Tire d'Aile 1 - Les Loups d'Uriam

 

 

Editeur : Black Book

Collection : A dé couvert

Auteur : Philippe Tessier

Date de sortie : 30 septembre 2010

Nombre de pages: 374

 

 

La traversée des nuages fut assez angoissante. Tout était silence autour d'eux, même leurs voix paraissaient étouffées et lointaines. Ils avaient l'impression d'évoluer dans une sorte de rêve, mais un rêve susceptible à tout moment de tourner au cauchemar si quelque chose jaillissait de cette brume. À plusieurs reprises, ils eurent la sensation d'être épiés et crurent distinguer des formes inquiétantes.

Quand Tire-d'Aile émergea du brouillard, il fut ébloui et stupéfait par la splendeur du spectacle qui s'offrit à lui. Les nuages formaient un véritable océan floconneux. Le sommet du soleil s'élevait haut et éblouissant au centre de cette étendue d'une blancheur éclatante. Tels des récifs, les cimes des plus hautes montagnes perçaient la couche nuageuse. Dans le lointain, on pouvait apercevoir les Titans et les piliers du Bord du monde.

Certaines lunes brillaient haut dans le ciel ou émergeaient lentement des nuages. D'autres se laissaient glisser sous cette couette vaporeuse. De temps en temps, les rayons du soleil se reflétaient sur d'étranges structures, les tours blanches des sorciers des cieux. Maître Saule lui avait parlé de ces puissants magiciens qui vivaient sur des nuages et ne s'intéressaient guère aux affaires du monde d'en bas. Dans leurs domaines, quand on avait la possibilité de s'y rendre, on pouvait croiser les magnifiques pégases ou de mystérieux géants de brume. Tire-d'Aile aurait bien voulu en découvrir davantage sur cet étrange monde mais maître Saule lui avait dit que, même si on pouvait fouler la substance dont étaient constitués les nuages, il était dangereux de s'y aventurer sans connaître parfaitement cet environnement si particulier.

"Nous y serons avant la fin de la journée," annonça Nacre.

Tire-d'Aile suivit le regard du loup jusqu'en haut du pic où l'on apercevait le sommet d'une tour qui s'élançait vers les cieux. La petite troupe se remit en marche avec un regain de courage et l'immense satisfaction de toucher au but.

La tour, large d'une trentaine de mètres, était solidement bâtie. Ses pierres portaient les stigmates de la lutte perpétuelle qu'elle menait contre les éléments. Coiffée d'un dôme de pierre polie, elle semblait si haute que Tire-d'Aile en eut le vertige. À chaque étage, des petites fenêtres s'ouvraient aux quatre points cardinaux. Après avoir compté le nombre d'étages, Tire-d'Aile soupira… il n'était pas au bout de ses peines. Au moins seraient-ils à l'abri pour gravir les quinze niveaux de l'impressionnante bâtisse.

Pour pénétrer dans ce singulier édifice, il n'y avait qu'une seule porte en chêne massif, munie d'un heurtoir en forme de tête monstrueuse. Une silhouette sombre se tenait sur le seuil.

"Est-ce le Contemplateur ? souffla Tire-d'Aile au loup.

— J'en doute, répondit-il.

Méfiants, ils s'approchèrent lentement de ce qui paraissait n'être qu'une ombre… le problème, c'est qu'il n'y avait personne pour projeter cette ombre. Quand ils furent à quelques pas de la porte, l'ombre disparut et, à sa place, apparut une mince jeune femme aux longs cheveux sombres, toute vêtue de cuir noir et d'une ample cape de la même couleur. Nacre la flaira en fronçant les sourcils, elle n'avait quasiment aucune odeur.

— Salut à vous, voyageurs ! dit la femme.

— M'oui ? se contenta de répondre Nacre de plus en plus sur ses gardes. On ne peut faire confiance à une personne sans odeur.

— Je me nomme Ombre, reprit la femme en avançant vers eux.

— On s'en serait jamais douté, grogna le loup.

Il s'approcha et se mit à tourner lentement autour d'elle tout en essayant de capter un quelconque effluve.

— Tu dois être Tire-d'Aile, dit-elle en souriant au pantin.

— Comment le savez-vous ? s'étonna-t-il. Et comment avez-vous échappé au Gardien immobile ?

— Oh ! Le Gardien ! Disons que j'ai le don de passer inaperçue.

— Ça, je veux bien le croire, grommela Nacre qui n'arrivait pas à identifier la moindre fragrance.

— J'ai aussi la faculté de ne jamais être prise au sérieux, reprit-elle.

— Et c'est un don, ça ? interrogea Tire-d'Aile.

— Dans mon métier d'assassin et d'espionne, oui !

Cristal, affolée, ouvrit de grands yeux. Personne ne semblait avoir réagi à ce qu'elle venait de dire. Nacre s'obstinait à vouloir reconnaître des odeurs et Tire-d'Aile ne paraissait pas plus étonné que ça. N'y avait-il donc qu'elle pour s'inquiéter de propos aussi étranges ?

— Tout ce que je dis n'a jamais l'air important ou grave. Mes paroles ont tendance à glisser sur le conscient pour pénétrer subrepticement dans le subconscient. Par exemple, je vous traque depuis que vous êtes entrés dans le bois de l'Aube et il est possible, à mon grand regret, que je sois obligée de vous tuer un de ces jours. Normalement, c'est le genre de déclaration dont vous mettrez quelques semaines à clairement comprendre le sens.

— Ah ? et alors ? demanda Tire-d'Aile. Je ne vois toujours pas en quoi cela constitue un don.

— Vous voyez bien ?

— Voir quoi ?

— Rien… laissez tomber.

— Tomber quoi ?

— Ça n'a pas vraiment que des avantages, capitula Ombre en secouant la tête.

— Si vous le dites, se contenta de conclure le pantin.

Cristal ne tenait plus en place. Elle tentait par tous les moyens d'attirer l'attention de Tire-d'Aile. Après ce que venait de dire la jeune femme, sa réaction était aberrante. Avait-il perdu la raison ou était-il victime d'un quelconque maléfice ?

— Bon, si on allait voir ce Contemplateur, proposa Nacre qui avait définitivement renoncé à sa quête de repères odorants.

— Je vous attendrai ici si vous n'y voyez pas d'inconvénient, répondit Ombre. Les Contemplateurs ont une fâcheuse tendance à se nourrir de chair humaine.

— Aucun problème, répondit Tire-d'Aile.

Cristal était au bord de l'évanouissement.

Le pantin s'approcha avec circonspection de la porte, regarda le heurtoir d'un air dubitatif et préféra frapper avec sa main.

— Entrez ! gloussa Rose.

— On risque pas de venir te répondre, affirma Nacre en secouant la tête. Ouvre !

Tire-d'Aile allait s'exécuter quand, sous leurs yeux ébahis, la porte s'entrouvrit.

— J'ai rien dit," grogna Nacre.

Rose avait cessé de glousser et Cristal s'était réfugiée, comme d'habitude, dans la poche du pantin. Ce dernier jeta un coup d'œil par l'entrebâillement puis poussa la porte. La lumière pénétra dans un grand hall. L'espace d'un instant, il lui sembla apercevoir une mince silhouette disparaître dans l'escalier qui grimpait le long du mur circulaire.

 

 

A propos de ce livre :

 

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- Site de l'éditeur :  http://www.black-book-editions.fr/

 

 

(Copyright Black Book / Philippe Tessier, extrait diffusé avec l'autorisation de l'éditeur)