Frayeurs
Titre original: Paura Nella Citta dei Morti Viventi
Genre: Horreur
Année: 1980
Pays d'origine: Italie
Réalisateur: Lucio Fulci
Casting:
Christopher George, Catriona MacColl, Janet Agren, Antonella Interlenghi, Giovanni Lombardo Radice, Luciano Rossi, Michele Soavi...
 

Frayeurs ou L'Au-delà ? Question quasi existentielle que l'amateur de Lucio Fulci n'a jamais su vraiment résoudre, même si certains trancheront par L'enfer des zombies et, accessoirement, La maison près du cimetière.
Pour ma part, et si je me réfère à ma dernière vision, je prends L'Au-delà. Ca se joue à peu de choses et, une fois de plus, j'aurais tendance à penser que ceci n'est qu'une question d'humeur. Et si, pour le coup, le dernier opus prendrait in extremis la tête, c'est une question de narration ou plutôt d'absence narrative. S'il existe encore une presque ossature d'intrigue au sein de Frayeurs, alors qu'il puise toute sa force dans le collage foisonnant qu'il demeure, celle-ci sera l'année suivante réduite à sa plus simple expression au profit d'une galerie encore plus innommable, au sein de laquelle les tableaux successifs ne seront plus rattachés que par le seul thème qui les relie.
Quoi qu'il en soit, l'erreur serait d'oublier le reste, pourtant foisonnant, de la filmographie du réalisateur, au sein de laquelle émergent pourtant quelques chefs-d'oeuvre annonciateurs de sa peinture du royaume des morts, que ce soit dans les tableaux successifs de torture au sein du rugueux Beatrice Cenci, que ce soit dans sa mélancolie latente qu'on a pu focaliser déjà dans l'excellent Temps du Massacre, les singuliers 4 de l'apocalypse, ou bien encore dans une atmosphère claustrophobe toute en tension brute, si chère à son auteur et qui parsemèrent l'ensemble de son oeuvre et notamment ses magnifiques démarques Giallesques que sont  Perversion Story, La Longue nuit de l'exorcisme et Le Venin de la Peur.
Voilà sinon de quoi il retourne dans ce qui demeure définitivement une date incontournable au sein d'un genre bien galvaudé depuis et auquel Frayeurs, plus de 25 ans plus tard, en remontrerait à une bonne partie de la production horrifique actuelle...

 

 

Dans la petite ville de Dunwich, rien ne va plus dès lors qu'un prêtre (le père Thomas) se suicide par pendaison. L'une des premières victimes des conséquences de l'acte sera Marie qui, lors d'une séance de médiumnique très intense, meurt littéralement de peur à la vision du prêtre pendu et, semble t-il, revenu d'entre les morts. Celle-ci sera d'ailleurs sauvée de justesse par Peter, venu étudier les évènements effroyables se produisant au sein de la communauté de Dunwich. Après avoir été, par méprise, enterrée vivante, celle-ci se réveille dans son cercueil alors qu'elle vient juste d'être recouverte. Encore heureux que Peter entende ses cris tandis qu'il s'apprêtait à quitter le cimetière, car Mary sera alors sauvée d'une issue horrible et fatale, et ce d'extrême justesse.
Las, la vision préalable de Mary n'est finalement que réalité car la mort du prêtre n'aura pour conséquence que d'ouvrir les portes de l'enfer le jour de la Toussaint qui a lieu 3 jours plus tard. Peter et Mary sont si convaincus du fait qu'ils retournent au sein de la communauté de Dunwich qui chaque jour semble devenir de plus en plus l'ombre d'elle-même, semblant abandonnée des vivants pour laisser place à d'étranges phénomènes, notamment la disparition dans des circonstances atroces de certains habitants ayant fait la même mauvaise expérience que Mary, à savoir la vision du dit prêtre normalement mort, mais dont l'âme semble bien rôder encore, de la manière la plus maléfique et meurtrière qui soit, les morts se succédant, et ça ne va pas s'arranger !

 

 

Dés les premiers plans, nul doute, on sait chez qui nous sommes invités, le maître de cérémonie n'a pas son pareil pour installer une ambiance morbide et même carrément terrifiante ici, et le film ne se perd pas en conjectures et autres fausses pistes. Le prêtre pendu haut et court, après que la caméra ait parcouru une conséquente parcelle de cimetière embrumé, pose d'emblée les repères qui ne se démentiront jamais ensuite : putride, morbide, glauque, moite, inquiétant d'abord et proprement terrifiant par la suite ; rien que le regard du prêtre mort tétanise et, comme toujours chez l'auteur dont le pessimisme ne s'est jamais démenti, il n'y aura aucun échappatoire et c'est encore la mort, inéluctable, sans concession, qui prendra le dessus sur chacun. Elle n'a du reste jamais été aussi palpable qu'ici, peut-être même plus encore que dans L'Au-delà.
A ce titre, Frayeurs, parce qu'il est classique d'un point de vue narratif, reste plus accessible que l'opus suivant et, au-delà des comparaisons et des scènes gores qui n'ont pas fini de faire couler de l'encre de par les limites qu'elles tentent de dépasser, s'il y a un grand moment de terreur pur, il s'agit de la scène où Catriona MacColl, tombée en catalepsie après la séance médiumnique, est enterrée vivante. Il s'agit d'une véritable leçon de cinéma où Fulci qui n'a pas son pareil pour installer une ambiance claustrophobe, culmine ici au firmament des scènes de terreur les plus belles et efficaces auxquelles on ai jamais assisté. Mary que l'on a cru morte de peur, se réveille alors fraîchement enterrée, prend conscience de sa position pour le moins délicate, panique, se mettant à hurler et à taper à tout va, et ce n'est qu'après quelques hésitations que Peter Bell (Christopher George / "El Dorado" / Grizzly / Le Droit de Tuer), aura la certitude de ce qui se passe et viendra la sauver de justesse à coups de pioche bien ajustés, lesquels hanteront longtemps le spectateur, tout comme son actrice pour qui ce fut un véritable calvaire et qui déclare encore à ce jour, garder un trauma des cinq jours de tournage consacrés à cette seule scène.

 

 

On passe, avec un brio et une mesure du temps parfaite du réalisateur, de la perplexité à l'inquiétude et du suspens à une peur sans nom, le tout emballé dans le plus bel effet visuel qui soit et qui pourrait en remontrer encore à ce jour au profanateur de sépultures qu'est le sieur Tarentino qui, pour le coup, a repris la scène, sans en retrouver vraiment ni le secret, ni la magnificence, pour son second volume de "Kill Bill". Fulci atteint là l'un des sommets de sa carrière dans l'art de la peur viscérale, dans la maestria à créer des situations quasi insoutenables, amenant le spectateur dans un processus d'identification inévitable, créant ainsi une peur interactive et grandiose, domaine dans lequel le cinéaste excelle au préalable, tout en jetant l'un de ses thème de prédilection qui n'est bien sûr pas sans rappeler son Emmurée Vivante, mais en plus achevé ici.
Il faut noter combien, à nouveau, Lucio Fulci est bien entouré et combien la musique de Fabio Frizzi qui se fait ici plus "Goblinesque" que jamais soulignant, avec une maestria pourtant décalée, les morceaux de bravoure, une ambiance le plus souvent tétanisante et un aspect lugubre instauré par son réalisateur, ce, dès les premiers plans, et sans jamais démentir. Léger hic : la partition se voit à quelques reprises coupée un peu trop sèchement au sein du montage ; petit détail, certes, qui nuit très accessoirement au film, mais qu'il convient de relever malgré tout, par honnêteté déjà, puis surtout afin de faire comprendre que le film n'est pas exempt de quelques défauts éparses, même s'il demeure en définitive un grand film incontournable.

Puisque nous sommes dans les petits bémols, il faut préciser également, pour bien faire, que les acteurs (souvent le péché mignon de Fulci), même s'ils s'en sortent avec les honneurs, ne sont pas non plus des plus transcendants. Si Catriona MacColl s'en sort si bien qu'on la retrouvera peu après dans L'Au-delà et La Maison Près du Cimetière, il n'en va pas tout à fait de même pour Christopher George qui n'est pas toujours très crédible, jouant un peu trop de rictus cyniques, ce qui n'a pourtant pas empêché le réalisateur de l'embaucher alors qu'il le surnommait "Le Chien au Cigare", tant il trouvait cet acteur mauvais. On ne peut pas dire non plus que sa prestation est mauvaise ici au point de déteindre et parasiter le film et puis ce n'est sans doute pas ce personnage auquel s'intéresse le plus Fulci ; ça se sent et c'est tant mieux.

 

 

Comme dans L'Au-delà, La Maison Près du Cimetière, L'Enfer des Zombies, c'est de toute façon la succession de fabuleux tableaux qui fai, au final le prix et la valeur du film. On saura même gré à Fulci de nous épargner les explications vaseuses qui, en général, plombent pas mal de récits et de films, comme on le remerciera jamais assez d'avoir laissé de côté tout humour ou second degré (même si l'homme n'en est pas dénué) au profit de son nouveau voyage au sein du macabre. Et même dans son côté anticlérical, il n'y va pas de main morte et il s'agit là-même de ses propres doutes qu'il nous balance à la gueule presque tels quels. Lors du suicide du prêtre qui constitue là un blasphème (et du prêtre et de Fulci), car comme chacun sait, cet acte là au sein d'un catholicisme pur, est non seulement pêché, mais répréhensible, puisque ne permettant plus alors d'être exhumé en terre sacrée; ce qui explique sans doute la dérive des morts à venir pour la Toussaint, et si chez Romero (Zombie),"quand il n'y a plus de place en enfer les morts reviennent à la vie", ici "quand il n'y a plus de place en Terre sacrée pour les morts, où iront-ils alors?".

Terminons maintenant par l'avalanche de perles et autres qualités dont regorge Frayeurs, dont je vais tenter de synthétiser le recensement tant, "en toute objectivité", elles affluent.
Même si je comprends le surnom "Parrain du Gore" qu'on a pu lui attribuer, je préfère de loin l'étiquette "Poète du Macabre" qui me semble plus large, même si, en terme de gore, nous voici ici bien servis, si bien qu'on en repartirait presque ballonné. Il faut redire combien Fulci est entouré ici d'une équipe qui l'a toujours servi au mieux. Et que dire des effets spéciaux d'un Giannetto Di Rossi, qui dépassent encore à ce jour tout ce qu'on a pu voir au sein de la production horrifique ? Fulci tente de dépasser les limites et y parvient sans peine, amenant par moment le spectateur au bord de la nausée.
La scène ou Venantino Venantini transperce à la perceuse la tête de l'un des personnages qui n'en a pas demandé tant, tout en le maintenant plaqué sur le treuil où l'instrument avance lentement mais sûrement, n'a pas fini d'en traumatiser plus d'un encore aujourd'hui. Fulci et son maquilleur n'y vont, une fois de plus, pas avec le dos de la cuillère et la mort avance avec une inéluctabilité redoutable pour finir dans l'atroce. La scène où la femme vomit littéralement estomac, intestins et autres éléments du tube digestif dépasse même toutes les limites et l'on retrouve bien là la marque d'un Fulci enragé qui vient provoquer son monde avec un accès de violence graphique tellement insoutenable qu'il se rapproche à nouveau d'un surréalisme "outre-morbide" sans concession, voire complaisant dans sa volonté de mettre au nez et à la barbe de son spectateur, pourtant averti, le comble du gerbant.
Une autre scène proprement fantastique : une tempête d'asticots (qui du reste à été un calvaire de tournage pour l'ensemble de l'équipe du film). Elle demeure tellement vraie, juste, palpable, qu'on ne serait pas loin d'aller prendre une bonne douche ensuite. Ajoutez à cela quelques décervelages bruts de décoffrage et l'on obtient là, tout comme dans L'au-delà, ce qui n'est pas loin d'être l'une des plus belles panoplies de l'histoire du cinéma Trash.
Une fois de plus Sergio Salvati transcende le tout par une photographie tellement somptueuse et en totale adéquation avec et l'ambiance (le Village de Dunwich fait peur à lui seul) et la succession de tableaux à laquelle on assiste fasciné comme tétanisé, finit de faire de Frayeur un chef-d'œuvre devenu depuis (presque instantanément) classique.

 

 

Dernier petit détail, mais non négligeable pour autant, une galerie de personnages secondaires étranges et atypiques (des fossoyeurs amateurs de pornographie, une psychologue plus que trouble, voire fortement troublée, un médecin légiste qui spolie les morts de leurs biens (bijoux), et des être humains habités par le mal) qui contribue à nouveau à la peinture pessimiste de l'être humain, ébauchée dès son Temps du Massacre, et qui aura tout du long jalonné une oeuvre dont on a pas encore fini de parler.
Si ma critique paraîtra à certains un peu froide au regard de ce que j'ai pu écrire sur L'Au-delà, c'est juste que Frayeur est un film glaçant tandis que L'Au-delà est plus onirique et, du coup, planant. Les deux restent malgré tout un peu gigognes, mais chacun à sa manière est un chef-d’œuvre thématique, graphique, atmosphérique et sensoriel.

 

Mallox

 

 

A propos du film :

 

# Catriona MacColl a récemment déclaré n'être toujours pas remise du tournage de la scène de cercueil ; en plus du trauma engendré, ce fut une source d'engueulade monumentale entre l'actrice et Fulci, car par réflexe défensif naturel, dès que la pioche traversait le cercueil, l'actrice se retrouvait à fermer les yeux au lieu de les ouvrir en grand comme l'exigeait le maestro, furieux pour le coup.
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