Interview réalisée le 2 novembre 2008 Aux Utopiales, on rencontre plein de monde. Après Catherine Dufour, c'est Mélanie Fazi qui a accepté de se prêter au jeu de l'interview avec la chroniqueuse novice que je suis. L'occasion de découvrir ou redécouvrir une petite partie de l'univers de cette auteur aussi particulière que talentueuse. Tu écris surtout des nouvelles, et tu défends cette forme comme se suffisant en elle-même (ce avec quoi je suis tout à fait d'accord :) Néanmoins, en lisant Notre-Dame-aux-Écailles, j'ai parfois eu l'impression que certains de ces textes avaient été écrits pour répondre à des appels à textes. En dehors du fait que tu aimes écrire des nouvelles, est-ce que c'est un passage obligé pour se faire un nom ?
C'est intéressant parce qu'on présente souvent plus le problème inverse. En général on dit plutôt qu'il faut un roman pour être pris au sérieux. Passage obligé je ne sais pas, parce que beaucoup de gens commencent par publier des romans, donc ça à mon avis ce n'est pas tellement un problème. C'est vrai que ça aide, dans le sens où c'est plus facile au départ de placer une nouvelle que de placer tout un roman et ça permet de nouer des contacts et de... oui se faire un nom, ça fait une carte de visite progressivement. Même si ça ne va pas forcément être vu - ça va être repéré de quelques lecteurs qui vont être des passionnés - mais c'est peut-être plus vis-à-vis des éditeurs, sinon. Mais par contre, ce qui m'a posé problème, c'était plutôt que les gens disent ensuite "il faut passer au roman", et pendant longtemps je ne voulais pas. C'est plus quelque chose qu'on entend dans ce sens-là.
Il m'a semblé que la nouvelle pour toi c'était moins une histoire courte qu'un instantané, une espèce de tableau, une image plutôt qu'une histoire ?
C'est exactement ça. Tout à l'heure dans une autre interview je disais que j'ai l'impression de faire des tableaux plutôt, c'est comme si au cinéma par exemple, au lieu de tout un film, j'avais envie de ne réaliser qu'une scène. Et c'est vrai que je m'aperçois de plus en plus que je ne suis pas intéressée par la construction de l'intrigue sur le long terme. Je ne suis pas très douée pour ça et, je ne vais pas dire que ça m'ennuie d'y réfléchir, mais ce n'est vraiment pas mon truc. Ce que j'aime bien effectivement, c'est quand on est plongé dans une situation, avec un personnage, un décor, une ambiance ; j'adore ce côté ramassé, c'est vraiment comme un tableau pour moi, c'est quelque chose de.. oui un instantané.
Pourtant, Arlis des Forains, c'était un long instantané... et c'était bien !
Oui (rires). J'ai vraiment galéré avec celui-là, puisqu'il a été écrit en plusieurs fois, et j'ai dû faire des changements assez énormes dans l'intrigue avant qu'il ne soit publié, parce que elle ne tenait pas la route. Et ça a été compliqué quand je l'ai retravaillé pour Bragelonne, de garder les personnages, l'ambiance, la plupart des scènes, mais de trouver un fil conducteur légèrement différent, qui expliquait, en fait, qui donnait une logique à tout le reste. Et j'ai vraiment eu du mal... Parce qu'à la limite j'étais plus intéressée par ces scènes que par le fil conducteur qui les reliait entre elles.
Si on se contentait de regarder chez qui tu as publié, on te classerait sûrement parmi les écrivains fantastique et / ou fantasy, mais pour moi ce qui touche dans tes histoires, c'est plutôt tes personnages, la façon dont tu les effleures, je trouve que tu y mets beaucoup de sensibilité et une très grande poésie, c'est souvent un peu triste. Et toi, comment envisages-tu tes écrits, qu'as-tu envie d'exprimer ?
Ce que j'ai envie d'exprimer... Pour ma part, j'ai déjà conscience que j'aime le fantastique et que ça ressort de manière naturelle dans ce que je fais, j'ai aussi conscience que ce qui fait la particularité des textes, ce n'est pas l'élément fantastique, c'est le reste, et souvent effectivement ce que je vais y mettre de personnel. Après, c'est toujours difficile de répondre à la question de ce que je veux exprimer... On peut plutôt répondre sur un texte en particulier, mais souvent ce n'est pas "qu'est-ce que je voulais exprimer", mais "comment c'est parti, et pourquoi à ce moment-là". De temps en temps j'ai vraiment envie de parler de quelque chose de particulier, je cite souvent Serpentine par exemple, la nouvelle : c'est parce que je venais de me faire tatouer et que je voulais parler de cette expérience... Fantômes d'épingles dans Notre-dame-aux-Ecailles c'est une période où j'ai été assez touchée par le deuil de quelqu'un qui n'était pas un proche, mais ça a remué pas mal de choses et... ça m'a posé des questions, y compris sur le fait de ne pas réussir à ressentir quoi que ce soit dans des situations dramatiques. De temps en temps il y a quelque chose de fort comme ça qui surgit, mais souvent ça va être beaucoup plus des images, des personnages, et plus tard il y a quelque chose qui se dessine que je ne vais pas forcément comprendre tout de suite. Et à la limite je ne sais pas si j'ai envie moi-même de comprendre pendant que je l'écris, pourquoi est-ce que cette image m'a paru aussi forte, pourquoi elle s'est imposée ; souvent, je le comprends un mois ou deux après. Mais il y a des échos de plus en plus forts entre mes préoccupations à un moment donné et ce que je vais écrire. Seulement je vais m'en rendre compte après.
Quand j'ai dit à Antoine, de l'orga, que je voulais t'interviewer, il m'a répondu : "Mélanie, tu la trouveras dans la salle de jeu". WoW (World of Warcraft ndlr) pour toi c'est juste un loisir ou est-ce que tu y puises une partie de ton inspiration ?
Alors... Je tiens d'abord à rétablir la vérité, la plupart du temps on me trouve au bar parce que c'est là que sont tous les copains et les collègues. La salle de jeux en réseaux, je n'y ai jamais mis les pieds, je joue à WoW chez moi, rétablissons la vérité. (rires) Donc moi je m'y suis mise il y a maintenant deux ans... deux ans, trois ans, je ne sais plus, on va dire deux ans, et c'est vrai que j'ai plongé dedans à fond, comme à peu près tous les gens qui ont joué. Alors je ne pense pas que j'y puise l'inspiration parce que c'est un type d'univers qui est plus fantasy, qui n'a pas tellement de liens avec ce que je fais ; par contre j'y ai retrouvé des choses qui me parlent et à la limite je peux y amener des éléments personnels... Je pense ce n'est pas un hasard si le personnage principal que je joue est une morte vivante démoniste. Je pense qu'il y a quand même des liens assez forts avec le type d'ambiance que j'aime et je m'amuse bien avec ce personnage. Pas comme un jeu de rôle mais... juste poser le personnage en fait. Jouer un peu sur le fait qu'il s'agisse d'un cadavre ambulant et lui donner une personnalité un peu midinette, je trouvais ça marrant pour une démoniste. Oui, c'est un jeu qui me parle énormément parce qu'en plus il est bourré de références à tout un tas de trucs, il va y avoir aussi bien des références à Star Wars qu'à Shakespeare... Je cite toujours un détail que je ne suis pas la seule à avoir vu mais... Sur un personnage de troll cannibale, j'ai trouvé un livre une fois - un objet que j'ai ramassé en jouant - qui s'appelait "Comment servir l'homme". Et j'ai parlé de ça à d'autres joueurs qui n'ont absolument pas compris le truc, je leur disais "mais c'est un épisode de la 4e dimension"... Sur des extraterrestres cannibales justement, qui s'appelait "Comment servir l'homme". On trouve des petites choses comme ça notamment. Donc non je n'y puise pas mon inspiration, mais c'est un univers qui me parle vraiment, et j'aime bien le côté ludique. Il se trouve en plus qu'il y a des gens qui sont des collègues dans le milieu sf, que j'ai déjà retrouvés à l'intérieur du jeu. Puisqu'il y a quand même énormément de gens dans ce milieu qui jouent à WoW.
Ca te dirait d'écrire un scénario de jeu vidéo ?
Pas mal d'auteurs le font en ce moment, je pense que l'expérience doit être passionnante mais je ne sais pas si vraiment j'en serai capable... Comme je le disais, je ne suis pas tellement douée pour construire des intrigues ou des choses comme ça... A la limite sur un jeu qui serait un peu atypique peut-être, je ne me rends vraiment pas compte. Et en plus je ne connais pas très bien le domaine, dans le sens où j'ai beaucoup joué à l'époque où j'avais un Amstrad, donc ça remonte à loin, mais à part WoW je n'ai joué à aucun jeu depuis dix ans. Donc je ne connais vraiment que celui-là.
Tu écris beaucoup de choses différentes : compte-rendus de concerts, interviews, nouvelles, articles, romans... Tout cela participe-t-il du même besoin d'écrire, ou y a-t-il des choses que tu considères comme un peu plus "alimentaires" ?
Je m'aperçois que quand j'ai envie de parler de quelque chose, je n'arrive pas forcément à l'exprimer de vive voix. Et souvent, il n'y a personne à qui en parler à ce moment-là, donc j'ai très souvent le réflexe de l'écrire... Ce que je fais sur mon blog part souvent de là. Je sais que mon blog est lu par des amis, des collègues et aussi des lecteurs, des gens qui ne me connaissent pas forcément, et de temps en temps j'ai envie de parler de quelque chose à des amis et... ce n'est pas le moment, ou je sais que je ne vais pas y arriver, alors je poste sur le blog parce que je sais qu'ils vont le lire, et ils m'en reparlent après. (rires) C'est un mode de communication un peu tordu des fois ! Mais c'est vrai que je n'arrive à expliquer les choses clairement que par écrit. Les comptes-rendus de concert, c'est pareil, si je vais voir quelqu'un en lui disant "je viens de voir un concert absolument génial", je vais essayer de lui en parler et je ne vais pas y arriver. Si je l'écris, il va comprendre ce que je veux dire. Et je pense qu'il y a le même besoin derrière l'écriture des nouvelles. Il y a des choses que je n'arrive pas à dire autrement. Il y a beaucoup de choses qui remontent à très loin et sur lesquelles je ne peux pas mettre de mots donc je vais parler par images à la place.
Et la traduction dans tout ça ? Pour ma part, j'ai une idée très artistique du métier, je vois un peu les traducteurs comme des archéologues en train de déchiffrer des hiéroglyphes, et je trouve ça génial... Est-ce que ça t'aide à écrire, cette recherche systématique de la syntaxe, du mot appropriés ?
La recherche systématique je ne sais pas, mais ce qui est vraiment utile, et ça je m'en rends compte de manière très nette, c'est le travail sur les sonorités, le rythme et la fluidité. Une fois qu'on a décrypté le sens, le gros problème et le gros du travail, c'est d'en faire quelque chose qui va être fluide en français. Et souvent ça demande de modifier les structures, parce que les deux langues ne fonctionnent pas pareil. Je crois que j'ai vraiment eu une grosse leçon là-dessus en traduisant Lignes de vie de Graham Joyce chez qui, par moments, certains passages sont écrits avec un style bien particulier, quasi incantatoire, avec un souffle vraiment impressionnant, donc si on essaie de garder toutes les nuances telles quelles, ça ne va pas marcher. Donc j'ai été obligée de couper, juste un mot de temps en temps, j'ai parfois dû adapter... mais je voulais en priorité garder ce rythme. Et je me suis aperçue que depuis que je fais ce genre de travail, je le ressens dans mon écriture, j'entends les phrases différemment. S'il y a un syllabe de trop, je vais l'entendre tout de suite, ça m'écorche les oreilles. Je pense que ce que je retire le plus de la traduction c'est ça. La recherche du mot juste je pense que je l'ai déjà à la base mais... on apprend peut-être aussi à voir les tics de certains auteurs et à ne pas les reproduire. Par exemple, quand on traduit les anglo-saxons, les personnages qui hochent la tête ou haussent les épaules en permanence. On apprend à ne pas l'écrire si ce n'est pas strictement nécessaire. Parce qu'on l'a tellement vu chez les autres qu'on ne veut plus le faire chez soi.
Et enfin, as-tu des projets dont tu peux parler ?
On m'a commandé plusieurs textes pour des anthologies ou des revues, quelques-uns sont en train de paraître, j'ai un texte dans le hors-série de Khimaira par exemple, pour les dix ans de la revue, une nouvelle qui s'appelle Chanson pour la chimère et qui reprend des personnages de Serpentine. Quelques projets comme ça de textes à paraître. A plus ou moins long terme, j'aimerais bien un troisième recueil, mais pour l'instant je n'ai pas la matière, donc c'est encore un projet un peu flou. Mais c'est vrai qu'à chaque fois qu'on me demande un texte pour une anthologie ou une revue, j'y pense, je pense que c'est ça que je rajoute à la matière de ce troisième recueil... dont j'espère qu'il paraîtra un jour ! |