Torso
Titre original: I Corpi presentano tracce di violenza carnale
Genre: Giallo
Année: 1973
Pays d'origine: Italie
Réalisateur: Sergio Martino
Casting:
Suzy Kendall, Tina Aumont, Luc Merenda, John Richardson, Roberto Bisacco...
 

Jane, une jeune américaine, arrive à Pérouse afin d'y suivre assidûment les cours sur l'histoire de la peinture italienne dispensés par Frank. Elle se lie d'amitié avec Dani, une autre lycéenne qui vit chez un oncle très riche. Les deux faisant la paire, tout va pour le mieux jusqu'au jour où l'une de leurs camarades d'école est retrouvée assassinée avec son ami. Les choses ne s'arrangent pas, s'accélèrent même, lorsque le corps d'une autre de leurs copines est à nouveau découvert : sauvagement mise à mort, le seul indice laissé par l'agresseur étant un bout de tissu qui sera rapidement rattaché à l'écharpe à laquelle il appartient. Le trouble se fait alors d'autant plus grand dans l'esprit de Dani : celle-ci est convaincue de connaître cette écharpe sans parvenir pour autant à se souvenir de sa provenance...

 

 

Très prisé des amateurs du genre, doté d'une réputation sordide, novatrice et culte, Torso est à n'en pas douter une pièce maîtresse que l'on peut voir et revoir, et reste même probablement le meilleur film de son réalisateur, en tout cas, son chef-d’oeuvre au sein d'un genre très codé dont il parvient qui plus est ici à trouver une ouverture qui fera date.

Lorsqu'il tourne I Corpi non presentano tracce di violenza carnale, rebaptisé I Corpi presentano tracce di violenza carnale afin de s'attirer un plus large public, Sergio Martino n'en est pas à son premier coup d'éclat. En effet, ce dernier a déjà livré quelques belles pièces au préalable et celui-ci est son cinquième Giallo, en même temps que le plus abouti, après pourtant d'autres jolies réussites. J'ai même à titre personnel toujours pensé que celui-ci n'avait cessé de s'améliorer, délaissant petit à petit les outrances filmiques de jeunesse pour atteindre l'année précédente avec sa très bonne Alliance invisible un certain dépouillement, une belle maturité : celle de la retenue, avec notamment un préambule remarquable aux abords d'une baie filmée de nuit, et pour seules sources sonores les bruits d'insectes et autres rapaces nocturnes. Un plan marquant, instillant une ambiance fort réussie que l'on retrouve dans la première partie de Torso, ce dans une version plus stylisée qui lui sied parfaitement.

On évoquera tout de même ses trois autres bons, voire très bons Gialli, que sont Strange Vice of Mrs Wardh, Your Vice Is a Closed Room and Only I Have the Key ou encore sa plus démonstrative quoique fort généreuse "Queue du scorpion", ce avant un dernier qui n'en sera que la moitié d'un en 1975, Morte sospetta di una minorenne, celui-ci surfant également sur le courant très porteur alors du Poliziesco.

 

 

Bien entendu, on n'attribuera pas forcément toutes les qualités de Torso à son seul metteur en scène. Ce qui en premier lieu pose les bases de sa réussite, c'est un parfait équilibre de structure narrative, due au très expérimenté Ernesto Gastaldi, lequel propose ici un script découpé en deux parties très distinctes en même temps qu'harmonieuses, et s'inscrivant dans une progression logique de l'histoire. Si ce découpage quasi-géométrique pourra de prime abord sembler maigrelet, il permet à Martino de mieux s'affirmer pour distiller une ambiance de malaise constant, ainsi que de livrer dans un même temps une succession de morceaux d'anthologie.

Car, contrairement à ce qui est souvent dit, la première partie est tout à fait remarquable : il semble difficile d'oublier la formidable séquence de poursuite dans cette forêt boueuse nappée d'un brouillard traître, au sein de laquelle une jeune étudiante est poursuivie par un tueur encagoulé. On sera reconnaissant envers le photographe Giancarlo Ferrando d'avoir accompli un aussi beau travail qui, soit dit en passant, ne s'arrêtera pas uniquement à une belle brume, mais livrera, tout du long, des images splendides, toujours en adéquation avec les scènes en action (je pense notamment à la façon dont il filme Pérouse et ses ruelles, qu'il parvient à rendre menaçantes, voire de plus en plus oppressantes au fur et à mesure d'une paranoïa grandissante chez les jeunes femmes se sentant, à juste titre, de plus en plus en danger). A ce propos, Sergio Martino parvient même à glisser sa petite étude de mœurs, non sans humour et sans s'appesantir, sur une époque décomplexée où les jeunes filles semblaient assumer pleinement leur corps et leur sexualité, un constat pas forcément toujours en phase avec les mœurs les plus répandues du moment. Le laitier venu apporter les courses les trouvera nues et décontractées, allongées sur des transats. Quoique médusé, il ne pourra pas s'empêcher de rester un temps à jouer les voyeurs. On pourra même le confondre avec le tueur, même s'il s'agit là de mettre en opposition un état d'esprit en vogue et son pendant plus conservateur. Quoi qu'il en soit, on notera que Sergio Martino préfère de loin la libération sexuelle, lui permettant même en tant qu'artiste de pleinement s'exprimer, parsemant son film d'un érotisme comme vu de derrière le petit bout de la lorgnette, lui conférant même un côté voyeur très assumé et qui plus est assez malsain. De par la posture voyeuriste dans laquelle s'installe le réalisateur pour filmer son histoire, on sera même tenté de le rapprocher par moments, du magnifique Mais qu'avez-vous fait à Solange ?

 

 

Après un premier acte ne recelant aucun temps mort, nous voici rentrés dans la deuxième partie de Torso. Un second acte très novateur puisque Sergio Martino fait le choix d'y changer la panoplie du tueur giallesque, en même temps que d'y aller parfois de la manière la plus brutale qui soit, alternant de façon pleinement maîtrisée stylisation et épuration brute. Un type de mise en scène assez moderne pour l'époque qui, visiblement, semble avoir fortement inspiré le courant "slasher" américain qui ne tardera plus à naître, jusqu'à connaître ses heures de gloire au début des années 80, pour continuer de sévir encore de nos jours avec, disons-le, beaucoup moins de bonheur et d'inspiration pour bien plus de vulgarité et moins d'élégance. Il n'est d'ailleurs pas rare au sein du cinéma horrifique d'aujourd'hui de retrouver encore des traces de ce "Corps présentant des traces de violences charnelles". Tout autant que le film de Mario Bava, La baie sanglante, puis Black Christmas, tourné l'année suivante, Torso est un film important à ce niveau.

L'un des seuls reproches qu'on puisse finalement vraiment lui faire, c'est celui de rendre un peu trop tout le monde coupable, tant et si bien que, par élimination, et en rembobinant mentalement la pellicule, on éliminera les plus probables (comme le jeune homme éconduit par l'une des lycéennes plus particulièrement, sur qui d'emblée l'attention se portera).

 


Revenons-en à cette deuxième partie : un théâtre de la mort en huis clos tout à fait remarquable. Si la première était des plus prenantes, la seconde ne le sera pas moins. Là où certains y verront des invraisemblances, j'y verrai pour ma part beaucoup d'humour ainsi qu'une maîtrise des cadrages et des angles cinématographiques sans faille. Soit, on pourra avoir le sentiment d'avoir déjà assisté ailleurs à ce genre de postulat avec une villa isolée, synonyme de solitude renforcée, notamment au sein du faiblard et surestimé "Seule dans la nuit" de Terence Young ; mais il y a dans Torso une intelligence maligne qui fait la différence avec d'autres confrères ayant emprunté ou qui emprunteront cette même voie. D'abord ce tueur, qui a l'intelligence de rentrer le lait posé devant la porte - personne n'ayant répondu et personne ne devant se douter que la villa est désertée - et qui, dans un élan laconique, fermera à clé la chambre où Suzy Kendall restera cloîtrée, après l'avoir pourtant vérifiée en long et en large, se disant malgré tout que deux précautions valent mieux qu'une. Dans le même temps, Sergio Martino, sans nous le montrer, nous fait rentrer dans la psyché du tueur, distillant parcimonieusement et brillamment des indices concernant le modus operandi, fait très rare au sein du Giallo.

 

 

Il en va de même avec le meurtre des trois jeunes filles que Martino élude pour nous en suggérer, sans le dévoiler explicitement, l'aspect le plus crapoteux, à savoir le découpage en bonne et due forme des victimes à la scie à métaux. Il multiplie pour ce faire les gros plans sur l'instrument au travers duquel l'on apercevra le plus souvent qu'un seul membre. Pendant ce temps, dans un équilibre structurel toujours sans faille, il parvient sans mal à imposer une peur panique claustrophobe, une angoisse sourde et violente, dans lesquelles les appels de détresse resteront sans réponse. Notamment grâce à une scène de téléphone coupé, procédé classique certes, mais filmé de manière brillante (sans jeu de mots) et majestueuse, tout comme ce pur moment de bonheur dans lequel l'héroïne tente d'alerter, avec un miroir et le reflet du soleil, les villageois tout en bas de la falaise ; notamment l'énigmatique Luc Merenda (nouveau venu chez Sergio Martino avec qui il collaborera ensuite régulièrement, notamment dans Milano Trema), qui restera de marbre devant cet appel de détresse mais aura néanmoins le nez fin...

 

 

Bref, peu de reproches à faire à cette excellence du Giallo, et si tout comme votre chroniqueur, vous n'y avez pas goûté plus que cela lors d'une première vision, rejetez-y un œil, il se pourrait bien que vous le revoyez à la hausse. Une hausse assez conséquente, puisqu'il s'agit d'un modèle de mise en scène, tout à la fois brute, élégante, inventive, pour accoucher d'un indispensable du genre. Dernière chose, si la partition de Guido et Maurizio De Angelis ne marque pas forcément directement les esprits, elle a l'avantage de rester constamment dans les tons, de souligner le primordial, à savoir l'ambiance, la tension ici omniprésente, puis surtout de ne pas manger le film pour le laisser pleinement respirer (a contrario de certaines partitions d'Ennio Morricone ayant tendance à vampiriser les œuvres pour le pire ou le meilleur).
Bref, Torso est un incontournable à voir et revoir.

 

 

Mallox

 

En rapport avec le film :

 

# La fiche dvd The Ecstasy of Films de Torso

 


# La fiche du dvd X Rated de Torso

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