Viviane Etrivert
Écrit par Vivian Darkbloom   

 

Itw réalisé le 5/03/2011

 

Vivianne Etrivert est l'auteur de l'excellent Masky, roman traitant de l'Inquisition et des procès en sorcellerie, mais aussi une incursion très poétique et féérique dans le folklore européen, morave plus précisément. Ce roman est à la fois une invitation à réfléchir sur la connaissance, l'obscurantisme et la superstition, et un moment de bonheur, tant sa lecture est agréable et intéressante.

 

 

 

Bonjour Viviane et merci beaucoup de bien vouloir accorder une interview à Psychovision. Tout d'abord, pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

 

Et merci, Vivian, de me recevoir si amicalement sur Psycho vision, "vision de l'âme".

Née sur la lune, j'ai le point de vue fantastique et la lumière adéquate, pâle et spectrale, pour évoquer des points historiques controversés, comme les procès de sorcellerie. J'ai toujours une île dans mon sac, mes ancêtres étaient maltais, ils m'ont légué un sang vif et une langue habile.

Nantie d'un nom de bansidh celte, j'ai grandi dans les belles forêts des alentours du Mans. La vision des fleurs du printemps dans les sous bois de chênes ne m'a jamais quittée. Je sais où est Merlin.

Puis j'ai voleté dans les ruelles toulousaines, hantant la rue du Taur, Saint Sernin, les carnavals, et les amphis, je suis devenue juriste de droit européen entre deux aventures. Le ministère de l'Intérieur m'a capturée et je suis actuellement webmestre, chargée de ressources numériques, servante de Marianne et de l'Union européenne sur le web dans la belle ville de Montpellier. Depuis une dizaine d'années, j'ai publié de nombreuses nouvelles et quatre livres, fantastique, heroic fantasy..

 

 

Votre dernier roman, Masky, se déroule en pays morave en 1599, et décrit les mécanismes impitoyables des procès en sorcellerie. S'inspire – t – il d'une histoire vraie ?

 

Masky décrit très exactement le mécanisme qui se mettait en œuvre dans une communauté européenne à cette époque lors d'un procès. J'ai suivi l'analyse d'une grande acuité du Jésuite Johannes Spee dans "Cautio criminalis", il essayait de défendre les accusés, et celle d'historiens comme Ginzburg (benandantis du Frioul). L'intrigue est réaliste.

J'ai déterminé des personnages types qu'on retrouvait dans ces procès, "le sorcier", souvent un marginal dont on voulait se débarrasser, "la sorcière", fréquemment une femme de plus de 50 ans, sans appui masculin, dont on veut voler les biens, "le devin", personnage assez douteux, manipulateur, qui prétend pratiquer la magie blanche, "le magicien", un sorcier de haut vol, et puis "le juge", "l'avocat du diable", des juristes, et le rationnel qui pointe son nez au seizième, "le médecin" qui va développer au pieds des bûchers des réflexions scientifiques sur la folie.

La psychanalyse nait dans la fumée des bûchers, l'accouchement est plus que douloureux.

Puis j'ai donné des noms aux acteurs : Lénà, Mariè, Voytiech, Jean Bonhomme, Navratil, Brada… et je les ai lâchés dans une arène, où ils jouent leur vie, pour qu'ils racontent de leur point de vue très humain un procès. Masky est un thriller fait de milliers de procès réels. Les textes légaux sont historiques, de même que les invocations.

 

 

Pourquoi avoir choisi de traiter de l'Inquisition dans l'Est de l'Europe, et non pas en France par exemple, pays qui malheureusement a lui aussi connu son lot d'obscurantisme ?

 

Parce que j'ai suivi les traces de deux personnages historiques germaniques qui marquent Masky. Mais je parle de Bodin, un dindon en robe noire, un juriste français encore enseigné en fac de droit, de nombreux points de Masky sont tout à fait valables pour les procès français et Jean Bonhomme, le médecin de Masky, le rappelle.

Le premier personnage historique est un alsacien, l'inquisiteur Institoris qui a écrit "le marteau des sorcières", le manuel que les juristes glissaient dans leur manche lors des procès. Je peux dire qu'il faut s'accrocher pour lire ce livre. J'ai eu du mal, mais il m'a, comme "cautio criminalis", apporté des éléments de première main.

Et aussi une bonne blague, l'histoire du bourgeois qui perd sa queue mais ce crétin d'Inquisiteur croit que c'est vrai. Les autres blagues, pour les curieux, proviennent de Rabelais, que j'adore.

Responsable de l'Inquisition en terre rhénane au quatorzième siècle, Institoris disparait en Moravie entre Olomouc et Brno, et il passe en filigrane dans tout le livre.

Pour moi, c'est un serial killer.

L'autre personnage historique, très attachant, est Johannes Kepler, un surdoué, un naïf, qui détermine les trois lois de fonctionnement du système solaire avec des méthodes improbables. Il passe en 1599 en Moravie pour rejoindre son poste de mathématicien impérial à Prague. Son livre "Somnium", le premier ouvrage de SF européen, va entrainer sa mère Katherine, un personnage inénarrable, (l'histoire de la chope qu'elle offre à son fils est vraie !), dans un procès de sorcellerie : "Que verrait un homme posé la lune ?"

 

 

Le roman fait la part belle au folklore morave, à ses contes et légendes, ses traditions. Comment avez-vous découvert la culture populaire de cette contrée aux confins de l'Europe ?

 

Parce qu'il fallait bien savoir ce qui était réellement condamné lors des procès. Les églises officielles diabolisent des faits et des croyances anciennes et elles collent le tampon "diable" sur toutes sortes de choses qui n'ont rien à voir avec le "vent du désert qui apporte la peste". La sorcellerie est une hérésie, donc une église "officielle", avec une hiérarchie inverse, le bouc remplace l'agneau, etc…

Quand on commence à explorer le folklore slave, (et européen, car certains rites ou croyances sont européennes), qu'on commence à entrer dans le monde enchanté du grand père soleil, des roussalkis, des vodniks, des diédeks, des oupyrs (vampires), de Dame Perchta, des corneilles, c'est enivrant.

Bien sûr, j'ai beaucoup lu de contes tchèques, j'ai étudié les mythologies d'Europe centrale, les dieux lumineux, mais aussi j'ai été enquêter sur place et j'ai eu de nombreux contacts avec des tchèques : le réseau Gallica, Pavel Smid, du "Cœur de l'Europe", et une source d'information précieuse a été Radio Prague. Et aussi la liste de discussion Hexenforschung, des universitaires de langue allemande qui discutent de ces procès. Allemand et tchèque furent indispensables !

 

 

Que signifie le titre du roman, Masky ?

 

Masky veut dire Masque en tchèque. L'origine du mot, masca, veut dire sorcière. Les personnages de Masky portent presque tous des masques, qui dissimulent leur vrai visage. Il y a les masques matériels du charivari, masques d'animaux, ceux des "sorciers" lubriques, celui qui abrite du froid, les voiles des barboras, les tresses de la Dame, et puis les masques sociaux posés sur les comportements humains.

Se permettre d'avancer sans masque comme Jean Bonhomme, Brada ou Hanak est un luxe dangereux. C'est toujours le cas, je crois.

Bien sûr le hurepiau, la capuche, le chapeau, la coiffe, sont aussi comme ces masques des signes de pouvoir. Masky est un jeu de piste, il faut la finesse d'un loup pour le suivre.

 

 

Comment classeriez-vous Masky ? Roman historique, histoire fantastique, plaidoyer contre l'intolérance ?

 

C'est un thriller historique et fantastique : "Qui a tué le juge Michna ? Un fantôme ou un homme ?", c'est ce que chacun veut savoir…

C'est une histoire très humaine, je voulais parler de ceux qu'on n'a pas entendus, les pièces officielles évoquent rarement ce que ressentaient les personnes, quelles sont leurs motivations. Une sorcière française se plaint lors d'un procès "le papier boit l'encre", elle sait que ce qu'elle dit est inutile, elle est déjà condamnée.

Ces procès sont ahurissants de cruauté. Certains villages allemands ont perdu toute leur population féminine lors de la grande chasse aux sorcières, on tue des animaux, des enfants, les procédés sont immoraux. Je n'ai pas insisté sur la torture dans Masky, je ne voulais faire du "gore" parce qu'il "masque" ( !) des choses plus subtiles : la grande lutte du bien et du mal, la lumière de la raison, du cœur, de l'humour et de l'amour, contre la bassesse, la cruauté, l'avidité, et la bêtise. Elle a eu lieu !

 

 

Après Masky, avez – vous d'autres projets de romans ?

 

Je souhaite remonter dans le temps, dans la jeunesse du médecin Jean Bonhomme à Montpellier, et puis partir sur les corsaires de Méditerranée, avec les chevaliers Hospitaliers. J'aime bien la Renaissance tardive, la naissance de la raison dans les convulsions des guerres de religion.

Masky est d'actualité pour cela.

 

 

Je vous laisse le mot de la fin

 

J'aimerais que Masky parle au cœur du lecteur et à son âme. A lui, à elle, de choisir sa piste pour s'enfoncer dans la forêt morave vers des merveilles indicibles.

 

Merci infiniment, Viviane, d'avoir répondu à nos questions.

 

 

 

A propos de ce livre :

 

- Chronique de Masky sur Psychovision

- Site de l'auteur : http://masky-quiatuemichna.monsite-orange.fr/