A l'Ombre des Pleurs

 

 

Editeur : Editions Cauchemars

Auteur : Cécile Guillot

Date de sortie : Janvier 2011

Nombre de pages: 140

 

 

Cœur de cristal

 

 

 

Texte paru dans l'anthologie Sorcières et Sortilèges en mai 2010

 

 

Je pris une grande inspiration et poussai la porte de la maison. Rien n'avait changé, chaque chose se trouvait à sa place, pourtant ce n'était plus le nid douillet que j'avais connu, le havre de paix chaleureux où résonnait le doux chant de grand-mère et où flottaient toujours des parfums de cannelle et de miel. Une odeur de renfermé baignait les lieux, désormais tristes à en mourir, et les plantes vertes s'étiolaient dans la pénombre ambiante. Un mois. Cela faisait seulement un mois qu'elle était partie, pourtant moi j'avais l'impression que cela faisait une éternité. En deux grandes enjambées, je traversai le salon et ouvris les volets, vaine tentative pour ramener un peu de vie dans cette pièce esseulée. J'allai ensuite directement dans sa chambre et m'approchai de l'autel où trônait une statuette représentant la Déesse Mère. À côté, il y avait le lourd coffre de bois où grand-mère rangeait tous ses accessoires de sorcellerie. Je m'accroupis devant, indécise, les larmes aux yeux. Aujourd'hui, c'était mon grand jour.

Dans ma famille, nous sommes sorcières de génération en génération. À ses dix-huit ans, chaque jeune fille se voit offrir par sa mère ses premiers outils. Celle-ci lui transmet ses secrets et la guide lors du rituel d'initiation et des sabbats. En principe. Car voilà, ma mère était morte lors de ma naissance, et ma grand-mère et moi représentions les dernières de notre lignée.

Je me revois encore, discutant sur un ton enjoué avec Nanny, dans le jardin. Elle plantait de la camomille, et m'expliquait les différentes vertus médicinales de cette plante, quand subitement elle s'était effondrée au sol. Rupture d'anévrisme. À l'arrivée des pompiers, il n'y avait déjà plus rien à faire. On m'avait ensuite placée dans une famille d'accueil en attendant ma majorité.

Je venais juste d'avoir dix-huit ans et j'avais devant moi mon héritage, toutefois ce n'était pas ainsi que les choses auraient dû se passer. J'avais au creux du ventre un vide douloureux, qui, semblait-il, ne me quitterait jamais. J'étais seule, désespérément seule. Il me fallait devenir une adulte sans Nanny, mais aussi une sorcière. Je savais bien que, comme tout un chacun, je finirais par grandir, cependant devenir une sorcière sans personne pour me guider me semblait impossible.

Deux grosses larmes roulèrent le long de mes joues et je me décidai à soulever le couvercle d'ébène. Je sortis les objets un à un, observant avec dévotion chacun d'eux avant de les poser sur l'épais tapis de laine. Il y avait plusieurs grimoires, certains paraissaient très anciens avec leurs pages parcheminées qui craquaient sous les doigts et leur sombre couverture de cuir. L'un des ouvrages n'était autre que le livre des ombres de ma grand-mère, son propre grimoire où elle pouvait noter les diverses potions qu'elle inventait ou juste les idées qui lui semblaient importantes. Il s'agissait, à première vue, d'un simple calepin ; mais la reliure était faite d'un velours pourpre, avec en son centre un pentagramme doré. Le rouge et l'or, deux couleurs qu'affectionnait particulièrement Nanny. Deux teintes symboles de passion et de noblesse, à l'image de son âme. Dessous, un long coffret plat enfermait tout un tas de pierres énergétiques. Pierres de lune, améthystes, obsidiennes et d'autres encore dont je ne connaissais pas les noms, étalaient leurs couleurs en un arc-en-ciel éclatant. Se trouvaient également les accessoires nécessaires à la célébration des sabbats : le calice, l'athamé , la baguette, l'encensoir, les bougies de différentes teintes ainsi que le magnifique tabard de lin blanc aux broderies celtiques que je lui enviais tant.

Je croyais avoir vidé le coffre dans son intégralité, quand mon regard fut attiré par un petit sachet de soie noir, dont la couleur s'était fondue dans le bois sombre. Intriguée, je l'ouvris et découvris qu'il ne renfermait qu'une simple chaîne au bout de laquelle pendait un bijou ciselé à l'aspect ancien. Le pendentif semblait tenir entre ses griffes d'argent une petite pierre translucide. En y regardant de plus près, je pus constater qu'il s'agissait d'un cristal de roche, mais, fait étrange, une sorte de brume laiteuse paraissait flotter à l'intérieur. Je n'avais jamais vu ça auparavant, néanmoins je trouvais l’effet très joli ! J'ôtai la citrine qui, d'habitude, ne me quittait pas pour essayer ma nouvelle trouvaille. Le bijou dégageait une certaine chaleur que je ressentais comme bienfaisante, assise ici, dans ce lieu qui en un mois était devenu froid et humide.

- À l'aide !

Je regardai autour de moi, interloquée. La voix semblait résonner à l'intérieur de ma tête, cependant ma raison m'incitait à en chercher la provenance dans le monde tangible.

- Je suis dans le pendentif, seuls ceux qui le portent peuvent m'entendre.

Mes yeux se portèrent sur le bijou à l'intérieur duquel la brume s'était mise à tourbillonner.

- Qui es-tu ? demandai-je d'un ton hésitant.

 

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1 : Athamé : couteau à double tranchant utilisé lors des rituels

2 : Tabard : longue robe rituelle serrée à la taille par une cordelière

 

 

 

A propos de ce livres :

 

- Lire la Chronique de l'anthologie Sorcières et Sortilèges dont l'extrait est tiré

- Site de l'auteur : http://azyliseyes.free.fr/

- Site de l'éditeur :http://www.editions-cauchemars.fr/index.html

 

 

(Copyright Editions Cauchemars / Cécile Guillot, extrait diffusé avec l'autorisation de l'éditeur)