Vampires

 

Editeur : Editions Glyphe

Collection : Imaginaires

Anthologie dirigée par Estelle Valls de Gomis

Date de sortie : 2008

Nbre de pages : 264

 

 

Préface de Jean Marigny

 

Depuis maintenant près de deux siècles, les vampires jouent un rôle de tout premier plan dans la littérature fantastique. C'est John William Polidori, médecin personnel et secrétaire de Byron, qui a introduit le premier ce type de personnage

dans la littérature en prose avec sa nouvelle «The Vampyre» publiée en 1819 et, depuis, les prédateurs de la nuit ne cessent d'envahir les rayons des bibliothèques. Le xixe siècle a réussi à faire de cette figure légendaire un

véritable mythe littéraire grâce à quelques récits qui sont devenus

de véritables classiques du genre comme «La Morte amoureuse » de Théophile Gautier (1836), « La Famille du Vourdalak » d'Alexeï Tolstoï (1846), « Carmilla » de Joseph Sheridan Le Fanu (1872), et surtout Dracula, le roman de Bram Stoker (1897), dont le héros éponyme apparaît désormais comme le paradigme du mort-vivant suceur de sang. Au xxe siècle, le cinéma a fortement contribué à populariser la figure du vampire, et la littérature en a donné une image beaucoup

plus diversifiée qu'auparavant. C'est ainsi que dans la science-fiction, les vampires sont devenus des extraterrestres comme dans La Guerre des Vampires de Gustave Le Rouge (1908) ou des mutants comme dans Je suis une légende de Richard Matheson (1954). Dans la littérature fantastique elle-même, le vampirisme peut revêtir des apparences très diverses. À côté des suceurs de sang traditionnels, on rencontre des prédateurs généralement appelés « vampires psychiques » qui absorbent à distance la force vitale de leurs victimes. Ils ne sont pas moins dangereux que leurs cousins de Transylvanie. Enfin, le vampirisme ne se limite plus aux êtres humains, vivants ou morts. La littérature du xxe siècle a imaginé toutes sortes de créatures animales, végétales ou minérales qui sucent le sang ou aspirent la vie des imprudents qui passent à proximité. Il arrive même que des objets fabriqués par la main de l'homme, tableaux, statues, bijoux, miroirs ou vêtements prennent vie et finissent par agir comme des prédateurs assoiffés de sang. Dans «La Cape», célèbre nouvelle de Robert Bloch publiée en 1939, par exemple, on voit la cape de Dracula vampiriser un imprudent fêtard qui s'est risqué à la porter.

Le concept de vampirisme, dans la littérature contemporaine, a donc fait naître une véritable constellation de symboles et d'idées qui peuvent nous entraîner très loin du modèle originel. C'est ce foisonnement qu'Estelle Valls de Gomis, en spécialiste reconnue des vampires1, a semble-t-il, voulu recréer dans la présente anthologie. Les nouvelles contemporaines qui composent ce recueil, en effet, sont toutes très originales et elles donnent du vampirisme des représentations extrêmement diverses. À côté de vampires humains, que l'on pourrait qualifier de « traditionnels » même s'ils nous réservent quelques surprises, comme dans «L'horreur s'effondre si bien» de Denis Labbé, « Le Sang du Temps » de Lucie Chenu, « Promenade d'immortel » de Meddy Ligner, « Après réflexion » de Nicolas F. J. Bally, «A Fool There Was (1915)» d'Héloïse Jacob, «Morte» de Sire Cédric, « La soif de la glèbe » de Franck Ferric, « Canicule (Aux prises avec Sirius)» de Léonor Lara, « Confessions » de Charlotte Bousquet et «L'Attente de l'aube » de Jean Marigny, on rencontre aussi des vampires psychiques dans « Passion dévorante» de Patrick Duclos et «L'autre face du don » de Sophie Dabat, des bijoux et pierres précieuses vampires dans « Le Legs » de Tonie Paul, «Conscience minérale » de Géraldine Blondel et « Souvenir des Carpathes » d'Olivier Gay, et même une inquiétante étole de renard dans « Parure de nuit » de Caroline Gaillard. Quand ces vampires sont des êtres humains, on les voit évoluer dans un décor pour le moins inhabituel, qui peut être le monde des rêves, un miroir, une morgue, un champ de bataille de la Grande Guerre ou un palais vénitien, et, parmi eux, on rencontre des personnages très connus comme le peintre Peeter Bruegel, le président Félix Faure et le photographe Nadar que l'on ne s'attendrait pas à trouver ici. Dracula, lui-même, n'est pas loin puisque, dans l'une des nouvelles, son esprit s'avère capable de posséder un collier. Le lecteur, dans tous ces récits, doit donc s'attendre à des surprises.

À côté de ces nouvelles de notre xxie siècle qui donnent donc une image plurielle et parfois déconcertante du vampirisme, Estelle Valls de Gomis a eu la bonne idée de faire figurer trois textes d'auteurs du xixe et du début du xxe siècle. Le premier est en fait composé des quatre premiers chapitres d'un roman-fleuve publié anonymement sous forme de feuilleton vers 1847 et attribué successivement à deux écrivains tombés aujourd'hui dans l'oubli, Thomas Preskett Prest et James Malcom Rymer, Varney le vampire, ou le festin de sang, qui est devenu un classique de la littérature vampirique et qui a peut-être inspiré Bram Stoker, l'auteur de Dracula. Les deux autres textes sont, d'une part, un conte peu connu du poète provençal Frédéric Mistral, «Les Secrets des Bestes » et, d'autre part, une nouvelle de l'auteur du Horlà, Guy de Maupassant, «La Morte», qui nous entraînent loin des rivages habituels du vampirisme.

Cette confrontation de textes contemporains et de textes plus anciens illustre à la fois la pérennité et la diversité d'un thème fantastique qui garde tout son pouvoir de fascination.

 

 

SIRE CÉDRIC

 

 

Morte

«Le soleil était là qui mourait dans l'abîme»

(Victor Hugo)


Chaque nuit elle descendait, la fille aux yeux de lune.

Et moi chaque nuit je l'attendais, hagard, émerveillé. Je la guettais au pied des escaliers, pour la voir passer ne serait-ce qu'un instant, pour m'emplir d'elle, de tout ce qu'elle était et que je n'étais pas.

Elle n'était plus humaine, cette fille, comprenez bien. Elle était un miracle, et moi son unique témoin. Je m'étais rendu dans la chambre mortuaire, attiré par son gémissement, et j'avais poussé la porte au moment où elle se glissait hors de son tiroir. J'étais gardien de nuit. On me payait pour veiller sur la morgue, pour signaler toute anomalie. Je n'ai jamais rien signalé, vous pensez bien. Toute volonté avait déserté mon coeur, pour ne plus laisser place qu'à un sentiment confus, inavouable. Sur le moment, j'en étais resté pétrifié, incapable de quitter des yeux cette créature pâle, tandis qu'elle se faufilait timidement hors de son sac, se tordait comme un reflet dans une eau vive, cherchant à comprendre où elle se trouvait, se coulant sur le sol carrelé. Je lui avais ouvert la porte, car dans son état de faiblesse elle pouvait à peine se mouvoir, et en silence elle s'était faufilée hors de la salle pleine de cadavres, le long du couloir, en direction du monte-charge.

Me laissait-elle l'épier ainsi parce qu'elle savait que je l'aimais, que j'étais éperdu d'elle ? Ou simplement parce qu'elle avait besoin de moi ? Peut-être ne le saurais-je jamais. Ce que je sais, ce dont je suis certain, c'est qu'elle était venue ici pour se cacher d'eux. Eux, les fantômes, ou les rêves, ces ombres furtives qui parfois se hasardent à glisser hors des interstices des murs, et cavalent sur les trottoirs, s'enroulent autour des réverbères pour se masquer à nouveau, sourire dans les ténèbres.



GUY DE MAUPASSANT


La Morte

 

Je l'avais aimée éperdument ! Pourquoi aime-t-on ? Est-ce bizarre de ne plus voir dans le monde qu'un être, de n'avoir plus dans l'esprit qu'une pensée, dans le coeur qu'un désir, et dans la bouche qu'un nom : un nom qui monte incessamment, qui monte, comme l'eau d'une source, des profondeurs de l'âme, qui monte aux lèvres, et qu'on dit, qu'on redit, qu'on murmure sans cesse, partout, ainsi qu'une prière.

Je ne conterai point notre histoire. L'amour n'en a qu'une, toujours la même. Je l'avais rencontrée et aimée. Voilà tout. Et j'avais vécu pendant un an dans sa tendresse, dans ses bras, dans sa caresse, dans son regard, dans ses robes, dans sa parole, enveloppé, lié, emprisonné dans tout ce qui venait d'elle, d'une façon si complète que je ne savais plus s'il faisait jour ou nuit, si j'étais mort ou vivant, sur la vieille terre ou ailleurs. Et voilà qu'elle mourut. Comment ? Je ne sais pas, je ne sais plus.

Elle rentra mouillée, un soir de pluie, et le lendemain, elle toussait. Elle toussa pendant une semaine environ et prit le lit. Que s'est-il passé ? Je ne sais plus.

Des médecins venaient, écrivaient, s'en allaient. On apportait des remèdes ; une femme les lui faisait boire. Ses mains étaient chaudes, son front brûlant et humide, son regard brillant et triste. Je lui parlais, elle me répondait. Que nous sommes-nous dit ? Je ne sais plus. J'ai tout oublié, tout, tout !

Elle mourut, je me rappelle très bien son petit soupir, son petit soupir si faible, le dernier.


 

FRANCK FERRIC


La Soif de la glèbe


Journal du soldat Ranft, 6e compagnie du 142e régiment.

Fort de Vaux (Meuse)


12 mai 1916.

Dans cet enfer de boue et de fer, tous les gars ont besoin de quelque chose à quoi s'agripper pour ne pas sombrer. Pour la plupart, c'est la bouteille ou les médicaments. Pour d'autres, c'est le bruit des canons et l'odeur de la poudre, jusqu'à l'ivresse. Pour ma part, tenir ce journal me permet de garder mes idées claires, en m'obligeant à sortir du mutisme dans lequel nous nous sommes tous enfermés depuis bientôt deux semaines.

Depuis que nous savons, aussi assurément que l'acier tranche, que nous y resterons tous. Ma blessure au bras se guérit proprement, je crois que les shrapnels ont tous été retirés. Je n'en recouvrerai jamais pleinement l'usage mais je me considère comme bien chanceux que la gangrène ne s'y soit pas installée. En revanche, ma jambe droite me fait terriblement souffrir, au point de devoir régulièrement m'asseoir pour la reposer. Je ne peux que claudiquer et il m'est impossible de marcher vite. Aussi m'a-t-on détaché de mon unité, le temps de me rétablir.

Lanzac et Poinsinet, les deux gars avec lesquels je travaille à présent, ne sont pas de grands bavards. Le premier doit avoir une sorte de maladie nerveuse et tremble tellement qu'on le dirait opiomane. Quand à Poinsinet, un éclat d'obus lui a défoncé la moitié du visage. Il porte à présent un masque de cuir qui va du menton à sa tempe droite, et il ne peut manger que de la soupe et des aliments broyés.

À dire vrai, je crois qu'en près d'une semaine, aucun des deux ne m'a adressé la parole. Je pense qu'ils ont du mal à accepter que j'aie pris la place de Le Bouil, mon prédécesseur. C'est Lanzac qui l'a retrouvé, un matin, couché au milieu du cimetière avec une balle dans la tempe. Suicide. J'ai entendu Lanzac raconter que le malheureux n'avait pas supporté d'avoir dû enterrer de ses mains son propre frère, un gosse du 101e qui défendait lui aussi le fort, descendu par une rafale allemande.

 

 

CAROLINE GAILLARD


Parure de Nuit


Enfant, Cécile était une petite fille très sage. Une petite poupée choyée.

Sa mère coiffait ses cheveux blonds, arrangeait avec douceur les mèches brillantes, y accrochait des rubans bleus. Elle l'habillait d'une belle robe au tissu délicat, une chose fragile avec des volants et de la dentelle blanche.

Cécile se laissait faire, parce qu'elle avait toujours l'impression, dans ces moments-là, d'être une princesse autour de qui l'on s'affaire. On exauçait ses moindres volontés. Elle choisissait la coiffure, la couleur des rubans.

Bleu, toujours, parce que ça allait particulièrement bien avec ses yeux.

Ensuite, elle se contemplait dans un miroir, étudiait son reflet, arrangeait ses mèches avec satisfaction, faisait quelques révérences et s'entraînait à marcher la tête bien droite.



LÉONOR LARA


Canicule

(aux prises avec Sirius)


C'est dans cette cave, et seul, que Thorn endura les souffrances de son étrange métamorphose. Les heures surchauffées du jour, il les passait à dériver dans une invincible torpeur, au fond de laquelle il ignorait que Heather le visitait, pour prendre soin de lui, guetter l'évolution du mal, et lui parler. Car chaque jour, elle était là pour lui, près de lui, avec constance, avec douceur – chaque jour. Mais, durant les heures nocturnes – qui n'étaient guère moins étouffantes que celle de midi –, quand il luttait contre le tumulte que convoyaient à sa conscience ses sens exacerbés, quand il expérimentait les violences de sa soif inextinguible, et menait contre sa nature prédatrice un combat perdu d'avance, avec l'impression qu'à force de privations son propre corps allait se déchirer, et tout son sang sourdre de lui pour être consommé, elle se faisait son bourreau, gardant close entre eux la porte contre laquelle il se jetait en hurlant.

Il avait soif d'elle : dominant la cacophonie du monde, plus intense, plus suave et plus attirant, le battement obstiné du coeur de Heather se propageait à travers les cloisons, les tentures, les parquets, les murs de pierre, et, avec lui, le froissement de son sang épais, soyeux, glissant dans ses veines, roulant dans ses artères.

Il avait soif d'elle. Mais sa métamorphose n'avait pas rompu tout à fait les attachements d'autrefois : quelque chose, en lui, survivait de l'ancien Thorn, et celui-là, au pire de ses souffrances, se réjouissait qu'elle ne commît pas l'imprudence de céder à ses supplications.

 

A propos de ce livre :

 

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- Site de l'anthologiste: http://www.kingdomsofestel.com/

- Site de l'illustrateur: http://bermes.free.fr/deambulatoire2/ 

 

(Copyright éditions Glyphe / Estelle Valls de Gomis, extrait diffusé avec l'autorisation de l'éditeur)