Roland C. Wagner
Écrit par Stegg   

 

Interview réalisé le 22 juillet 2011.

 

Figure incontournable de la SF française, Roland C. Wagner a débuté dans la collection anticipation en 1987 avec Le Serpent d'Angoisse, roman qui servait de prémisse à ses "Futurs Mystère de Paris". Aujourd'hui, il est l'auteur d'une trentaine de roman dont "Le Chant du cosmos", "L.G.M." ou encore "la Saison de la Sorcière". A l'occasion de la sortie de sa très attendu uchronie "Rêves de Gloire", il a répondu à nos question.

 

 

Bonjour Roland et merci d'accepter de répondre aux questions de Psychovision. On peut dire que cette uchronie s'est faite attendre auprès de vos lecteurs assidus ! Qu'est-ce qui a demandé plus de temps pour celui-ci par rapport à vos autres romans ?

 

Tout. La réflexion, la conception, l'écriture... J'ai dû évoquer l'idée pour la première fois il y a une vingtaine d'années, je me souviens vaguement que c'était lors d'un dîner après la remise du prix Cosmos 2000, j'en ai parlé à Gérard Klein, il y avait aussi Norman Spinrad et N. Lee Wood. À ce moment-là, c'était un projet très flou, rien de plus qu'une direction de travail. Et puis j'ai commencé à y penser, de plus en plus. Je me suis documenté, j'ai interrogé ma mère, des gens de ma famille… Mais, quelque part, j'y allais à reculons. Le projet me flanquait la trouille, quelque part. Daniel Riche, qui était mon directeur de collection au Fleuve Noir, a été enthousiasmé par le projet, il m'a même fait un contrat, mais le projet n'était pas mûr, et le contrat est devenu celui de Tøøns après le départ de Daniel du Fleuve. C'était bizarre, je savais que je finirais par écrire le roman, mais je n'arrivais pas à m'y décider. En 2006, j'ai soumis un dossier au CNL, qui ne l'a pas retenu. Alors j'en ai parlé à Mireille Rivalland, qui m'a fait un contrat. C'était essentiel : il fallait que je trouve un moyen de m'obliger à écrire ce foutu bouquin. À partir du moment où l'Atalante l'avait acheté, j'étais coincé, je n'avais plus le choix, je devais écrire ce truc, et je ne voulais pas écrire d'autre roman avant de l'avoir terminé. Donc j'ai passé trois ans à continuer à peaufiner ma documentation et à réfléchir, et aussi à rédiger des bouts et des fragments qui venaient s'ajouter à ceux que j'avais déjà, et puis j'ai entamé la rédaction après l'été 2009. Ce n'était pas facile, la charge émotionnelle était très forte, les doutes et les interrogations ne cessaient de m'assaillir, c'était même, eh bien, douloureux par moments.

 

 

Avec ce roman, Rêves de Gloire, on a l'impression que c'est un peu votre histoire personnelle et votre enfance que vous êtes en train de raconter aux lecteurs. Pourquoi cette envie ou ce besoin de vous raconter ?

 

En fait, non. Je veux dire que je ne me raconte pas dans le livre. L'auto-fiction, ce n'est décidément pas mon truc. Ce n'est pas parce que le narrateur possède une histoire familiale similaire à la mienne, et que son père (dont la vie ressemble beaucoup à celle du mien, de père) l'a emmené un jour d'été à la Pointe Pescade, qu'il est moi. Comme beaucoup de mes personnages, c'est un "composite", qui possède des traits empruntés à divers individus réels ou imaginaires. Que sa maison familiale, dont il est question à plusieurs reprises dans le livre, soit précisément celle de ma grand-mère procède beaucoup plus d'un désir d'authenticité que d'une volonté d'établir un lien entre le personnage en question et moi-même ; cette maison, je pouvais la décrire en détail, avec une charge émotionnelle sincère. Et quand je parle d'authenticité, je fais allusion au fait que j'ai voulu travailler avant tout sur la base de mes souvenirs d'Alger, où cette maison occupe bien sûr une place importante. En ce sens, oui, c'est un livre très personnel, puisqu'il procède de ma vision d'enfant d'une ville qui, déjà, n'était plus celle de la période coloniale. Mais ce que je raconte, c'est l'histoire de tout un peuple, pas celle d'un individu anonyme à qui j'ai donné quelques points communs avec moi pour des raisons de "réalisme" plutôt que d'identification.

 

 

Dans cette uchronie, vous mettez en scène beaucoup de vos valeurs comme le pacifisme, la non-violence, le partage et la solidarité pour les confronter à un monde "réel" où elles vont échouer en quelque sorte. Doit-on y voir plutôt de l’amertume ? De la colère ? Des regrets ?

 

Rien de tout ça, pour la bonne raison qu'il n'est pas évident que les valeurs en question aient échoué dans le monde "réel" du roman. Je serais même tenté de dire qu'elles ont réussi, et qu'une partie de Rêves de Gloire, voire le roman tout entier est le récit de cette réussite. Bien sûr, cette réussite, a priori partielle, n'est pas éternelle, mais comment pourrait-elle l'être ? Ce n'est pas le roman des espoirs déçus d'une génération qui a cru en la non-violence et la paix universelle : ça, c'est ce qui s'est passé dans notre monde, où l'ultra-libéralisme allié au néo-conservatisme n'ont eu de cesse à partir de 1973 de balayer les rêves acides des années 1960, ainsi que l'héritage du New Deal et, chez nous, du Conseil national de la Résistance. En conséquence, le monde de Rêves de Gloire est sans doute plus "équilibré" que le nôtre sur le plan géopolitique, et il est à mon sens symbolique qu'à partir des années 1970 l'URSS préfère dépenser de l'argent pour aller sur Mars plutôt que pour financer guérillas et gouvernements pseudo-socialistes du Tiers monde.

 

 

D'un coté, le mouvement Vautrien est décrit comme ayant une idéologie de partage, mais d'un autre, il tire aussi une partie de ses revenus de la vente et d'investissement de certains de ses membres. Ce n'est pas un petit peu contradictoire ?

 

Pas plus que les hippies de San Francisco exploités par les propriétaires des boutiques de Haight-Ashbury qui, eux, n'étaient pas du tout hippies. La seule différence, c'est que, dans le roman, les vautriens — enfin, certains d'entre eux — prennent en main cet aspect des choses, de la réalité, au lieu de laisser d'autres s'en emparer. Il me semble que les vautriens se distinguent des hippies par leur pragmatisme, la métaphore du train de la réalité fonctionne pour les premiers, elle est inapplicable aux seconds. Mais pour s'en rendre compte, il faut aller au-delà du mythe et se pencher sur ce qui s'est réellement passé en Californie au milieu des années 1960. Tandis que certains flottaient dans leurs rêveries mystiques et colorées, d'autres s'en mettaient plein les poches. Chez les vautriens, les seconds partagent en général avec les premiers, du moins au début.

 

 

Globalement, comment avez-vous construit l'Histoire de votre uchronie ? Comment avez-vous choisi les événements à supprimer ? Ceux que vous avez modifié ?

 

La base, à défaut d'être le point de divergence le plus ancien, c'est l'assassinat du général De Gaulle. Parce qu'il a échappé à une quinzaine d'attentats. Ce type avait vraiment le cul bordé de nouilles. Pour le reste, soit je ne m'en souviens plus, soit ça prendrait trop de temps d'entrer dans le détail, soit je ne veux pas le faire parce qu'à trop démonter la mécanique, on finit par la rendre inopérante.

 

 

Vous accordez également une grande place à la musique et au rock Vautrien. Comment avez-vous crée ce monde musical ? Vous êtes-vous inspiré de vrais groupes ou tout a-t-il été créé de toutes pièces ?

 

Les deux, mon général. Certains des groupes les plus improbables ont réellement existé dans notre monde, d'autres sont inspirés par des groupes ayant existé dans notre monde, d'autres sont des créations à part entière. Quelqu'un s'est étonné que les Beatles — enfin, les Silver Beetles du roman — se soiet séparés au bout de trois 45 tours ; selon lui, si Lennon et McCartney se rencontrent, hop ! ça ne peut être que le succès assuré. Seulement, si Lennon est cité une ou deux fois, il n'est nulle part fait mention de McCartney.

 

 

Il y a quand même une grande absente dans cette uchronie, c'est la psychosphère. A moins qu'elle ne pointe timidement le bout de son nez lorsque les protagonistes se mélangent grâce à la gloire ?

 

Non. Sur ce plan, le monde de "Rêves de Gloire" est identique au nôtre, et la psychosphère, motif littéraire lié au monde des Futurs Mystères, n'a rien à y faire.

 

 

Il y a également la SF qui, si elle a le droit à plusieurs citations, n'a pas vraiment de rôle primordial, contrairement au rock. Or c'est assez surprenant quand on connaît votre passion pour le genre. Vous ne croyez plus en cet aspect prospectif ?

 

Ce n'est pas la question. Le roman met en scène un collectionneur de disques, dont la vision du monde passe pour ainsi dire exclusivement par les disques en question. C'est parce qu'il cherche un 45 tours qu'il est amené à soulever çà et là le voile qui recouvre la vérité sur la guerre d'Algérie de cet univers. D'où l'importance de la musique pour comprendre l'histoire de cette uchronie.

 

 

Quand on regarde l'actualité de ce début d'année et plus particulièrement les révolutions de printemps, on peut avoir l'impression que la réalité a rejoint l'un des passages importants de "Rêves de Gloire". Quel effet ça fait de voir des événements qu'on a imaginé se produire ?

 

Ça fait bizarre. Quand le monde arabe a commencé à bouger, j'étais en train de terminer le roman, pour ainsi dire dans la dernière ligne droite. Et là, le seul truc que j'ai été capable de me dire, et que j'ai bien dû répéter des dizaines de fois, c'était : "Oh, putain !" Ça manque peut-être d'élégance mais ça résume parfaitement mon sentiment. Un sentiment que j'avais déjà ressenti, en nettement moins fort cependant, quand G.W. Bush a commencé à jouer à "Je déclare la guerre à tous les pays" alors que j'étais en train d'écrire LGM, où un président des USA surnommé "le Petit Buisson" lance l'U.S. Army à l'assaut de la Californie sécessionniste.

 

 

Après avoir exploré le cosmos dans vos space-opéra et un futur plus proche dans les enquêtes de Tem, vous avez écrit deux uchronies, "L.G.M." et "Rêves de gloire". Pourquoi cette envie d'explorer l'Histoire maintenant ? C'est pour mieux affronter le présent ou préparer le futur ?

 

Ça s'est fait comme ça. Pour mémoire, LGM a été écrit en 2000-2001, ce qui signifie qu'entre les deux romans il y a eu plusieurs Futurs Mystères, un planet opera (Le Temps du voyage) et une satire de politique-fiction aux reflets d'urban fantasy (La Saison de la Sorcière). Quant à Rêves de Gloire, il était temps de conclure, pour tout un tas de raisons, personnelles et autres.

 

 

Dans "Rêves de gloires", vous faites à un moment l’apologie d'internet pour la distribution de la musique et des petits label, est-ce qu'il en va de même pour la littérature ? Le livre numérique, c'est plutôt quelque chose pour lequel vous êtes favorable ?

 

Je dirais plutôt qu'un de mes personnages voit dans la Toile un moyen de promotion efficace à l'échelle de ses projets. Rien dans le roman ne permet de dire s'il a raison, ou tort. Quant au livre numérique, il n'y a pas à lui être favorable ou défavorable : c'est simplement une nouvelle technologie qui modifie les méthodes et canaux de diffusion de la culture au sens large. Si elle prend, il faudra s'y adapter. Si elle ne prend pas, on s'en fout, à terme. La grande inconnue, c'est la part respective du livre papier et du livre électronique au moment où les choses vont se stabiliser. Les majors ont cru qu'elles pouvaient tuer le vinyle et le remplacer par le CD ; non seulement elles n'ont pas tout à fait réussi, puisque le nombre de vinyles pressés chaque année, après une chute considérable, est de nouveau en augmentation depuis,je crois, le début des années 2000, alors que celui de CD dégringole en flèche, mais elles n'ont pas su négocier la transition technologique suivante, celle du net, du mp3, et plus généralement de la dématérialisation des œuvres. Et le pire, dans tout ça, c'est que les "grands" éditeurs, et le SNE qui est leur émanation servile, sont en train de reproduire quasiment toutes les erreurs commises par l'industrie musicale et cinématographique.

 

 

Et, actuellement, quels sont vos projets ?

 

Je travaille sur un space opera et un roman situé dans un futur proche. En l'état actuel des travaux, le space opera serait raconté par un extraterrestre résolument non-humain, et l'anticipation à court terme mettrait en scène des personnages confrontés à une apocalypse partielle. Je pense que cette dernière idée m'a été soufflée par l'absence de remarques, dans les articles et les discussions sur les Futurs Mystères, de la dimension post-cataclysmique de la série. Les lecteurs notent bien qu'un personnage explique la Grande Terreur en disant que l'Armaguédon a eu lieu et que le bien a gagné, mais ils n'en tirent pas les conséquences et implications quant à la nature post-apocalyptique de l'univers. Cette fois, je vais donc mettre les points sur les i et insister sur les aspects sociaux et technologiques qui peuvent éviter à l'espèce humaine de sombrer dans une barbarie aux allures de cliché survivaliste en cas de cataclysme majeur.

 

 

Merci d'avoir accepté de répondre à nos questions et je vous laisse le mot de la fin:

 

Puisque c'est comme ça, je vais moi-même le laisser à Albert Camus qui, dans L'Homme révolté, a écrit cette phrase que je me suis permis de mettre en exergue du roman : "Nous ne pouvons agir que dans le moment qui est le nôtre parmi les hommes qui nous entourent."

 

 

A propos de cette interview :

 

- Site de l'auteur : http://www.noosfere.com/heberg/rcw/

- Chronique de "Rêves de Gloire" sur Psychovision