après-midi de septembre 2006, son passager s'était assoupi la tête renversée sur l'appui-tête avec une bouche bêtement ouverte. Le jour commençait à décliner et Patrick pensait à son dîner, en l'occurrence un reste de pâtes à la bolognaise de l'avant veille, toujours meilleures quand elles sont réchauffées... Peut-être allait-il aussi regarder la télévision si sa femme n'était pas rivée devant une récurrente série policière américaine et l'inévitable recherche d'ADN...

Plongé dans ses pensées culinaires, il venait de passer l'échangeur de Bapaume, quand un éclair bleu venant du ciel fusa dans la campagne à deux cents mètres de l'autoroute. Ce fut quelque chose d'extraordinaire car ses dimensions dépassaient l'entendement. Incroyable fut le seul adjectif qui traversa la tête de Patrick, qui n'avait jamais vu un tel phénomène. Au même moment tout s'arrêta, le moteur, les lumières du tableau de bord, et tous les véhicules circulant sur l'A1 dans les deux sens. Patrick eut la présence d'esprit de profiter de sa vitesse pour garer la Mercedes directement sur le terre-plein à droite de la bande d'arrêt d'urgence. Geste qui lui fut salutaire, car un poids lourd surpris par le ralentissement freina brutalement et se mit immédiatement en travers dans un crissement de pneus assourdissant. Un souffle d'acier et de caoutchouc brûlé fit vibrer l'habitacle de la Classe S dans un mouvement latéral qui réveilla monsieur Debecker en sursaut.

- Hein ! Que se passe-t-il ? Nous sommes déjà arrivés ?

- Pas vraiment, regardez !

- Qu'est-ce que c'est que ça ?!

À un jet de pierre, posée dans un champ, une lumière bleue irradiait tout un périmètre dans un halo fantasmagorique. Cela ressemblait à une lentille géante de 50 mètres de diamètre environ dont il était impossible de voir la structure.

- C'est certainement un OVNI !

- Seulement on ne voit pas l'objet et... ça ne vole pas.

Plus pragmatique que Patrick, monsieur Debecker analysait la situation en homme rompu aux affaires où il fallait rapidement souligner dans un contrat le détail important.

- Il faut vite appeler la police.

Patrick prit son portable, mais en vain, rien ne fonctionnait.

- Le mien non plus, c'est tout de même pas ordinaire !

- C'est sûrement un OVNI, dans tous les récits ce sont les mêmes histoires qui reviennent. Plus de courant, plus rien et c'est... les 4400 !

- Les quoi ?

- Non, je plaisante, c'est une série de science-fiction qui passe en France en ce moment.

- Ah ! Oui, je connais !... Bon, que fait-on maintenant ?

- Ben, je vais voir, regardez, il y a des gens qui avancent déjà.

En effet quelques personnes avaient abandonné leur véhicule dans un capharnaüm indescriptible, franchi le terre-plein et se dirigeaient vers le phénomène lumineux.

- Je ne sais pas si c'est une bonne idée, cette lumière bleue me rappelle une lampe pour attraper les insectes.

L'homme d'affaires belge mit le doute dans l'esprit de Patrick. Mais la routine de sa vie, même si elle lui plaisait, méritait une audace, celle qui peut changer votre quotidien ou du moins le pimenter. Tous les hommes n'avaient pas la chance de franchir le Rubicon pensa-t-il.

Il sortit de sa voiture et rejoignit le groupe qui avançait doucement. Le champ avait été labouré et les sillons formés de grosses mottes de terre rendaient la progression difficile. Tous murmuraient des phrases ponctuées de qualificatifs enthousiastes : C'est merveilleux ! Personne ne nous croira... On est les premiers c'est génial !... Qu'est-ce qu'on va leur dire ? Tenons-nous tous la main... Un couple d'Anglais répétait en boucle My God ! My God ! My God !

Patrick se retrouva entre un camionneur ventripotent et une jeune femme, tous unis main dans la main pour entrer dans l'inconnu. Ils approchaient de la lumière pas à pas, inquiets et confiants à la fois.

Pour ne pas trébucher Patrick regardait où il mettait les pieds, et se désola de voir ses belles chaussures déjà maculées de boue. Aussitôt il lâcha les mains de ses deux partenaires pour relever le bas de son pantalon afin qu'il ne subisse pas le même sort que ses Paraboots, mais en se baissant il perdit l'équilibre et partit tête la première en faisant trois grandes enjambées maladroites. Il se retrouva immédiatement isolé dans un couloir bleu qui le conduisit vers le centre de la lumière. C'était immense et vide. Etait-ce un vaisseau spatial ?... Une illusion d'optique ?... Patrick marcha en interrogeant le vide.

- Il y a quelqu'un ?... Oh oh ! Répondez-moi !...

Curieusement il n'avait pas peur, il marchait sur le bleu, il était entouré de bleu, lui-même avait une couleur bleue... Il fit encore deux tours dans cet étrange espace, puis le couloir bleu réapparut. Il s'y engagea et retrouva ses deux voisins qui lui prenaient à nouveau les mains comme pour l'aider à se relever.

- Vous vous êtes fait mal ?

- Non pas du tout je...

Tout avait disparu.

- Que s'est-il passé ?

- Ben, rien, vous avez trébuché et tout a disparu. Vous avez dû lui faire peur.

Le camionneur le regardait d'un drôle d'air, lui reprochant sans doute à cause son manque d'équilibre la disparition de la vision lumineuse.

- Comment ça rien ? Je suis allé dedans !

- Dites pas de conneries ! Vous avez trébuché et le truc s'est aussitôt éteint ! J'ai bien vu que vous n'avez pas été dedans !

Patrick essayait de comprendre ; il regarda la jeune femme dans l'espoir de trouver une alliée, mais...

- C'est vrai monsieur, vous avez trébuché et la lumière a disparu. Vous ne l'avez pas vue ?

- Si si, mais j'ai eu l'impression que...

Patrick sentit qu'il ne fallait pas insister. Il venait de vivre quelque chose d'unique et tous ces gens n'avaient rien vu. Épris de science-fiction, les apparitions de vaisseaux et autres phénomènes n'avaient plus de secret pour lui. A l'image de Jodie Foster dans le film Contact les extraterrestres avaient communiqué avec lui sans que les autres en aient conscience. Il était resté au moins cinq minutes hors du temps... Il était l'élu !

Quand il regagna sa voiture, il retrouva son client qui lui serra chaleureusement la main.

- Vous êtes tout pâle ! Vous n'avez pas eu peur !

- Non, je vous remercie.

- Quand je vous ai vu partir la tête la première, je me suis dit oh ! là là ! Et puis non, le phénomène a disparu et mon GSM s'est remis à fonctionner !

Patrick essayait d'enlever tant bien que mal la boue de ses chaussures en les essuyant sur le pneu avant de la Classe S quand sa voisine d'aventure l'aborda.

- Tenez, voici ma carte, je suis visiteuse médicale et je propose des médicaments anti-stress. Si vous avez besoin de quelque chose téléphonez-moi.

Patrick la remercia, interdit. Il la regarda remonter dans sa Polo, faire une petite manœuvre arrière, se faufiler le long de la bande d'urgence et disparaître.

- Voici une bien belle Martienne !

Le Belge ne manquait pas d'humour.

- Sans doute attirée par la Mercedes.

- Peut-être, mais vous avez quand même la carte.

À 48 ans, Patrick était séduisant mais avec discrétion, 1m82, le cheveu plus sel que poivre, le ventre plat, non fumeur, des footings réguliers le maintenaient en forme, il ressemblait de loin à un Thierry Lhermite aux yeux marrons et, quand il était seul au volant, il était certain qu'il attirait les regards... Mais c'était bien la première fois qu'il se faisait draguer d'une façon aussi directe par une ‘gamine' de 25 ans tout au plus. Reprenant le volant, il se dégagea de l'embouteillage comme la visiteuse et retrouva l'asphalte autorisé une centaine de mètres plus loin.

- Il nous est arrivé quelque chose d'extraordinaire tout de même. Je ne sais pas si en Belgique on en parlera, mais ce soir je vais regarder les chaînes françaises.

- Je pense qu'ils vont en parler, car il y avait trop de monde sur l'autoroute pour ignorer l'événement, et je suis certain qu'il y a eu de la casse, j'ai entendu des coups de frein suspects.

- Oui, j'ai entendu aussi, j'espère qu'il n'y a pas eu de blessés.

- Il vaudrait mieux qu'il y en ait eu, comme cela ils ne pourront pas nous raconter des mensonges.

- Mensonges ? Vous pensez que les gouvernements nous cachent des choses ?

- Absolument. Ça les dérange tellement qu'ils font tout pour éviter le problème.

- Je ne vois pas où est le problème, nous ne pouvons qu'y gagner de connaître d'autres intelligences.

- Je suis entièrement d'accord avec vous, mais les fondements religieux occidentaux s'écrouleraient. Dieu nous a fait à son image ne l'oubliez pas.

- Oui c'est vrai, et si des gueules de crabe débarquent avec 5000 ans d'avance sur nous, cela ferait désordre une fois.

Décidément ce Belge avait tout compris. Patrick remit le régulateur de vitesse et replia un peu ses jambes... Son cerveau marchait aussi vite que sa Classe S, avec une seule envie, celle de raconter son aventure à sa femme.

 

En rapport avec l'extrait :

 

- Chronique du roman "Le rayon bleu"

- Site de l'éditeur: http://www.interkeltia.com/

 

 (Copyright Interkeltia / Marc D'Evausy, extrait diffusé avec l'autorisation de l'éditeur)