Simon Sanahujas
Écrit par Stegg   

 

 

Auteur d'essai sur Robert Howard, Edgar Rice Burough ou encore Dracula, Simon Sanahujas est également écrivain, créateur des personnages de Karn et de Suleyman.

 

 

Bonjour ! Tout d'abord, merci d'accepter de répondre à quelques questions pour Psychovision.

Je commence par une question classique. Pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

 

Merci à vous de m'accueillir ici !

Pour aller à l'essentiel : j'écris depuis l'adolescence, j'ai inauguré mes publications professionnelles avec deux romans de SF publiés chez Rivière Blanche en 2005 et 2008 : "Suleyman" puis "L'Emprise des rêves" (récemment ressortis en version poche aux éditions Lokomodo), des histoires traitant du concept de multivers et de la relation entre création et créateur dans une ambiance un peu pulp et résolument orientée vers l'action. Ensuite j'ai travaillé pour les Moutons électriques chez qui j'ai publié un essai sur le héros de Robert E. Howard ("Les nombreuses vies de Conan"), puis trois récits de voyages illustrés par les photographies de mon comparse Gwenn Dubourthoumieu avec qui je suis allé sur les traces de plusieurs héros de littérature populaire en partant de l'idée qu'ils avaient réellement existé ("Conan le Texan", "Sur la piste de Tarzan" et "A la poursuite de Dracula"). Ensuite je suis revenu à mon premier amour en publiant les Chroniques de Karn, deux romans d'une Heroic-Fantasy tumultueuse et remuante parus en 2011 et 2012 chez Asgard ("Nereliath" et "Seuls les Dieux").

 

Qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire de la fantasy et de la SF ?

 

Depuis aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours eu envie de raconter des histoires, et je me suis tourné vers la Fantasy et la SF tout simplement parce que c'est ce que je lisais dans ma jeunesse. Bilbo a été ma première lecture, vers 8 ans, puis ont suivi Conan, le Cycle des Epées, celui de Fondation, les univers de Moorcock etc. Ecrire dans ces genres s'est fait tout seul, comme une évidence. Par la suite, j'ai pris conscience des infinis possibilités données par ces domaines particuliers, une liberté totale que je continue d'utiliser pour essayer d'aborder des problématiques contemporaines tout en les habillant des atours du divertissement qui est, à mon sens, l'objectif premier de tout livre.

 

Vous êtes également l'auteur de plusieurs essais, notamment sur Tarzan, Dracula, Conan, mais aussi sur leurs auteurs, qu'est ce que ça vous apporte dans votre travail d'écrivain ?

 

Ce genre de travaux permet d'aller au-delà de l'œuvre en elle-même, de découvrir l'auteur qui se cache derrière et, surtout, ses processus de création. C'est extrêmement intéressant à plusieurs niveaux, d'une part parce que cela donne un éclairage nouveau sur l'œuvre (d'où vient-elle, pourquoi, que renferme-t-elle au-delà de son histoire propre), et d'autre part parce que tous ces auteurs ont des manières radicalement différentes d'aborder l'écriture et la création. Cela me passionne car, à chaque fois, cela me permet d'en apprendre plus sur moi, de comprendre par l'analyse de ces exemples différents quels sont les mécanismes qui sont à l'œuvre dans ma propre création. Et les comprendre permet de les utiliser à meilleur escient, de les renouveler voire de jouer avec en les prenant à contrepied.

 

Dans "Suleyman" et "L'emprise des rêves", on croise le personnage de Karn, héros de vos deux autres romans, est-ce que ça vient d'une envie de créer un multivers à la Morcoock ou d'ajouter de nouvelle facette à son Champion éternel ?

 

A l'origine, l'idée de placer Karn dans ces romans était à la fois un clin d'œil et une mise en abîme. Karn est le premier personnage sur lequel j'ai écrit. Je devais avoir 13 ans à l'époque et il s'agissait de nouvelles de jeunesse que je compte bien ne jamais faire publier ! Mais le plus important, c'est que le personnage existait, qu'il était sorti de ma tête pour prendre vie sur le papier. Que ces textes soient lus par d'autres ou pas, il existait déjà. Comme le principe de mon Multivers est que l'ensemble des créations artistiques y prennent corps sous la forme d'un univers propre, j'ai trouvé amusant de joindre Karn et son univers à ce panel de mondes. Ensuite, dans "L'emprise des rêves", Karn est venu donner du sens au thème principal de l'histoire : lui et Suleyman sont tous deux des héros de papier, et l'objectif de Suleyman est de se libérer de l'emprise de son créateur, cet écrivain qui, indirectement, le prive de choix véritablement personnels puisqu'il décide de ses actes. Bref, le personnage de Karn m'a permis de fournir un contre exemple qui est venu modifier la réflexion de Suleyman. C'est assez amusant, je trouve, l'idée que deux héros de fiction qui n'ont rien à voir ensemble puisse se retrouver liés ainsi. Enfin, utiliser Karn dans ces textes m'a permis de développer son univers et son histoire. Ainsi, avec les deux romans qui lui sont consacrés (pour l'instant !), les quelques nouvelles et ses différentes apparitions dans le diptyque Suleyman, le lecteur peut appréhender une bonne partie de la vie et du cheminement de ce personnage.

 

A propos du Multivers, c'est le vaste décor que vous avez choisi pour Suleyman et sa suite, c'est quelques chose qui pose des difficultés ? Puisqu'il faut créer plusieurs monde à l'intérieur ?

 

Ce n'est pas difficile : c'est un plaisir ! Quand j'ai eu l'idée de ces histoires, je voulais vraiment donner l'impression d'une valse des mondes : les personnages sont constamment en transit, ils s'attardent rarement sur un même univers car, finalement, le décor de ces romans n'est pas un monde en particulier ou une poignée de monde, le décor est le Multivers dans son ensemble. Au niveau de l'écriture, c'est particulièrement jouissif car cela permet de varier énormément les ambiances tout en laissant libre cours à mon imagination, sans aucune contrainte puisque tout peut et doit exister dans le Multivers. D'où des chapitres sur des univers à double pesanteur, des planètes végétales, des mondes médiévaux, des spatioports fourmillant etc. Cela m'a permis aussi de m'amuser en jouant sur les contrastes : le système des portails reliant les mondes fonctionne comme de la téléportation et, en conséquence, les personnages passent de l'un à l'autre brutalement : changements de climat, de perspective, de pesanteur etc. En fait, ça s'est révélé une facette extrêmement utile pour faire varier énormément l'ambiance de ces aventures.

 

Par contre, le fait de pouvoir mélanger SF et Fantasy, de citer Frank Herbert et Frazetta dans le même roman, ce doit être un plaisir pour un auteur d'imaginaire ? Ou c'est quelque chose dont on ne doit pas abuser ?

 

Proposer ce genre de clins d'œil aux maîtres est évidemment quelque chose de très plaisant. Et en effet, au début, je me retenais pour ne pas en abuser. Ainsi, dans "Suleyman", les mondes issus d'œuvres connues se comptent sur les doigts d'une main, ou sont simplement évoqués. Et puis c'est Jacques Baudou qui, après avoir lu le roman, m'a dit que j'aurais dû utiliser cela bien plus car l'idée était vraiment amusante et pouvait receler des choses vraiment intéressante. En conséquence, je me suis fait plaisir dans « L'emprise des Rêves » et tout y passe : de Dune à Tolkien, de Dali à Valerian sans oublier, évidemment, Philip José Farmer : je me suis un peu senti obligé de rendre hommage à l'auteur des "Faiseurs d'univers"... Si vous voulez vous amusez, j'ai glissé à chaque fois un indice en début de chapitre qui permet de retrouver plus ou moins facilement l'œuvre originale…

 

A un moment, Il est question dans l'emprise des rêves d'un auteur de fantasy dont l'oeuvre a été influencé par sa propre vie. Du coup, il y a quelque chose d'autobiographique dans vos romans ?

 

Il y a toujours, et forcément, quelque chose d'autobiographique dans un roman. Pour être crédible dans la rédaction d'une situation, le plus simple est de traiter de quelque chose que l'on connaît et donc, souvent, d'évoquer par des voies détournées du vécu. Après, je ne parle jamais vraiment de ma vie, je ne campe jamais un personnage que je connais, mais il est courant que j'empreinte à ces expériences et ces rencontres des morceaux qui vont me servir à augmenter le réalisme de mes histoires. Mais je ne vais pas dire ici qu'est-ce qui est autobiographique ou ne l'est pas dans mes textes, je préfère évidemment garder une part de mystère là-dessus…

 

A la fin de L'emprise des rêves, Suleyman rencontre son créateur, c'est quelque chose d'où vous auriez envie ? De rencontrer un de vos personnages ?

 

Je ne crois pas avoir réellement envie de ce genre de rencontre : je ne ménage pas la plupart de mes personnages, et il se pourrait très bien qu'ils veuillent se venger ! Dans « L'emprise des rêves », il était logique d'amener cette rencontre dans le déroulement de l'histoire puisque, en fait, toute l'histoire de "Suleyman" et de "L'emprise des rêves" tourne autour de cette idée : un personnage de roman peut-il être réellement libre sachant qu'un autre décide de ses actions à sa place, et que devient un personnage de roman s'il tue son créateur ? D'ailleurs, la trame de "L'emprise des rêves" tourne essentiellement autour de cette scène de rencontre particulière : ce n'est pas un hasard si elle ouvre le roman et le clôt…

 

Pour "A la poursuite de Dracula", vous êtes passé par le Crowdfunding (le financement participatif). Vous pouvez nous en dire plus sur cette expérience et nous dire si vous y voyer une alternative intéressante à l'édition traditionnelle ?

 

Je ne vois pas le crowdfunding comme une alternative à l'édition traditionnelle, non. Il s'agit d'un moyen de rassembler des fonds pour réussir à réaliser un projet. Dans le cas de "A la poursuite de Dracula", c'était très particulier car l'argent récolté a servi à tout sauf à financer le livre. C'est l'éditeur qui a financé l'impression, comme cela se fait dans l'édition (normalement !) et ce que nous avons réuni nous a en fait servi à payer les à côtés : la réalisation d'une exposition photos, le remboursement d'une (petite) partie de notre voyage, et puis le salaire du graphiste qui a effectué un gros boulot sur le livre pour une somme dérisoire, et que nous tenions personnellement à rétribuer un peu plus. Comme vous le voyez, cela ne change rien au système de financement éditorial habituel. Quant à chercher une alternative à ce système, je pense qu'elle se situe plus vers les nouvelles technologies, l'e-book entre autres, qui permettent de produire un livre pour un coût bien moindre. Pour l'instant, à l'exception de quelques rares et courageuses maisons d'éditions, nous demeurons sur l'ancien schéma, mais cela change doucement. Le travail de l'éditeur est forcément amener à se métamorphoser puisque, via l'e-book, il n'aura pratiquement plus le rôle de financeur qui est le sien dans l'édition papier et devra, à mon sens, se concentrer sur le travail éditorial et la communication pour justifier sa position.

 

Vous êtes également régisseur d'orchestre. Du coup, j'aimerais bien savoir s'il y a une influence de la musique sur votre travail comme peuvent en avoir eu Howard par exemple ?

 

La musique, c'est une passion et une influence énorme, d'autant plus que j'ai suivi une formation de musicien professionnelle à l'origine, même si j'ai abandonné cela par la suite. La musique est toujours présente lorsque je travaille : j'en écoute constamment et je l'utilise énormément lorsque j'écris : pour les sonorités des phrases et leur rythme notamment. Lorsque je me relis, je sens immédiatement lorsqu'une phrase n'est pas équilibrée dans sa rythmique, c'est une sorte d'oreille que j'ai développée avec le temps mais qui trouve son origine dans ma relation à la musique. Au-delà de ça, la musique est très présente dans "Suleyman" et "L'emprise des rêves" : on y retrouve des extraits de chansons et notamment celles du groupe d'électro Milamarina, pour qui j'ai écrit des textes inspirés de ces romans.

 

Quels sont vos projets ?

 

Actuellement, je travaille sur le troisième volet des Chroniques de Karn, qui j'imagine sortira en 2014. Ensuite je prévois de m'éloigner un peu des littératures de l'imaginaire pour travailler à d'autres genres. A côté de ces travaux purement littéraires, je travaille sur l'idée d'un nouveau voyage imaginaire avec Gwenn Dubourthoumieu. Et puis il y a aussi un projet complètement différent qui me tient beaucoup à cœur puisqu'il mélangera plusieurs de mes passions, il s'agit d'une série de concerts qui illustreront en musique l'histoire de "L'emprise des rêves", avec Milamarina, de nouveaux textes de chanson et un orchestre symphonique, ça devrait valoir le détour !

 

Je vous remercie d'avoir bien voulu répondre aux questions de Psychovision. Et je vous laisse donc le mot de la fin :

 

Par les temps qui courent, je choisis "Aimez-vous les uns les autres, bordel de merde !". Et merci à vous de m'avoir posé ces questions !

 

A propos de cette interview :

 

- Chronique de "L'Emprise des rêves"

- Site de l'auteur : http://sanahultivers.over-blog.com/