Vous parler d'un manga réalisé par Hiroshi Hirata est pour moi un plaisir mais ce n'est pas chose facile. D'abord car je voue un culte à ce mangaka et ensuite car ses œuvres ne sont pas des œuvres faciles, tout simplement. Loin de là, même si le plaisir de lecture est intense! Hiroshi Hirata est spécialisé depuis fort longtemps (il commença sa carrière dans les années 60) dans un genre bien particulier: le gekiga. Avant de plonger dans ce "Tueur", sublime adaptation en BD d'un film de Hideo Gosha, rappelons ce qu'est un gekiga: littéralement le terme veut dire "dessin dramatique". On n'est donc absolument pas dans un manga pour ados mais bien dans une œuvre qui se veut adulte et destinée à ce public uniquement. Soit des œuvres un peu moins accessibles en général. Se sont souvent des mangas violents voir sanglants et ayant des préoccupations contemporaines ou mettant en scène l'histoire du Japon et plus particulièrement celle des samouraïs et du Bushido. Le terme est créé au début des années 60 par Yoshihiro Tatsumi (en 1957 pour être précis) en opposition au manga qui veut dire "image dérisoire". Hiroshi Hirata est l'un des principaux représentants de ce courant et le manga dont je vais vous parler maintenant est un vrai petit bijou!
Hiroshi Hirata nous plonge dans une partie de l'histoire du Japon, une période trouble qui voit la fin de l'ère des samouraïs, soit la fin de l'ère Edo, et le début de ce qui va être une période trouble et violente au Japon. L'histoire nous narre les aventures de Izo Okada, un fameux bretteur, un samouraï hors du commun, mais naïf comme pas deux. Le pays est divisé en plusieurs clans et connaît une crise politique terrible et sans précédent. D'un côté les partisans de l'Empereur et de l'autre les partisans du Shogunat, c'est-à-dire ceux qui ne veulent pas un seul maître mais qui estiment que plusieurs personnes peuvent régner sur le Japon, les Shoguns donc. Je simplifie quelque peu mais vous comprenez de quoi il retourne et combien la situation du pays est préoccupante et combien un homme aussi fort au sabre que Izo Okada est un atout précieux. Sans un sou, affamé, prêt à vendre son sabre, le tueur parfait se vend alors aux partisans de l'empereur et il doit éliminer certains Shoguns trop encombrants. Rappelons que le terme samouraï veut dire servir. Izo Okada, un peu bête il faut bien le dire, va donc servir corps et âme Hampeita Takeshi qui le traite comme un chien mais il mange à sa faim et il est content. Mais Izo Okada va bientôt comprendre, peut être un peu tard, et va vouloir quelque chose qui semble inaccessible : la liberté ! Et c'est là toute la thématique de ce manga. Qu'est-ce qu'être libre? Comment être soi? Comment vivre en accord avec ce que l'on veut être? Comme le dit Hiroshi Hirata, le plus important dans la vie c'est soi-même et c'est ce que l'on veut faire de son soi-même qui est la lutte véritable.
"Tueur" est donc avant tout une sorte de quête initiatique, où l'on voit un "idiot" comprendre peu à peu le monde et surtout se comprendre lui-même, jusqu'à la fin tragique et fabuleuse, faisant de ce manga une œuvre sombre et pessimiste à souhait.
Mais qui dit œuvre de samouraï dit combats de sabre. Et là c'est absolument génial ! Il ne s'agit pas de grands combats qui durent sur de pleines pages. Non, le projet d'Hiroshi Hirata est tout autre. Violent certes mais réaliste aussi. Jamais aucune chronique ne rendra compte du trait, de la dextérité du mangaka à rendre ces combats dynamiques, courts, saisissants et donc réalistes. Le but du sabre, comme dans le kendo par exemple (ou dans une moindre mesure dans les arts ninja) c'est d'être rapide et meurtrier. C'est époustouflant la dextérité du dessinateur qui rend vivants les combats et pas uniquement les combats d'ailleurs, avec un trait particulier, bien à lui, un style reconnaissable entre tous. Des gros traits, proches de l'art de la calligraphie, qui côtoient le détail historique et narratif. Les visages sont bruts, massifs et pourtant travaillés. Il y a une notion du costume qui nous plonge directement dans ce Japon médiéval travaillé avec le plus grand soin, tout comme les décors d'ailleurs. Chaque page est un tableau, une estampe, une photographie d'une époque, le tout magnifié par le style Hirata!
Tueur n'est pas qu'un simple manga, c'est un livre d'histoire, à lire comme on regarde un film d'Akira Kurosawa par exemple. Edité par Delcourt ce one Shot s'agrémente de notes historiques, d'un entretien avec le maître qui nous explique sa vision des samouraïs, de la vie et de son travail et un entretien avec son éditeur. Bref, autant de bonus qui donnent à l'œuvre une autre dimension qui devrait plaire à tous les amateurs d'arts martiaux, du Japon ou bien de films de sabre.
Pour moi l'œuvre de ce mangaka fait partie des plus cultes et j'ai lu et relu ce manga sans jamais m'en lasser, très loin de la production actuelle et à chaque fois c'est le même étonnement devant ces dessins! Le chara design (façon de dessiner les personnages) est tout simplement époustouflant car tellement humain. On ne lit pas une histoire d'Hiroshi Hirata, on la vit, on s'arrête sur chaque case, on visite l'histoire de ce pays si fantastique, on prend en pleine tête des émotions, de la violence et une histoire qui se veut si belle et si vraie !
Vraie d'abord dans ce qu'elle véhicule comme message, cette soif de liberté qui habite tout homme et si dure à atteindre et aussi vraie car Izo Okada devenu assassin en croyant devenir samouraï est une histoire qui s'est réellement passée dans cette période trouble.
Vous l'aurez compris, je suis un fan absolu de ce manga et de l'œuvre de Hiroshi Hirata en général, souvent constituée de one shot d'ailleurs.
Plongez dans le passé trouble du Japon, vivez de l'intérieur les combats de sabre et apprenez en quelques pages ce que vaut la nature humaine.
Un chef-d'œuvre!
Note : 10/10
Le Cimmerien
A propos de ce manga :
- Site de l'éditeur : http://www.editions-delcourt.fr/