Clio Kelly et l'éveil de la gardienne

 

 

Editeur : Éditions du Petit Caveau

Collection : Sang d'ailleurs

Auteur : Angélique Ferreira

Date de sortie : Octobre 2010

Nbre de pages : 170

 

 

 

Prologue

 

Le 30 juin 1764. Nord de la France, entre Aubrac et Margeride.

 

Il faisait très chaud par cette belle journée d'été. Le soleil brillait et une légère brise rafraîchissait les petits bergers qui gardaient leurs troupeaux. Ni les pasteurs, ni personne d'autre, ne se doutait que ce splendide après-midi allait s'achever en un bain de sang.

Originaire du village d'Hubacs, près de la Commune de Saint-Étienne de Limoges, une jeune fille quittait la demeure de ses parents. Jeanne Boulet, quatorze ans, se distinguait par sa beauté etsa vivacité. De son bonnet de coton blanc s'échappaient de longues mèches d'un brun doux et brillant. Dans ses immenses yeux verts, on pouvait lire la soif de vivre et l'innocence que seules les adolescentes de cet âge possèdent encore.

Un sourire sur les lèvres, un bâton dans une main et un panier dans l'autre, elle s'en allait chercher son troupeau pour le conduire aux pâturages. Un peu plus tôt dans la journée, le prêtre de la commune était venu trouver ses parents et leur avait annoncé qu'il ferait faire sa première communion à leur fille au printemps prochain.

Il lui apprendrait aussi à lire et à écrire, ce qui pour quelqu'un de sa condition était rare et lui permettrait de trouver une place de bonne dans l'une des grandes maisons de la région. Ces faits laremplissaient d'une fierté qu'elle ne cachait pas.

Dans sa bourriche, elle avait emporté la Bible qu'elle possédait, bien qu'elle ne puisse encore la lire. Le livre lui apportait une paix intérieure et l'emplissait de bonheur.

Allant jusqu'à la bergerie, elle fit joyeusement sortir son bétail. De là, elle emprunta la route qui passait devant le vieux moulin où ses frères aînés travaillaient. Alors que ceux-ci faisaient des allers retours les bras chargés de sacs de farine, elle leur adressa un signe de la main et continua son chemin.

Comme à son habitude, elle conduisit ses bêtes sur les pâturages où tous les enfants de son âge se réunissaient. Quand elle arriva, elle trouva ses compagnons courant à travers champs. Leurs jeux les faisaient plonger dans l'herbe verte et grasse, dont la douce odeur leur emplissait les narines. Tandis que les animaux partaient en quête de nourriture, elle rejoignit ses amis.

Vers midi, alors qu'ils se réunissaient pour diviser leur maigre repas, une dispute éclata entre les plus âgés. Furieuse qu'ils ne partagent pas sa joie au sujet des promesses du prêtre, Jeanne se leva.Rassemblant son bétail, elle décida d'aller le faire paître plus loin, aux abords de la forêt du Mont Mouchet.

Une des premières règles que les parents avaient apprise à leurs progénitures, c'était bien de ne jamais pénétrer dans cette épaisse forêt où il était si facile de s'égarer. Elle devait donc veiller à cequ'aucune des bêtes n'échappe à son attention et ne disparaisse dans les bois.

L'endroit était désert et Jeanne savait que les autres ne la suivraient pas. La jalousie qui les dévorait la rendait triste, mais elle refusait de rester ignorante pour épargner leur vanité. Retirant son tablier, elle l'étala au sol et s'allongea dessus. Une fois confortablement installée, elle plongea la main dans son panier et en sortit la petite Bible. Le livre était si lourd entre ses doigts fins ! Ellene pouvait résister à l'envie de laisser ses ongles glisser sur la couverture.

Au moment où un vent doux se levait, une agitation soudaine frappa les animaux qui se mirent à bêler bruyamment, au point de soustraire Jeanne à la contemplation du bréviaire. Se redressant, elle fronça les sourcils et regarda autour d'elle.

Le calme régnait dans la prairie, seul le bruit du vent se mêlant aux feuilles des arbres de la forêt voisine brisait le silence pesant. Jeanne abandonna son livre et s'empara de son bâton. Les moutons avaient-ils senti une odeur ?

Sa première pensée alla vers les loups. En Gévaudan, ils étaient nombreux et n'hésitaient pas à s'attaquer au bétail, mais rarement en présence du berger ! Généralement, ces animaux étaient craintifs vis-à-vis de l'homme, et les gens du pays savaient comment s'en débarrasser ; cependant ses mains se resserrèrent d'instinct sur le bout de bois. Un frisson lui parcourut la colonne vertébrale, la peur lui broya l'estomac. Elle ne distinguait rien d'anormal mais son intuition lui conseillait d'être prudente.

La gorge sèche, elle jeta un nouveau coup d'oeil à ses brebis. Elles étaient toutes blotties les unes contre les autres, mais le calme était revenu. Ses muscles se relâchèrent quelque peu, puis totalement quand les animaux retournèrent à leur repas.

Alors qu'elle baissait son arme de fortune, elle se rendit compte qu'elle avait cessé de respirer. La gorge nouée, elle s'empara de sa gourde et la vida aux trois-quarts. Son coeur reprenait petit à petit un rythme normal. Jeanne commençait à regretter de s'être autant éloignée du pâturage habituel. Mais le souvenir des moqueries de ses amis ré-veilla le goût amer de la rancune et elle renonça à rebrousser chemin.

Ses pensées se tournèrent vers le dimanche qui l'attendait. Lire, écrire, quelle aubaine pour elle qui n'était rien d'autre qu'une simple fille de ferme ! Bien que ses lectures ne se contenteraient que de la Bible, elle pourrait se gorger de la connaissance des Saintes Écritures. Allongée dans l'herbe, elle croisa les bras derrière sa tête ; une feuille entre les lèvres.

Le calme fut soudain brisé par un sifflement strident, suivi d'un étrange hurlement. Elle se redressa brusquement. Dans sa précipitation, elle s'emmêla les jambes dans ses jupes et tomba à la renverse.

De nouveau, son attention fut attirée par les cris paniqués des moutons qui cette fois-ci, s'élancèrent chacun dans une direction différente.

Son sang se glaça. Elle ne pouvait se permettre de perdre la moindre bête, sa famille était trop pauvre pour s'offrir ce luxe. Alors qu'elle s'apprêtait à s'élancer à leur poursuite, un mouvement furtif dans les hautes herbes la stoppa dans son élan. Elle ne parvenait pas à distinguer l'être, dissimulé dans la noirceur de la végétation. Ce qui effrayait son bétail venait de la forêt. La chose remua légèrement.

Bien qu'elle ne puisse clairement la voir, elle devinait ses contours. C'était trop grand et trop gros pour être un loup ! Une sueur froide coula le long de son dos, ses tempes battaient, elle ne pouvait rester sur place ! Il fallait qu'elle coure si elle tenait à la vie.

Alors qu'elle s'élançait pour rejoindre les pâturages, elle fut heurtée par derrière, avec une telle violence qu'elle s'en alla rouler au sol. La douleur lui fit monter les larmes aux yeux. Le nez dans l'herbe, le goût de celle-ci mêlé à la terre pénétra dans sa bouche et lui donna la nausée. Elle se figea en percevant une présence au-dessus d'elle.

Les pulsations dans sa poitrine résonnèrent comme des tambours à ses oreilles lorsqu'un souffle brûlant lui parcourut l'échine. Celui-ci n'appartenait en rien à un humain, ni à un animal qu'elle connaissait. Prise de tremblements, elle se tourna lentement.

Son coeur rata un battement quand son regard rencontra deux immenses yeux jaunes. Ne pouvant se détacher de ces iris, elle ne vit pas la gueule de crocs aiguisés qui lui transperça la gorge. Un flot desang chaud coula le long de son corps. Étouffée par son fluide de vie, aucun son ne put sortir de ses lèvres lorsque le monstre entreprit de la dévorer.

C'est ainsi que mourut la première victime de l'étrange créature, que l'histoire nomma ensuite "Bête du Gévaudan".

 

 

A propos de ce livre :

 

- Site de l'auteur : http://www.angeliqueferreira.fr/

- Site de l'éditeur : http://www.editionsdupetitcaveau.com/

 

(Copyright éditions Le Petit Caveau / Angélique Ferreira , extrait diffusé avec l'autorisation de l'éditeur)