Imaginez un monde où il pleut tout le temps, sans arrêt et où les nuages cachent l'horizon en permanence, un monde où les terres qui ne sont pas immergées sont soit boueuses, soit inondées et où les plus riches vivent à l'abri dans des bateaux. Jarine, jeune et jolie prostituée déjà blasée par la vie, essaye d'y survivre au jour le jour, cherchant à éviter la rouille, cette maladie qui dévore les hommes petit à petit. Mais Jarine a commis l'irréparable...

Auteur de bande-dessinée et écrivain, Brice Tarvel s'est fait remarquer pour son diptyque "Ceux-des-eaux-mortes" ou par le roman jeunesse "Les Démons du grenier" en littérature tandis qu'en BD, il écrivait la série "Mortepierre". Avec  "Dépression", il revient sur l'un de ses romans publiés sous le pseudo de François Tarkel dans la célèbre collection Anticipation du Fleuve Noir, roman qu'il a entièrement révisé.
Ici, on a donc affaire à un roman noir, pas au sens propre du terme, mais plutôt par l'ambiance et l'histoire qu'il véhicule. En effet, dépression est un roman sans espoir où on croise la mort à chaque coin de rue et où la vie ne semble être qu'une mauvaise blague. On est quelque part dans un univers à la Brussolo, mais en moins trash et peut-être moins imagé, même si le livre laisse quelques visions perturbantes dans la tête du lecteur.
On a donc en héroïne une prostitué qui s'est envoyée en l'air avec trois dégénérés, créatures mi-humaines, mi-aquatiques détestées par la population, en plein cœur de leur marais. Ce qui fait d'elle une pestiférée aux yeux des siens, sauf de Sarg, son compagnon, chasseur de rats et alcoolique, et de Babette, sa seule amie qui exerce la même profession qu'elle et qui vient de se chopper la rouille en prime.
Bien décidée à soigner son amie et à fuir son mari pour tant fou amoureux d'elle, Jarine va emmener sa collègue chez un médecin tandis que Sarg va chercher à la poursuivre et que Zam, l'un des dégénérés rencontrés dans les étangs par la belle, va sortir de son marais pour la rejoindre. Tous les trois viennent de se lancer dans un voyage qui les emmènera au bout de l'espoir dans un monde pluvieux et violent, où les rêves ne sont là que pour être brisés.
Entre une vieille vendeuse de bouées acariâtre et une ados prostituée et naïve mourant de manière affreuse, Brice Tarvel écrit donc une histoire sombre et surtout sans pitié envers ses personnages, mais pas sans empathie, rendant encore plus affreux leur sorts, à chaque fois peu enviable, car quand ce n'est pas la mort qui trouve l'un des personnages, c'est en général la détresse qui s'en occupe.
Surtout qu'entre le décor et les personnages rencontrés, on ne sait lesquels sont les plus pourris. Les amateurs de littérature glauque devraient jeter un coup d'oeil à ce roman court, mais qui condense une vision très pessimiste de l'humanité et des images tout aussi fortes. Rien n'est épargné au lecteur qui n'a plus qu'à encaisser et à essayer de digérer ce livre qui ne semble pas avoir de limite dans son imagerie.

Derrière cette couverture jolie et finalement assez soft signée Jimmy Kerast se cache un roman bien plus fort où la candeur de l'héroïne n'est là que pour être mise à mal, elle n'est là que pour voir son monde s'écrouler ou, plutôt, se noyer. Le dernier chapitre où l'on sent la tragédie arriver doucement, à la fois sans surprise et non sans efficacité, finit de donner toute son ampleur à un roman qui se lit rapidement, mais dont on doit se souvenir longtemps.

Note : 8/10