Wendigo

 

Editeur : Bragelonne

Collection : L'ombre de Bragelonne

Auteur : Graham Masterton

Traducteur:  François Truchaud

Date de sortie : 23 octobre 2009

Nbre de pages : 336

 

 

 

 

Chapitre 1


Lily dormait presque profondément quand elle entendit un bruit sec et étouffé, quelque part au rez-de-chaussée, qui ressemblait à une porte que l'on ouvre. Puis il y eut un choc assourdi, comme si quelqu'un s'était cogné par mégarde contre un meuble en se déplaçant dans le noir.

Elle redressa la tête de son oreiller, fronça les sourcils et tendit l'oreille. Elle savait qu'elle avait fermé à clé toutes les portes et branché l'alarme. C'était peut-être Sergent, son labrador noir, qui essayait de sortir de la buanderie. Sergent avait neuf ans, main¬tenant, et il jappait si fort en dormant que ça le réveillait continuellement.

Elle attendit quelques instants, mais la maison demeurait silencieuse, à l'exception, de temps à autre, des gargouillis du chauffage central. Elle était épuisée – si fatiguée que les muscles de son cou craquaient – et elle n'avait qu'une envie, reposer sa tête sur l'oreiller et dormir.

Puis elle entendit un autre choc assourdi, suivi immédiatement de ce qu'elle pensa être un toussotement. Merde, pensa-t-elle. Peut-être que ce n'est pas Sergent, tout compte fait. Ce sont peut-être des intrus.

Elle actionna la lampe de chevet dont l'abat-jour était décoré de coquelicots. Sa pendulette indiquait 2 h 17. Elle se couchait rarement si tard, mais après avoir fait dîner Tasha et Sammy, elle était restée pendant plus de quatre heures assise à la table de la salle à manger, à rédiger le prospectus publicitaire pour Indian Falls Park, un lotissement de cent soixante-quinze hectares de demeures à deux millions et demi de dollars sur Ridge Road, à Edina.

Elle ouvrit le tiroir de sa table de chevet et sortit sa bombe à poivre. Puis elle sortit ses jambes du lit et attrapa son peignoir en satin cerise.

Dans les miroirs de la penderie de sa chambre, elle s'aperçut, debout devant la porte, l'air indécis, ses cheveux blonds coupés court ébouriffés, les yeux gonflés par le manque de sommeil. Tu devrais peut-être t'enfermer dans ta chambre et appeler les secours, se dit-elle. Puis elle pensa : Non, s'il s'agit seulement de Sergent, tu passerais pour une idiote hystérique. Qui plus est, elle devait se préoccuper de Tasha et Sammy.

Elle ouvrit la porte, s'avança dans le couloir du palier, et alluma l'énorme lustre qui éclairait la cage d'escalier.

— Il y a quelqu'un ? appela-t-elle en s'efforçant de prendre une voix énergique.

Puis elle pensa immédiatement : Quelle question stupide. S'il y a quelqu'un ici, que va-t-il répondre ? « Ne vous inquiétez pas, madame, nous sommes juste des intrus » ?

Elle se pencha prudemment sur la balustrade.

— Je vous préviens, j'ai une arme, et je sais m'en servir.

Il n'y eut pas de réponse. La maison était toujours silencieuse. Lily attendit un moment encore puis remonta le couloir jusqu'à la chambre de Tasha. Une plaque en céramique sur laquelle était représentée une poupée Bratz à l'air sévère, avec l'avertissement « Interdiction d'entrer ! », était vissée sur la porte. Lily ouvrit la porte tout doucement et jeta un coup d'œil à l'intérieur. Sous la couette de guingan rose, tout ce qu'elle voyait de Tasha, c'était quelques mèches de cheveux châtains. Depuis les étagères, une quarantaine de poupées Bratz et Barbie fixèrent Lily avec une animosité muette.

Elle se rendit dans la chambre de Sammy. Celui-ci était allongé sur le côté, le pantalon de son pyjama à carreaux bleu et vert tire-bouchonné et remonté jusqu'aux genoux, et son nez bouché le faisait ronfler. Il n'avait que huit ans, mais il était déjà le portrait craché de Jeff. Ce visage massif, germanique. Ces sourcils blonds invisibles. C'était comme si Jeff avait laissé ici une miniversion de lui, pour la surveiller de près.

Lily se fraya un chemin entre des voitures de pom¬piers Tonka et des Gorillazoids mutilés pour déposer un baiser sur la joue de Sammy. Il bougea, leva une main et marmonna :

— Mmh reviens jamais, jamais.

— Hein ? s'exclama Lily. Qu'est-ce que tu as dit ?

Mais Sammy se tourna de l'autre côté et s'entortilla dans le drap, et elle comprit qu'il avait parlé dans son sommeil.

Lily avança la main et effleura son dos. Mon Dieu, même le grain de sa peau était semblable à celui de Jeff. Sans bruit, elle sortit de la chambre et referma la porte.

Elle s'arrêta sur le palier et tendit l'oreille quelques instants encore. Le vent commençait à se lever et elle entendait le chêne sur le côté de la maison donner de petits coups sur le revêtement de la façade, comme un vieux mendiant qui essaie d'entrer. Peut-être devrait-elle aller également vérifier au rez-de-chaussée, juste pour être sûre, particulièrement si Sergent était agité à ce point.

Nu-pieds, elle descendit le grand escalier. Disposées sur le mur, il y avait des photographies encadrées d'elle-même, de Jeff et des enfants, ainsi que de Sergent. À proximité du bas de l'escalier, une grande photographie les représentait sur le vieux pont en pierre à Marine on Saint Croix. Tasha, Sammy et elle étaient accoudés au parapet et regardaient l'eau du moulin qui bouillonnait. Jeff se tenait une vingtaine de mètres plus loin, la tête baissée, l'air de ne pas vraiment appartenir à la famille.

Lily traversa le vestibule jusqu'à la porte d'entrée. Le grand tapis à franges rouge et violet faisait un pli au milieu, comme si quelqu'un avait trébuché dessus, mais la porte était fermée et il n'y avait aucun signe que l'on ait essayé de la forcer.

Elle alla dans la cuisine. La lampe clignota quelques secondes avant de s'allumer. La cuisine était lambrissée de chêne, avec un plan de travail assorti au milieu. Elle apercevait Sergent derrière la porte en verre dépoli qui donnait sur la buanderie. Il ressemblait plus à une flaque noire et indécise qu'à un chien. Il émit un son irrité mais n'aboya pas.

Lily ouvrit la porte.

— Qu'y a-t-il, le chien ? Tu as encore fait des cauchemars ? Tu courais après des lapins que tu n'arrivais pas à attraper ?

Elle lui caressa les oreilles. Elle savait qu'il était vieux et malade et qu'elle devait envisager de le faire piquer, mais c'était Jeff qui lui avait acheté Sergent quand ils s'étaient mariés. Il était le dernier souvenir vivant de cette époque heureuse et stupide, quand elle croyait que Jeff et elle resteraient ensemble jusqu'à ce qu'ils soient devenus séniles et que seule la mort pourrait les séparer.

Elle remplit d'eau fraîche le bol de Sergent, puis lui dit de retourner se coucher dans son panier. Il lui obéit, mais tristement, la regardant de ses yeux ambrés.

— Gentil chien. Et si tu rêvais de tortues pour changer ? Là, tu réussirais à les attraper !

Comme Lily sortait de la cuisine, elle entendit que le vent soufflait encore plus fort. Non seulement le chêne donnait de petits coups, mais la balancelle sur la véranda de derrière avait commencé à grincer – « creakk-squikk-creakk-squikk » – comme si quelqu'un se balançait en un mouvement de va-et-vient ; ou le souvenir de quelqu'un, en tout cas. Lily ne croyait pas aux revenants, mais elle travaillait dans l'immobilier depuis suffisamment de temps pour savoir que, dans certaines maisons, des esprits restaient longtemps après que leurs propriétaires avaient déménagé ou étaient morts.

Elle franchit la grande arche qui amenait au séjour. Il y avait des battants de porte en acajou de chaque côté, mais elle les fermait rarement. La pièce était plongée dans l'obscurité, les rideaux à motif floral étaient tirés, et elle voyait seulement les formes indistinctes des fau¬teuils et des canapés.

Non, il n'y avait personne ici. C'était certainement le courant d'air qui avait fait vibrer les portes. Ou peut-être avait-elle imaginé ce bruit, tout simplement, alors qu'elle s'endormait. À plusieurs reprises, entre le sommeil et l'éveil, elle s'était imaginé que Jeff était toujours couché à côté d'elle. Une fois, elle avait eu la certitude de sentir sa respiration sur son épaule.

Elle se retourna pour remonter à l'étage. Mais, dans l'embrasure de l'arche tout près derrière elle, il y avait deux énormes silhouettes, corpulentes et sombres. Elle poussa un « Ah ! » aigu et eut un mouvement de recul.

Les deux hommes entièrement vêtus de noir – man¬teaux en cuir noirs et jeans noirs – portaient des masques en Celluloïd transparents qui donnaient à leurs visages l'aspect de victimes de graves brûlures. Le plus grand avait un chapeau bizarre qui ressemblait aux cornes d'un démon.

— Nom de Dieu ! cria Lily, bien qu'elle soit plus choquée que furieuse. Mais qui êtes-vous ? Et que faites-vous dans ma maison ?

L'homme aux cornes de démon fit un pas vers elle et leva la main.

— Nous n'avions pas l'intention de vous faire peur, madame Blake.

Sa voix était épaisse et rauque, comme celle d'un gros fumeur.

— Qui êtes-vous ? Comment connaissez-vous mon nom ?

— Nous savons tout sur vous, madame Blake – où vous travaillez, où vous faites vos courses, où vous passez vos pauses déjeuner.

— Quoi ?

— Oh, oui. Nous savons ce que vous faites. Vous et ce type, Dane. Vous pensiez que vous alliez vous en tirer à bon compte, hein ? Vous pensiez que personne ne remarquerait toutes ces rencontres à midi ? Vous êtes une très, très mauvaise femme, madame Blake.

Lily tremblait.

— Reculez. Ne vous approchez pas de moi. J'ai appelé les secours.

— Je n'en crois rien, madame Blake. De toute façon, ce que nous sommes venus faire ici, nous pouvons le faire longtemps avant l'arrivée des flics.

L'homme fit un pas en avant, puis un autre. Lily se réfugia derrière le canapé et brandit sa bombe à poivre.

— Ne vous approchez pas. Je vous préviens.

— Nous sommes venus ici uniquement pour vous faire ce que vous méritez, madame Blake. Rien de plus.

— Si vous vous approchez…, l'avertit Lily.

Mais, sans aucune hésitation, l'homme sauta par-dessus le dossier du canapé en renversant un pot en cuivre rempli de jacinthes. Il saisit les mains de Lily et, quand elle voulut lui asperger le visage, il lui tordit les doigts si brutalement qu'elle laissa tomber la bombe par terre.

Elle avait suivi des cours d'autodéfense et elle se débattit, feinta et essaya de donner à son agresseur des coups de pied à l'entrejambe. Mais il était bien trop fort pour elle, bien trop robuste. Il lui tordit les bras derrière le dos et la força à se pencher en avant jusqu'à ce que son visage soit pressé contre les poils épais de la moquette. Elle fut seulement à même de haleter de douleur.

— Vous savez ce que vous êtes, madame Blake ? Vous êtes une sorcière, voilà ce que vous êtes. Et vous savez quel est le châtiment pour les sorcières ?

— Lâchez-moi, le supplia-t-elle. Écoutez… Il y a de l'argent dans la maison. En espèces. Vous pouvez le prendre.

— Est-ce que vous insultez ma morale ? répliqua l'homme. Essayez-vous de suggérer que je suis un genre de cambrioleur ? Je suis venu ici pour vous faire ce que vous méritez – c'est pour cette raison que je suis venu ici, et c'est ce que je vais faire !

— J'ai des bijoux. Je vous en prie. Je dois veiller sur mes enfants.

— Oh, maintenant vous vous souciez de vos enfants ! Peut-être auriez-vous dû penser à vos enfants quand vous vous envoyiez en l'air avec Robert Dane !

— Mais qui êtes-vous ? haleta Lily. Qui vous a envoyés ici ?

L'homme se pencha en avant et pesa de tout son poids sur le dos de Lily. Elle eut l'impression qu'il allait lui écraser la cage thoracique. Quand il parla, ses lèvres étaient tout près de l'oreille de Lily, et sa voix, derrière le masque en Celluloïd, était voilée et indistincte.

— Nous avons été envoyés par Dieu, madame Blake. Nous avons été envoyés par Dieu pour accomplir un châtiment divin.

L'autre homme fit le tour du canapé et tous deux soulevèrent Lily. Elle ne s'était jamais sentie si impuissante de sa vie, et son cœur battait comme celui d'un oiseau affolé.

— Tasha ! cria-t-elle, mais sa voix était si étranglée que Tasha aurait été incapable de l'entendre. Tasha ! Appelle la police !

— Je croyais que vous aviez déjà appelé la police, dit l'homme aux cornes de démon. Auriez-vous tenté de nous induire en erreur, par hasard ?

— Lâchez-moi, implora Lily. Si vous me lâchez, je jure sur la tête de mes enfants que je ne parlerai de ceci à personne, jamais.

L'homme saisit les pans du peignoir de Lily et le déchira largement.

— Je ne crois pas que ce soit une proposition valable, madame Blake. De toute façon, quand nous aurons fait ce que nous sommes venus faire ici, vous ne raconterez ceci à personne.

Il arracha le peignoir de son dos et le jeta par terre. À présent, elle ne portait plus que sa longue chemise de nuit blanche.

— Je vous en prie, ne me faites pas de mal, dit-elle. Vous pouvez faire tout ce que vous voulez mais ne me faites pas de mal, je vous en prie. Pensez à mes enfants.

— Vous n'avez toujours pas compris, hein ? répondit l'homme.

Il se pencha en avant, son masque en Celluloïd était à moins de dix centimètres de son visage, et elle voyait ses yeux briller derrière, semblables à ses scarabées noirs. Il dégageait une odeur très forte de cigarettes, d'oignons et de quelque chose d'aromatique, comme de la créosote.

— Nous sommes ici pour les enfants.

— Quoi ?

— Vous avez obtenu la garde des enfants, n'est-ce pas ? Ils ont été confiés à vous seule. Mais s'occuper d'enfants, c'est une très lourde responsabilité. Vous devez avoir des principes moraux et donner l'exemple. Vous devez être la lumière qui les guide. Ne pas boire d'alcool, ne pas jurer, ne pas dire du mal de votre ancien compagnon, et ne pas forniquer à gauche et à droite avec des types qui ne sont même pas dignes d'essuyer le derrière de votre ancien compagnon.

Lily le regarda, horrifiée.

— C'est Jeff qui vous envoyés ? C'est ça ?

— Vous n'avez pas besoin d'en savoir plus, madame Blake, excepté que vous allez avoir ce que vous méritez.

Lily lui cria dessus et se contorsionna éperdument d'un côté et de l'autre, essayant de se dégager. Elle était si terrifiée et si furieuse qu'elle avait l'impression de devenir folle.

— Lâchez-moi ! Lâchez-moi, espèce de salauds ! Lâchez-moi ! Lâchez-moi !

Mais l'homme aux cornes de démon ramena son bras en arrière et la gifla si fort que ses oreilles tintèrent. Immédiatement, elle cessa de se débattre et baissa la tête. Elle sentit le côté de sa bouche enfler et son œil gauche se fermer.

— Ne vous débattez pas, lui conseilla l'homme. Vous débattre ne sert à rien.

— Ça sert à que dalle, dit l'autre homme, parlant pour la première fois, puis il ricana.

Ils traînèrent et portèrent Lily jusqu'à la cuisine. Derrière la porte en verre dépoli qui donnait sur la buanderie, Sergent apparut et se tint là en silence, observant leurs images déformées tandis qu'ils contournaient le plan de travail. Il poussa un geignement rauque, mais il n'aboyait toujours pas.

L'homme aux cornes de démon se tint devant Lily.

— Je tiens à ce que vous sachiez que ceci est un devoir sacré et qu'il n'y a rien de personnel, déclara-t-il. Je n'ai pas envie que vous reveniez me hanter.

Lily ne répondit pas. Sa bouche était trop enflée et elle se sentait trop transie.

L'homme hésita un instant encore, puis poursuivit :

— Mais regardez-vous. Vous ressemblez à une sorcière dans cette chemise de nuit, fin prête à se réconcilier avec Dieu.

Lily tremblait de saisissement. L'autre homme, qui lui tenait les bras, gloussa de nouveau et renifla.

L'homme aux cornes de démon approcha l'une des chaises de cuisine à dossier inclinable et poussa Lily en arrière, l'obligeant à s'asseoir dessus. Il sortit de sa poche un rouleau de corde à linge et lui attacha les bras, la taille et les chevilles, serrant la corde si fort qu'elle lui entailla la peau.

— Vous ne ferez pas de mal à mes enfants, n'est-ce pas ? parvint à lui demander Lily d'une voix étouffée.

— J'ai l'air de quelqu'un qui ferait du mal à un enfant ? répliqua-t-il. Il y a une foutue différence entre le châtiment divin et la cruauté contre nature, croyez-moi.

— Ne faites pas de mal à mes enfants – sinon, au nom de Dieu, je reviendrai pour vous hanter, je le jure. Je vous hanterai jour et nuit pour le reste de votre vie misérable et sans valeur.

L'homme ne répondit pas, traversa la cuisine jusqu'au réfrigérateur et sortit un cubi de quatre litres d'eau minérale. Il revint et ôta le couvercle.

— Vous savez pourquoi les inquisiteurs autrefois plongeaient les sorcières dans l'eau ? lui demanda-t-il. Il y avait trois raisons. La première, pour leur faire avouer leur commerce avec Satan. La deuxième, pour voir si elles flottaient ou coulaient. Si elles flottaient, c'était parce que l'eau de Dieu refusait de les accueillir en son sein et c'était donc la preuve incontestable de leur culpabilité. Mais la troisième raison était de tremper leurs vêtements, ainsi, quand elles brûlaient, elles brûlaient plus lentement et enduraient les souffrances de leur châtiment bien plus longtemps qu'elles l'auraient fait si leurs vêtements avaient été secs.

— Quoi ? s'écria Lily.

Elle n'arrivait pas à croire ce qu'elle entendait. Mais, sans aucune hésitation, l'homme tint le cubi au-dessus de sa tête et le vida entièrement sur elle. L'eau aspergea ses cheveux et son visage, pénétra sa chemise de nuit, et elle ne put s'empêcher de suffoquer.

L'homme lança le cubi vide à travers la cuisine. Pus il fit un signe de tête à son compagnon, et tous deux se baissèrent de chaque côté d'elle. Ils saisirent la chaise de cuisine et la soulevèrent jusqu'à ce que Lily soit juchée sur le plan de travail.

— Qu'avez-vous l'intention de me faire ? demanda Lily.

Assise à cette hauteur, elle se sentait encore plus vulnérable.

— Eh bien, vous êtes une sorcière et c'est la méthode prescrite pour s'occuper des sorcières. Dans la mesure du possible, en tout cas. Ces maisons modernes ont beau avoir tout l'équipement dernier cri, il est cependant très difficile d'en trouver une avec un poteau pour faire brûler une sorcière, d'accord ?

L'autre homme était sorti, mais il réapparut quelques instants plus tard avec un bidon d'essence en plastique vert. Lily entendit l'essence clapoter à l'intérieur.

— Oh, mon Dieu ! s'exclama-t-elle.

— Ce serait peut-être une bonne idée d'implorer le pardon de Dieu durant vos derniers instants.

— Vous n'allez pas me brûler ! Je vous en prie, ne me brûlez pas. Je préfère que vous me tiriez une balle dans la tête.

— Ce serait plutôt difficile, vu que je n'ai pas de flingue sur moi et que mon ami n'en a pas non plus.

— Alors étranglez-moi, pour l'amour de Dieu ! Mais je vous en prie, ne me brûlez pas. Je ne le suppor¬terai pas.

— Je suppose que c'est foutrement douloureux, bien sûr. Mais songez à la douleur que vous avez causée, madame Blake. Vous ne croyez pas que vous le méritez ?

Lily tenta de nouveau de faire appel à ses senti¬ments, mais elle était si terrifiée qu'elle commença à suffoquer sous l'effet de la panique, incapable d'articuler quoi que ce soit. Elle le regarda avec horreur comme il ôtait le couvercle du bidon et entreprenait de répandre méthodiquement l'essence sur le carrelage autour du plan de travail et d'en asperger les côtés. La puanteur de l'essence était suffocante et l'air était déformé par les vapeurs, comme si tout ce qui l'entourait était un mirage.

Finalement, elle entendit une femme dire : « Je vous prie – ne faites pas ça. » À sa grande surprise, c'était elle. Elle fut étonnée d'avoir une voix si posée et indifférente, quasiment comme si une autre Lily Blake plaidait pour elle.

— Si Jeff vous a envoyés – si Jeff a un problème avec la garde des enfants –, je suis sûre que nous pouvons trouver un arrangement. Je parlerai à mon avocat à la première heure demain matin.

L'homme aux cornes de démon ne répondit pas, s'écarta du plan de travail et se dirigea vers la porte de la cuisine, tandis que son compagnon se baissait à côté de lui et répandait une traînée d'essence sur les carreaux.

— Vous ne vous en tirerez pas impunément, insista Lily. Et si c'est Jeff qui vous a envoyés, lui non plus.

Les deux hommes arrivèrent à la porte de la cuisine et sortirent dans le vestibule. Celui aux cornes de démon sortit de sa poche un Zippo bon marché et l'actionna d'une chiquenaude. La flamme dansa et s'inclina, donnant l'impression que son masque en plastique transparent arborait un large sourire.

— Vous commettez une grave erreur, le prévint Lily.

 

 

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© Bragelonne 2009, pour la présente traduction.