Aquatica

Editeur : Editions Voy'[el]

Auteur : Corinne Guitteaud

Date de sortie : 2008

Nbre de pages : 476

 

 

 

TETRAPOLIS

 

 

Il n'est pas d'étoile fixe : par un mouvement sans fin tout est entraîné dans l'espace. Le Soleil que l'on croyait immobile court lui-même vers un point du ciel. Où vont ces immenses troupeaux d'astres fuyant à travers les espaces ? Leur course a-t-elle un but sublime ou ne seraient-ils que les rêves effrénés du cerveau d'un Dieu, des rêves condamnés à périr, et qui tourneraient avant de tomber dans la mort, comme de grands oiseaux attirés par un gouffre ?


Jean LAHOR, La Gloire du Néant, extrait.

 

 

La ville apparut dans la courbe de l'horizon, laissant voir tout d'abord les pics déchiquetés des volcans éteints. Puis le Dôme capta les rayons du soleil. Des vaisseaux en approche, des petits croiseurs Vengers filèrent au-dessus de l'océan, les dépassant en trombe. Le pilote pesta et rétablit la trajectoire de son Veepers pour le ramener droit sur sa cible. Tamara avait à peine tressailli, tant elle était captivée par le spectacle qui s'offrait à ses yeux. Tétrapolis, sa ville. Toutes ses incertitudes s'effacèrent d'un seul coup, tandis qu'elle songeait avec fierté aux épreuves traversées pour atteindre son but. Elle était le nouveau gouverneur d'Aquatica. On n'avait pas vu de femme à un poste aussi élevé depuis la Guerre des Six Mondes !

Le pilote fit basculer l'assiette du vaisseau pour un premier passage au-dessus des boucliers. La cité coloniale occupait toute l'île de Stonehenge, sauf les volcans. Le Dôme surplombait les autres bâtiments : des tours, un spatioport, modeste, mais plein d'activités, un complexe scientifique en forme d'étoile de mer et plus bas, vers le rivage, les fermes marines et l'Institut des Affaires de la Mer que le Siddhârta survola dans sa manœuvre d'approche.

Tamara recensa dans sa tête ce qui faisait la richesse d'Aquatica. La planète appartenait au système d'Astérion, distant de la Terre de près de vingt-neuf années-lumière, et visible depuis le berceau des hommes dans la constellation du Chien de Chasse. Les Humains appelaient encore les étoiles comme sur Terre. Ainsi, l'astre Beta, appartenant à la Chevelure de Bérénice, était nommé Beta CDB. Elle avait appris les désignations du registre de la F.M.T. par cœur, ce qui n'était guère difficile. La Fédération des Mondes Terriens comptait pour l'instant vingt et un systèmes solaires, les plus lointains – Porrima et Alaraph – se situant à plus d'une trentaine d'années-lumière de Sol. Malgré l'éloignement, le système originel restait la référence pour ce genre de calcul.

Aquatica tournait autour d'un soleil de type G0, presque identique à Sol. Elle ressemblait à la Terre sur bien des points, mais ici, l'océan représentait 98% de la surface du globe. La population – 5,7 millions d'individus – se concentrait sur de nombreux atolls, dont le plus grand était celui de Stonehenge. Les Atlantes représentaient plus des neuf dixièmes de la population totale d'Astérion. Les autres vivaient dans des stations orbitales, comme celle où Tamara avait séjourné pour sa quarantaine.

Le système d'Astérion comportait aussi une autre planète, moins chanceuse sur le plan écologique qu'Aquatica : Taunis appartenait à la C.T.F.5 (Catégorie de Terraformage correspondant à peu près aux conditions rencontrées sur Io), mais grâce à ses richesses minières, elle assurait à elle seule les neuf dixièmes de la production du système. Tamara avait l'impression d'être de nouveau à l'Académie, devant le jury, à réciter des formules et des calibrages... une manière pour elle de se rassurer, de reprendre confiance en elle. Elle avait une mémoire phénoménale. Elle n'avait jamais eu recours aux implants, dont abusaient les autres élèves de l'Académie.

"Madame, nous avons l'autorisation d'atterrir, l'interrompit dans ses pensées la voix suave de l'I.A. Veuillez vérifier que tous vos bagages sont bien arrimés, qu'il n'y a pas d'objets contondants à votre proximité, que... "

Tamara suivit les instructions avec docilité. S'il y avait bien une chose qui ne changerait jamais au cours de ces voyages, c'était bien la monotonie des ordinateurs de bord. Elle aurait souhaité qu'une fois, au moins, pour saluer son arrivée, pourquoi pas, l'intelligence artificielle se débloque et scande des vers de William Blake. Le pilote ne se retourna même pas pour voir si tout allait bien derrière. Lui aussi semblait blasé.

Personne, à la station Sémiramis, ne s'était présenté pour l'accompagner vers ses nouvelles fonctions. Compression budgétaire, lui avait-on chuchoté avec embarras. Cela l'avait fait bien rire. Elle pensait plutôt à la confusion d'un fonctionnaire coincé de la station devant lui donner du "Madame le Gouverneur devant les habitants de Tétrapolis, au moment de débarquer. Elle affronterait donc seule le comité d'accueil. Le Siddhârta fit une embardée, lorsqu'il se présenta au-dessus de la plate-forme d'atterrissage et qu'il bascula en anti-gravité. Le corps de Tamara décolla légèrement de son siège. La manœuvre ne dura pas plus d'une dizaine de secondes, à la fin desquelles le pilote se dessangla et se leva pour se tourner enfin vers elle. Il tenta de plaquer un sourire de circonstance sur son expression boudeuse, mais cela n'eut pas l'effet escompté et Tam faillit pouffer de rire. Elle se retint de justesse. Ce n'était pas très protocolaire.

- Désolé, madame, je ne fais qu'une courte escale à Tétrapolis. Une autre personne m'attend à Nausicaa.

- Ce n'est pas grave. "Je sais quelle corvée cette course a représenté pour vous", ajouta la jeune femme pour elle-même en se levant. L'expression de l'homme changea encore : cette fois-ci, c'était de l'admiration. L'uniforme noir de Tam à liseré bleu, à la coupe pourtant austère avec son col montant, mettait sa silhouette en valeur. Elle avait hérité aussi de ses lointains ancêtres africains une souplesse qui avait fait l'admiration de ses instructeurs d'arts martiaux. Ses cheveux d'ébène, coiffés le plus souvent en une tresse lui descendant jusqu'aux omoplates, encadraient un visage d'un bel ovale. L'harmonie de ses traits était soulignée par ses grands yeux bruns, si clairs qu'ils en semblaient presque verts. Le regard du pilote devint insistant. Tamara soutint son examen et l'obligea à détourner les yeux le premier.

- Je voudrais sortir, sergent, fit-elle en insistant bien sur son grade. L'homme cilla et se précipita jusqu'au sas. En quelques secondes, elle se fabriqua un masque de circonstance.

Couleurs vives. Banderoles. Cris. Des mots de bienvenue clignotant sur les panneaux d'affichage normalement réservés à l'annonce des vols. Des visages. Les tours, derrière la foule, reflétaient le soleil et lui offraient une perspective assez étrange jusqu'au Dôme. Quelques véhicules filèrent à travers son champ de vision. Tam se força à respirer, à faire un pas, puis un autre. À sourire. Un comité d'accueil l'attendait sur la plate-forme. Trois quinquagénaires à la mine hostile, une femme, qui devait être l'intendante de police, raide dans son uniforme bleu nuit, un lieutenant des Forces Fédérées tenant négligemment une serviette et derrière, la masse grondante des journalistes. Ce fut l'intendante qui s'avança vers elle. Tam fronça légèrement les sourcils et rencontra le regard bleu du lieutenant. Châtain, les cheveux coupés courts, le menton volontaire, il avait une expression qui inspirait confiance. Tam se reprit et se concentra sur le discours préparé à son intention :

- Madame le gouverneur, au nom de tous les habitants d'Aquatica, je vous souhaite la bienvenue sur votre monde.

Le ton manquait de conviction. Tam se contenta d'un petit signe de la tête. La femme ajouta : "Mon nom est Leslie O'Neal, intendante de la police de Tétrapolis (mais de ça, elle ne paraissait pas certaine non plus). Et voici votre chancelier Haj Simon, le directeur de l'Institut des Affaires de la Mer Lewis Paincott et le colonel Ravel, représentant les Forces Fédérées sur Aquatica, accompagné du lieutenant Samuel Reeds.

Le jeune gouverneur les salua. Reeds fut le seul à lui serrer la main avec chaleur. La partie n'était pas gagnée.

- Merci pour votre accueil, dit-elle en ne regardant que le lieutenant aux traits juvéniles et rieurs.

- Les journalistes vous attendent, madame, dit le chancelier. Nous avons pris la liberté de vous écrire une déclaration...

- Inutile. J'ai la mienne, répliqua Tam avec un signe vers sa tempe. L'homme cacha son dépit derrière une courbette. Le colonel Ravel s'avança enfin et lui présenta son bras en la foudroyant du regard. La métisse ne se laissa pas démonter, mais elle hésita entre l'envie de planter le militaire là et celui de lui opposer une attitude conciliante, afin de l'obliger à sortir de sa froideur. Elle opta pour le second choix, en se disant qu'elle n'avait pas besoin de l'ajouter à la liste de ses adversaires. Elle accepta son bras et se laissa guider avec nonchalance vers les journalistes. Les questions fusèrent.

- Madame, que pensez-vous d'Aquatica ? De Tétrapolis ? Croyez-vous vous plaire ici ?

- Beaucoup se demandent pourquoi on a nommé… un administrateur aussi jeune à la tête d'une colonie comme la nôtre. Que leur répondez-vous ?

- Votre prédécesseur a laissé de nombreux dossiers en plan. Comment comptez-vous les traiter ?

- Les employés des fermes marines ont transmis une pétition à votre bureau. Comptez-vous leur répondre ?

- Quelles relations pensez-vous nouer avec les Confédérés ?

Tam regarda le journaliste qui avait posé cette dernière question. Les Confédérés. Elle avait appris l'existence d'une Communauté à Tétrapolis en consultant les dossiers d'Aquatica à bord du Gilgamesh. Les Reens étaient la seule race intelligente rencontrée par les hommes sur la route des étoiles. Un débat faisait rage à l'Assemblée Fédérale en ce moment, concernant ces Confédérés. Il y avait les partisans et les adversaires d'une politique diplomatique plus intensive avec cette espèce. Les humains les côtoyaient depuis vingt ans, mais ignoraient tout d'eux. Originaires d'Alshain, ils se déplaçaient en Communautés, avec une Reine à leur tête. Les quelques scientifiques qui avaient pu les étudier les avaient rapprochés des myrmicéens, les insectes vivant en collectivité (comme les fourmis ou les termites) et ce terme servait parfois à les désigner. Le premier contact ne s'était pas passés en douceur. Les militaires auraient toujours la manie de tirer d'abord et de poser les questions ensuite. Mais dans le cas des Confédérés, cela ne s'était pas déroulé à l'avantage des Terriens. Le premier conflit stellaire des humains avait été baptisé la Guerre des Six Mondes. Les Reens s'étaient emparés en un temps record de plusieurs systèmes : Porrima, My Herculis, Astérion, Véga, Altaïr... On ne les avait stoppés qu'à Procyon... Enfin, pour certains, les Confédérés avaient décidé de s'arrêter à Procyon. Ils avaient envoyé des émissaires pour engager des pourparlers. Les E.T. souhaitaient seulement installer des Communautés dans cinq systèmes de la Fédération des Mondes Terriens : Rana (ou Delta Eridani), Epsilon Eridani, Beta Hydri, Fomalhaut et Astérion. En signe de leur bonne foi, ils avaient même offert aux hommes un bloc de propulsion révolutionnaire qui avait remisé tous les anciens cargos au rang d'antiquités. Cela avait provoqué la ruine de pas mal de gros transporteurs terriens à l'origine d'un mouvement d'opposition.

Tamara regarda le reporter qui l'avait interrogée sur les Confédérés.

- Je n'ai aucun préjugé envers la Communauté qui séjourne sur Aquatica. Je ne vois aucune raison de m'acharner sur eux dès mon arrivée. Mieux vaut m'attacher à des problèmes prioritaires... comme celui des employés des fermes marines. Je prendrai connaissance de leurs revendications dès que j'aurai rejoint mon bureau et l'un de mes premiers actes en tant que gouverneur, sera de leur rendre visite dans les prochains jours.

- Vous n'avez pas une date plus précise ? réagit aussitôt un journaliste.

- Disons, avant la fin de cette semaine.

- Tous les gouverneurs font ce genre de promesses à leur arrivée, grommela un des reporters.

- Je ne suis pas n'importe quel gouverneur.

- En effet, madame. Une femme ?

- C'est indéniable, releva-t-elle. Mais ça n'a rien d'un handicap. Mes supérieurs ont fait un choix et j'espère ne pas les décevoir. Mais plus que cela, je refuse de décevoir les habitants d'Aquatica.

- Pourquoi ne dites-vous pas les Atlantes, comme les Têtes de Lune ?

- Les Têtes de Lune ? répéta Tamara, mais elle n'eut pas le temps d'en demander davantage. Une ombre se matérialisa soudain dans son champ de vision. Elle se retourna, pensant que c'était le Siddharta, mais la plate-forme était vide. Elle leva les yeux pour voir passer en trombe un grand vaisseau blanc qui fit une cabriole en passant au-dessus des tours. Tous les journalistes poussèrent des cris. Leslie O'Neal devint rouge pivoine et maugréa quelques mots dans son intercom. Tamara mit sa main en visière, tandis que le vaisseau faisait un second passage pour se présenter au-dessus de la plate-forme. Elle l'identifia aussitôt : c'était un Bradbury 33, un engin taillé pour la course stellaire. Il enclencha son anti-gravité et se posa en douceur. Tam put lire son nom sur sa coque : Lancelot.

- Qui est-ce ?

Elle s'adressait à l'intendante de police.

- Le capitaine Leeward, soupira la femme. Un trouble-fête, un m'as-tu-vu de première, ajouta-t-elle avec colère. Il accompagnait le Professeur Grayson sur l'île de Nausicaa.

- Comment se fait-il qu'un militaire soit en possession d'un Bradbury 33 ?

- Le capitaine Leeward ne fait plus partie du service actif, intervint Ravel. Il a acquis cet engin avec sa prime de départ.

Seul Reeds ne paraissait pas hors de lui, mais plutôt gêné. Tam suivit son regard, alors que l'équipage du Lancelot sortait enfin : un petit bonhomme grisonnant trébucha en descendant la rampe, surpris de voir autant de monde pour l'accueillir. Il remonta d'un geste nerveux ses lunettes écaillées – un anachronisme qui éveilla la curiosité de la jeune femme – et se tourna vers le deuxième homme, un véritable géant, qui venait d'apparaître au seuil du sas et qui s'arrêta net.

- Qui est le professeur Grayson ? s'enquit Tamara.

- Celui qui porte des lunettes, répondit Ravel d'un ton glacé. Il mâchouillait sa moustache de rage. Les journalistes murmuraient derrière eux. En fait, ils semblaient l'avoir tout à fait oubliée. Tam décida de rétablir la situation. Avant que Simon ait pu faire un geste, elle s'avança vers les nouveaux venus et tendit la main au professeur.

- Professeur Grayson, je présume ?

L'interpellé loucha derrière ses lunettes, ébahi. Il la détailla des pieds à la tête, avant de répondre d'une voix mourante.

- C'est bien moi.

- Enchantée de faire votre connaissance. Je suis le gouverneur Whalings.

- Le… gouverneur ? balbutia le professeur, soudain pâle comme un linge. Oh ! Mon Dieu. Je suis désolé, reprit-il aussitôt, Ethan... Je veux dire... Le capitaine Leeward n'a pas voulu attendre la confirmation du poste de contrôle... Je suis confus... véritablement confus. Mon assistant : Arthur Seagrave. "C'est le gouverneur, chuchota-t-il au géant qui les rejoignait. Celui-ci devint plus pâle que le scientifique. Son regard bleu se porta jusqu'aux journalistes, puis sur le comité d'accueil furibond, enfin sur Tam qui lui souriait.

- Ethan n'en rate pas une, bougonna-t-il en serrant la main que Tam lui tendait. Navré, madame.

Il y eut un murmure. Tamara porta de nouveau son attention sur le vaisseau : un sac venait de tomber sur la plate-forme, depuis le cockpit grand ouvert. Un homme sauta à terre. Il demeura un instant interdit en voyant tous ces yeux braqués sur lui, puis il eut un haussement d'épaules et s'avança d'un pas crâneur jusqu'au groupe formé par la jeune femme, le professeur et son assistant. Elle nota la couleur insolite de sa chevelure : argentée, presque aussi blanche que celle de Grayson. Pourtant, le capitaine Leeward – ce devait être lui – ne devait pas avoir plus de trente-cinq ans. Il avait le teint hâlé et marqué par la vie au grand air. Ses yeux, noirs, enfoncés dans leurs orbites, se posèrent sur Tamara, qui lut de l'étonnement dans son regard. Son sourire se tendit, lorsqu'il croisa les yeux féroces de Ravel. Puis son regard revint sur Tam.

- Mademoiselle, la salua-t-il, braquant un œil curieux sur son uniforme.

- C'est le gouverneur, souffla Grayson, désespéré. Leeward fronça les sourcils. Une femme ? lut-elle avec agacement dans son regard. De nouveau, elle tendit la main.

- Tamara Whalings, votre nouveau gouverneur, lui confirma-t-elle.

- Oups ! fut la réponse de Leeward qui lui serra pourtant la main avec fermeté. Je viens troubler votre petite fête… ?

- En effet, mais c'est une spécialité chez vous. Bel engin.

Elle désigna le Lancelot.

- Merci, fit le pilote en se rengorgeant de fierté.

- Mais si vous voulez le garder, capitaine, je vous suggère d'éviter désormais ce genre de cabrioles au-dessus de ma ville.

Leeward s'était raidi et la colère déforma ses traits. Le professeur retint son souffle. Son regard inquiet alla de Tamara à Leeward. Le capitaine se détendit d'un seul coup et sourit.

- À vos ordres, madame. Et bienvenue sur Aquatica.

- Merci, capitaine. Je vous laisse partir, pour cette fois.

Ravel s'agita dans son dos, mais ne fit aucune remarque. Leslie O'Neal était au bord de l'apoplexie.

- Professeur, ajouta le jeune gouverneur, j'aimerais vous voir demain à mon bureau, pour en apprendre plus sur vos recherches.

- Je suis xéno-archéologue, madame, répondit Grayson. Tam sourcilla.

- Vraiment ?

Elle les salua un par un, puis se tourna vers son comité d'accueil. La consternation se lisait sur tous les visages. Les journalistes en avaient le souffle coupé. Haj Simon se précipita vers elle et l'agrippa, en lui demandant désespérément de le suivre jusqu'au véhicule officiel qui les attendait à la sortie.

- Et mon discours ? s'exclama-t-elle. Le chancelier faillit avoir un malaise. Son expression devint suppliante et terrible. Tam décida de s'incliner.


L'arrivée au Dôme impressionna le jeune gouverneur. Le bâtiment était gigantesque et sa coupole brillait au-dessus des autres bâtiments, symbolisant l'autorité des Forces Fédérées sur ce monde. La surface vitrée du mur ouest lui renvoya son image, ainsi que celle de son escorte. Le personnel du Dôme l'attendait dans le hall d'entrée, aligné, au garde-à-vous pour les militaires, mais tout aussi tendu pour les civils. Quelques journalistes autorisés à les suivre mitraillaient le spectacle en murmurant des commentaires à l'adresse de leurs collègues ou de leurs robots-assistants. Tam passa en revue son comité d'accueil, serra la main à une cinquantaine de militaires et au double de civils. Puis elle pénétra dans l'ascenseur en compagnie de Simon, Paincott, Ravel et Reeds. L'intendant de police O'Neal s'excusa : une affaire urgente la réclamait au Central, mais elle viendrait faire son rapport au gouverneur le lendemain matin à la première heure. Cela ne lui laisserait pas beaucoup de temps pour se reposer de son voyage, et surtout faire un tour dans Tétrapolis, comme elle l'espérait, soupira-t-elle. Elle remercia Leslie O'Neal d'un hochement de tête et se retrouva seule avec trois hommes hostiles. Reeds dansait sur place, mal à l'aise : l'ambiance n'était guère réjouissante et les mines sinistres, depuis que les caméras avaient disparu.

Le sas de l'ascenseur s'ouvrit, le chancelier s'écarta pour laisser passer le gouverneur qui pénétra dans un vaste hall. Une femme à son bureau se leva, aussitôt imitée par deux autres collègues. Tamara les salua : c'étaient ses secrétaires, comme le lui expliqua Simon. Reeds serait son ordonnance et occuperait le bureau au fond à droite. Le service de Simon était au palier en dessous. Tout cet étage était réservé à l'usage du gouverneur. Ils entrèrent dans son bureau. La jeune femme marqua un temps d'arrêt. Une vaste baie vitrée donnait sur la mer, un petit bout de mer coincé entre deux tours commerciales impressionnantes. Elle scintillait au loin, l'hypnotisait. Tam s'approcha. Le lieutenant Reeds la rejoignit et murmura :

- Seul votre bureau donne sur la mer.

- Vous pourrez venir voir, promit-elle, tandis que le chancelier les rejoignait.

- Madame, si vous le désirez, nous pourrons changer la décoration : les goûts de votre prédécesseur ne correspondent pas forcément aux vôtres.

Elle balaya du regard la pièce aux murs bleu ciel. Il y avait peu de meubles : le bureau, immaculé, avec le symbole des Mondes Terriens Fédérés peint sur le devant et le sous-main, en imposait. Tam s'approcha de la façade d'écrans qui occupaient tout un pan de mur. Pour l'instant, ils étaient éteints, mais elle les imagina tous allumés sur des visages exigeants.

- Ça me convient pour l'instant, adjugea-t-elle. Il manque peut-être juste une ou deux plantes vertes. Qu'y avait-il ici ? demanda-t-elle en désignant une marque sur la moquette.

- Un aquarium, madame, toussa Simon.

- Un quoi ?

- Le précédent gouverneur collectionnait les poissons tropicaux élevés à Nausicaa. Il en avait plus d'une trentaine.

- Je suppose qu'il n'a pas pu les emmener.

- Non, bien sûr, à son grand regret.

- Alors, où sont-ils ?

- Nous leur avons trouvé une place plus adéquate.

- Je désire les récupérer, fit Tamara.

- C'est que... l'aquarium prend beaucoup de place.

- Allons donc : ce bureau est assez grand et l'ameublement plutôt spartiate. Vous n'allez pas pleurnicher pour quelques poissons rouges.

- Trente, madame, et ce sont des poissons tropicaux.

- Raison de plus. C'est très bon contre le stress. Puisque nous en avons sur place, je ne vois aucune raison de m'en priver. Tam prit place à son bureau, fit tourner son siège, caressa la surface glacée de la baie vitrée, avant de faire soudain volte-face.

- J'ai l'hypocrisie en horreur, mais, dans le cadre de nos fonctions, nous sommes obligés de l'employer à tout moment. Tout ce que je vous demande, c'est du bon boulot. Je n'ai aucune envie de me faire baiser les pieds. Je préfère des gens compétents, plutôt que des lèche-bottes. Aussi, même si vous ne m'appréciez pas, tant que vous ferez ce qu'il faut pour le bien de ce monde et de ses habitants, nous trouverons un terrain d'entente. Est-ce bien compris ? Ils inclinèrent la tête en signe d'assentiment. À présent, messieurs, au travail.


Tam leva le nez de son holo-lecteur. Reeds entra dans son bureau avec le professeur Grayson et le capitaine Leeward. Celui-ci fixa sur elle un regard amusé, avant de balayer la pièce d'un œil admiratif. Un sourire éclaira ses yeux, lorsqu'il remarqua les poissons qui barbotaient dans leur aquarium. Reeds se retira, tandis que le professeur Grayson s'empressait de saluer le gouverneur et de lui expliquer la présence du capitaine en ces lieux :

- Dès la fin de notre entrevue, nous irons à Nausicaa. Les robots-fouineurs ont dégagé une nouvelle galerie sur le site que j'étudie en ce moment.

- J'ai fait ma petite enquête, annonça Tam en leur faisant signe de s'asseoir, et je m'étonne qu'un savant de votre envergure soit venu se perdre sur cette petite planète.

- Aquatica renferme bien plus de richesses que les autres mondes fédérés, intervint Leeward. C'est la seule, avant même les planètes de Tau Ceti, à offrir des conditions de Terraformage si proches de la Terre. Les Têtes de Lune méprisent cet endroit. Pour eux, l'évolution signifie que l'humanité doit vivre dans des stations orbitales.

- Pourriez-vous m'expliquer cette expression ? demanda Tamara.

- On les appelle comme ça, parce que leur teint est aussi pâle que la Lune et qu'ils vivent dans des satellites artificiels, répondit Leeward

- Je fais aussi partie de ces Têtes de Lune ?

Leeward se contenta de la fixer sans répondre.

- Je sais, soupira Tam, je dois faire mes preuves. Puisque vous êtes pressé, M. Grayson, poursuivit-elle, et que je le suis aussi, je vous propose d'écourter notre entrevue. Je dois, cet après-midi, visiter quelques résidences avec le lieutenant Reeds. Pour rattraper le coup, je vous inviterai à la pose de ma crémaillère. Vous aussi, capitaine. Vous êtes pour l'instant les seules personnes que je connaisse en dehors du personnel de cette administration.

- Vous cherchez à vous loger ? Le gouverneur n'a pas une résidence de fonction ? s'enquit l'ancien militaire avec étonnement. Tamara grimaça.

- J'y ai passé une nuit épouvantable. Haj Simon m'avait prévenu des excentricités de mon prédécesseur. Les poissons faisaient partie des plus agréables, mais je ne comprends pas pourquoi il appréciait tant de vivre dans la Tour d'Aranjuez, parmi tous les fêtards de la ville.

- Il aimait bien se mêler à cette faune, répondit le professeur Grayson avec gêne. C'est en partie pour cette raison qu'on lui a trouvé une mutation : il avait causé quelques embarras protocolaires.

- Mais revenons à vous, Monsieur Grayson, reprit Tam. En quoi consistent exactement vos travaux ?

- Je suis sur la piste d'une ancienne civilisation stellaire.

- Pardon ?

Tamara en ouvrit de grands yeux étonnés.

- Ça fait toujours le même effet, lorsque je l'annonce, s'amusa le scientifique. Depuis notre rencontre avec la Confédération, la xéno-archéologie a connu un réel essor. Au cours d'une de mes investigations dans le système Sol, j'ai pu confirmer l'hypothèse selon laquelle il existait jadis une planète entre Mars et Jupiter. Mes collègues et moi avons mené des fouilles sur plusieurs astéroïdes pouvant appartenir à ce corps céleste et découvert des vestiges sur l'un d'entre eux.

- Votre antique civilisation stellaire, conclut le jeune gouverneur.

- Nous avons surtout découvert une plaque, moulée dans un matériau inconnu, représentant une carte astrale. Nous avons déjà identifié plusieurs étoiles, la plus proche étant Astérion. J'ai une théorie qui expliquerait les conditions favorables pour le développement de la vie sur Aquatica. Cette planète a subi un processus comparable au Terraformage que nous effectuons sur d'autres mondes, mais ce processus est demeuré incomplet. C'est pourquoi nous n'avons découvert ni faune, ni flore sur la planète-océan. Les créateurs de ce monde ont été interrompus dans leur tâche. J'ignore encore pour quelle raison et ce qu'ils sont devenus par la suite. La plaque a été datée à environ cinq millions d'années et j'espère trouver ici des indices de leur présence plus récents.

Tamara l'écoutait avec attention, à la fois amusée et impressionnée par la fougue de cet homme ; toute trace de timidité avait disparu de ses propos et de ses gestes : il était dans son élément.

- Et ce site à Nausicaa ? Pourquoi vous intéresse-t-il ?

- C'est la seule île restée en grande partie sauvage. J'aurais aimé mener des fouilles ici même, à Tétrapolis.

- Pour quelle raison ?

- La nature de cet archipel m'intrigue, la disposition des volcans n'est pas... naturelle. Je m'égare peut-être, mais je n'ai aucun moyen de le vérifier. Il est très difficile d'obtenir la permission de fouiller ici et, de toute manière, les conditions de travail y seraient déplorables. Nous avons effectué, avec l'aide de l'Institut des Affaires de la Mer, plusieurs sondages dans l'île de Nausicaa. Le site dont je vous parle présente les dispositions les plus favorables pour mes recherches.

- Voilà qui m'intrigue. J'aimerais suivre cette affaire de près.

- Rendez-nous visite à l'Institut. Nous y avons tout notre matériel, ainsi que deux dauphins attribués pour cette mission. Les progrès de Seagrave dans leur dressage sont si impressionnants qu'ils viendront avec nous lors de notre prochaine expédition dans la Baie des Danaïdes.

Tam demeura silencieuse une longue minute. Son regard se posa sur l'aquarium : un poisson-perroquet lui faisait face. Elle revint à ses visiteurs.

- Mes fonctions sont très prenantes. Je peux difficilement m'échapper de ce bureau pour m'adonner à un hobby, si passionnant et instructif soit-il.

Leeward lui tendit une petite plaque de bronze. Elle la prit et déchiffra ce qui y était inscrit

- Une adresse ? De quoi s'agit-il ?

- Une maison au bord de la plage. Elle est inoccupée depuis des années. Le propriétaire est mort et personne n'a désiré la reprendre. Il faut vous dire qu'elle se trouve à proximité du secteur des fermes marines. L'endroit est trop troublé pour des gens qui pourraient s'offrir une telle bicoque.

- Le rapport avec ce que nous disions ? insista Tamara.

- Elle se trouve aussi sur la route de l'Institut. Vous pourriez faire d'une pierre deux coups. Si elle vous intéresse, vous devrez régler le problème des fermiers : ce sera la condition de votre tranquillité. Ils penseront aussi que vous vous rapprochez d'eux.

- Est-ce un défi, capitaine ? réagit Tam, en lui jetant un regard oblique. Si je me défile, vous serez fixé sur ma personne.

- Je n'oserais pas, madame. Ce serait mesquin.

- Bien répondu, capitaine. (Elle fit tourner la plaque entre ses doigts.) Je m'y rendrai cet après-midi même.

- Reeds sait où la maison se trouve. Je vous conseille d'y aller en premier : cela vous évitera une perte de temps.

- Entendu. Je ne vous retiendrai pas plus longtemps, messieurs, déclara Tamara en serrant la main du professeur. La Science n'attend que vous et je dois étudier plusieurs rapports, dont le dossier des fermiers, conclut-elle en fixant Leeward droit dans les yeux.


Reeds marqua sa surprise, lorsque Tamara lui parla de la maison sur la plage. Il fit tourner la plaquette entre ses doigts, le regard songeur.

- Je suis étonné qu'Ethan vous ait parlé de cet endroit. Je pensais qu'il le garderait pour lui. Cela fait plusieurs années qu'il lorgne dessus, mais l'entretien de son Bradbury l'a empêché de réaliser son projet.

- Nous irons dès que j'aurai terminé de lire ce rapport.

- Je me tiens à votre disposition, madame. Simon m'a demandé de vous avertir qu'il avait pu obtenir un rendez-vous avec les Reens pour le début de la semaine prochaine. Ils viendront ici. Personne n'a encore pu se rendre dans la Communauté.

- Que dois-je savoir d'autre sur ces extraterrestres ?

- Les contacts avec eux sont minimes. Les membres de la Confédération résidant sur Aquatica quittent très rarement leur section. Leur visite sera un événement. En vérité, il risque d'y avoir du grabuge, déplora le lieutenant. Le colonel Ravel se débat déjà avec les dispositions de sécurité.

- Ce qui ne le mettra pas de bonne humeur. Autre chose : vous semblez bien connaître le capitaine Leeward.

- J'ai été sous ses ordres, madame.

- Que pouvez-vous me dire sur lui ? (L'ordonnance regarda le jeune gouverneur avec gêne.) Ne vous inquiétez pas, Reeds. Je ne vous demande pas de cafter sur un de vos amis, s'empressa de le rassurer le jeune gouverneur. C'est un drôle de bonhomme.

- Madame, le capitaine Leeward est quelqu'un d'excep-tionnel. Je lui confierais ma vie s'il le fallait. Dès lors qu'il vous accorde sa confiance, vous pouvez compter sur lui. Bien sûr, il n'aime pas se faire mar¬cher sur les pieds, il est parfois outrageusement indépendant et il a ten¬dance à mettre les gens à l'épreuve. Si vous réussissez à le convaincre, vous aurez rem¬porté une sacrée victoire.

- Beau panégyrique, lieutenant. Toutefois, vous n'auriez pas ten¬dance à le placer sur une sorte de piédestal ?

- Pas du tout, madame, c'est la stricte vérité, se défendit-il.

- Merci, Reeds, fit-elle, amusée. Vous pouvez disposer.

 

La jeune femme éprouvait un certain plaisir à l'idée de quitter le Dôme quelques heures.

L'atmosphère de travail n'était pas au beau fixe et elle désespérait de créer un jour une ambiance à peu près cordiale. Les secrétaires la regardaient comme une bête curieuse. Le reste du personnel chuchotait à son passage dans les couloirs. Pourvu que son enthousiasme résiste aux anicroches du quotidien ! Reeds la guida jusqu'aux ga¬rages où les attendait son véhicule de fonction. Cet engin, appelé tapis volant était un croisement entre une limousine rétro et un bolide de l'espace. Il flottait sur un coussin d'anti-gravité avec lourdeur. Tamara fit plusieurs tours du véhicule avec circonspection, avant d'accepter de prendre place à l'intérieur. Reeds s'installa aux commandes, avant de se tourner vers sa passagère.

- J'ai pensé que vous ne voudriez pas du grand jeu pour une simple visite immobilière. J'ai donc réduit notre escorte au minimum. Nous aurons tout de même trois robots de sécurité au-dessus de nos têtes.

- Je n'ose demander à quoi ressemble le grand jeu.

Tamara se cala dans le fauteuil qui s'adapta aux formes de son corps. Elle manqua de rougir. Le contact du cuir était presque sensuel. Elle détourna les yeux pour regarder par la vitre, alors qu'ils surgissaient de l'obscurité pour plonger dans les pleines lumières de la ville. De chaque côté du tapis volant, les robots montaient la garde comme de gros moustiques. Tam frissonna : n'importe qui serait effrayé par ces apparitions de métal, d'un noir si profond qu'elle avait du mal à détacher son regard de leur vol.

Le paysage se mit à défiler : des immeubles, des échoppes, de petites rues encombrées, des passants, des bolides qui les doublaient en rugissant, un omnibus qui les dépassa en silence, tandis que les passagers essayaient de distinguer, derrière la vitre teintée, le visage de la jeune femme. Ils paraissaient... très vivants, comparés aux silhouettes mornes qui hantaient le Dôme. Elle ne devrait pas perdre le contact avec cette réalité. Elle sourit à des regards qui ne la voyaient pas, alors que Reeds bifurquait pour rattraper une avenue menant au secteur des fermes marines. Le spectacle de la mer la saisit soudain : le soleil se reflétait dans son ondoiement bleuté et rehaussait de teintes d'or la façade des bâtiments. Les hautes tours cédèrent la place à des constructions plus trapues au milieu desquelles trônait l'Institut des Affaires de la Mer, un octogone monté sur des pilotis et surmonté par quatre édifices, rappelant à la jeune femme des minarets. Les rayons solaires accrochaient les façades vitrées dans lesquelles se reflétait la ville. Le Dôme paraissait minuscule, une illusion d'optique qui fit sourire Tamara. Le tapis volant vira au carrefour pour partir sur la droite, Tam put alors voir des constructions de formes coniques dans le prolongement de l'Institut. Puis ils longèrent une succession de bâtiments : Reeds l'informa qu'il s'agissait de fermes marines.

- Nous arrivons bientôt, ajouta-t-il aussitôt.

- La circulation n'est sans doute pas toujours aussi fluide, fit Tam en croisant ses bras sur sa poitrine, tout en guettant l'apparition de la mer derrière les exploitations.

- C'est plus ou moins identique à ce qu'on peut voir d'habitude. Les gens utilisent surtout la voie des eaux pour venir dans le secteur. L'activité se concentre essentiellement aux premières heures du jour, quand s'ouvre le marché. Peu de personnes du Dôme le savent. Les gens de la ville rechignent à fréquenter cette zone.

- On est en ville ici ! s'exclama Tamara. Le jeune lieutenant se contenta de sourire dans le rétroviseur. Cinq minutes plus tard, ils s'arrêtèrent dans une petite impasse. Dès que Tam sortit du véhicule, elle fut saisie par l'odeur iodée qui flottait dans l'air. Elle fronça du nez, surprise.

- Vous n'aimez pas ? s'inquiéta aussitôt son guide.

- Non, je ne peux pas dire ça. J'ai plutôt l'impression... hésita-t-elle, d'avoir guetté ce parfum dans mes souvenirs. Quand j'ai visité la Terre...

- Vous êtes allée là-bas ! s'écria Reeds.

- Je n'ai hélas pu que survoler les océans.

Elle se dirigea vers un petit escalier qui descendait jusque sur la plage. Son ordonnance la suivit sur un petit ponton. Tamara s'amusa à regarder la mer sous ses pieds. Le bruit du ressac lui faisait un drôle d'effet, l'envoûtait presque. Il serait plaisant de se laisser bercer par cette mélodie. En franchissant le seuil de la maison, Tamara fut saisie en voyant combien la lumière s'engouffrait dans cet endroit par de larges baies vitrées. Le soleil lui fit un clin d'œil derrière un nuage et un oiseau passa au-dessus de sa tête, alors qu'elle s'avançait au milieu de la véranda. Reeds s'était arrêté au centre de la pièce principale. La jeune femme le rejoignit et constata avec sur¬prise qu'on avait fait creuser une sorte de bassin sous le salon. Pour l'instant, il était vide, mais jadis, il avait sans doute été occupé.

- Qu'y avait-il ici ? demanda le jeune gouverneur.

- Des dauphins, répondit son ordonnance en se tournant vers elle. C'est une ancienne ferme qui a été réaménagée. La plupart des autres bassins ont été comblés, cependant celui-ci est demeuré intact. Il doit y avoir un dispositif permettant de le remplir et d'ouvrir le sas vitré, afin de permettre aux dauphins de venir y respirer.

- Qui vivait là ?

- Une espèce d'original. Il était féru d'astronomie et adorait la mer par-dessus tout. C'était un descendant des premiers colons d'Aquatica. En revenant de sa période d'études sur le monde originel, il s'est lancé dans la réhabilitation de cette ferme qui tombait en ruine. Il éduquait les dauphins, comme il aimait à le dire.

- Comment se fait-il que vous le connaissiez si bien ?

- Leeward me l'a présenté. En fait, cet hurluberlu était son oncle. Vous voulez visiter les autres pièces ?

- Pourquoi le capitaine n'a-t-il pas récupéré cette demeure ? insista la jeune femme, pendant que Reeds la conduisait vers les chambres.

- Il n'a pas voulu en entendre parler pendant très longtemps. C'était après avoir été viré de l'armée. L'oncle est mort. Leeward traversait une sale période. Il a acheté le Lancelot, il a fait plusieurs incursions dans quelques systèmes solaires – Porrima, Alaraph, notamment – avant de revenir. Les Forces Fédérées le trouvaient trop turbulent. Alors, les huiles lui ont trouvé une… affectation. Ethan n'a pas eu le choix. Il est devenu le pilote attitré de Grayson et il a attrapé son virus. Il s'est souvenu de cette maison, mais, comme je vous l'ai dit, il n'avait pas les moyens de l'acquérir ou de l'entretenir.

- Et il me la cède ?

- Il est comme ça. On ne sait jamais ce qu'il mijote, et le résultat est toujours surprenant. Ça doit l'amuser de penser qu'il permet au gouverneur de se loger..., enfin, si la maison vous plaît.

- Si elle me plaît ! s'exclama Tamara. Elle venait d'entrer dans une chambre qui donnait directement sur la mer. Un bateau passa au large. Tam s'appuya sur la rambarde et se laissa subjuguer par le spectacle.

- Peut-être les dauphins reviendront-ils, comme au bon vieux temps, souhaita Reeds. Ce serait chouette, madame.

Elle sourit en se retournant vers son ordonnance.

- Rentrons. Je vais prendre les mesures nécessaires pour être logée ici. Ça ne plaira pas à Ravel… et tant mieux !

Elle prit le lieutenant par le bras dans un geste de bonne humeur.

 

 

 

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