Le Double
Écrit par Ragle Gumm   

 

 

 

Introduction

 
Le concept du Double est commun à de nombreux pays, mythes et traditions, sans toutefois avoir toujours la même signification. Ainsi, en Occident, la croyance veut que se rencontrer soi-même soit un présage de mort prochaine. En Allemagne, on le nomme Döppleganger , en Ecosse le Fetch ("fetch" signifie "prendre"car il vient prendre les hommes pour les mener à la mort).
Dans la tradition judaïque, en revanche, l'apparition du Double est le signe d'un aboutissement spirituel. Le Talmud raconte ainsi l'histoire d'un homme qui, à la recherche de Dieu, se retrouve face à lui-même.

 

 

La littérature et la philosophie nous ont offert quelques phrases célèbres qui montrent bien le rapport complexe que l'homme entretient avec son "moi" de nature fondamentalement duale : "Je est un autre" (Rimbaud), "L'homme ne coïncide pas avec lui-même" (Dostoïevski), "Connais-toi toi même" (Platon) ou encore "Un ami est un autre moi-même" (Pythagore).
D'un point de vue purement philosophique, il y aurait donc certainement beaucoup à en dire mais je ne vais pas m'étendre dans un domaine qui n'a pas vraiment sa place ici. Par ailleurs, toutes ces aspects se retrouvent dans les nombreuses fictions qui, de près ou de loin, abordent le thème de manière sous-jacente et intertextuel.
On peut toutefois citer d'emblée les quelques implications qu'illustrent ces oeuvres : la question de l'identité, la cohésion du moi, l'intégrité, les notions morales du Bien et du Mal, la part d'ombre en chacun, la maladie mentale. Voilà pour l'aspect ontologique et éthique.
Mais le thème du Double est aussi l'occasion pour les auteurs et cinéastes d'aborder d'autres sujets : le simulacre, le clonage et les conséquences des voyages temporels (en SF), la magie (en fantasy), la mise en abime fictionnelle, la gémellité, ou encore le quiproquo humoristique. Autant de moyens mis au service de l'histoire et qui peuvent se combiner entre elles, avec ou sans les complications ontologiques citées plus haut.
Le thème du Double est donc d'une belle richesse sémantique malgré sa simplicité apparente mais aussi, de manière moins intellectualisante, souvent objet de fascination et d'amusement. Et, dans tous les cas, on ne peut lui ôter l'effet le plus direct qu'il suscite en nous : un sentiment de trouble qui demeure toujours intact. Ceux qui ont eu l'occasion de se trouver, ne serait-ce qu'une fois dans leur vie, en présence de vrais jumeaux (ou de simples sosies), phénomène pourtant bien naturel mais paradoxalement "fantastique", sauront sûrement de quoi je parle.
J'ajouterai, pour terminer ce paragraphe sur une note personnelle, que ce thème m'a toujours fasciné, quelle que soit l'oeuvre qui l'aborde - qu'elle soit de qualité ou non. J'en ignore la raison profonde mais c'est ainsi : je n'ai pas fini de voir double... et d'aimer cela.


Par souci de clarté, nous pourrions ranger les histoires de Double dans trois grandes catégories répertoriées ici dans cet ordre:

1. le Double surnaturel (fantastique, fantasy, mythologies)
2. le Double de science-fiction (le clone, l'androïde / l'extraterrestre à l'image de..., le voyage dans le temps)
3. le Double naturel (le jumeau, le sosie)

Comme on peut s'en douter, je me concentrerai principalement ici sur les premières et deuxième catégories, avec quelques incursions dans la troisième (comme je l'ai dit, la gémellité a un petit quelque chose de "fantastique" sans l'être vraiment).

 

 

I. Le Double surnaturel


Le fantastique

S'il est bien une histoire qui mérite d'ouvrir le bal des références littéraires, tant pour une raison chronologique que par son importance et sa notoriété, c'est bien le William Wilson d'Edgar Poe. Tout le monde connaît cette nouvelle fantastique qui raconte la confrontation du narrateur - homme pervers et débauché - avec son double qui ne cesse de lui apparaître à certains moments-clés de son existence et qui est, en réalité, la personnification de la conscience perdue (ou étouffée ?) de notre homme. Un texte allégorique bref mais percutant et précurseur - comme souvent chez l'auteur américain.

Un roman de Dostoïevski, intitulé tout simplement Le Double (1846) s'intéresse, par le truchement de l'étrange histoire de Goliadkine, obscur fonctionnaire persécuté dans sa vie quotidienne par un homme physiquement identique à lui, aux implications liées à l'identité et à son altérité d'une manière plus approfondie que le texte de Poe (c'est l'avantage du format roman). Seule incursion de l'auteur russe dans le fantastique (à moins qu'il ne s'agisse d'un cas de folie, le doute est permis), ce roman peu connu mérite le détour, par sa profondeur philosophique mais surtout psychologique étonnante mais limpide. Il reste aussi un bon roman pour tout amateur du genre désireux de (re)découvrir des classiques oubliés.

Dans une nouvelle de l'écrivain argentin Julio Cortazar, La lointaine (in le recueil Les armes secrètes), une jeune femme a conscience de mener deux existences séparées, chacune dans un pays différent, et reçoit des images ou des sensations vécues par son double.
Cette idée est également la trame du film de Kiewsloski La double vie de Véronique.

L'échange de Alan Brennert est un roman au postulat très intéressant, qui allie le thème du double à celui des mondes parallèles. Rick Cochrane a bâti sa petite vie provinciale sur une frustration : celle de n'avoir pu être comédien. Dans une autre réalité, Richard Cochrane, acteur reconnu à Broadway, regrette d'avoir dû sacrifier une vie de famille pour sa carrière. Hors, un soir de pluie, l'impossible à lieu : Rick et Richard se rencontrent et décident d'échanger leur vie (et donc leur réalité respective). Ce qui n'ira pas sans problèmes...
Une fable fantastique originale qui questionne la notion de choix et des compromis nécessaires à l'édification d'une existence, et une histoire de double (personnages et lieux) qui sort des sentiers battus.

Ubiquité de Claire Wolniewisz, où le personnage devient successivement le double de plusieurs personnes et d'une en particulier : l'escroc George Fondel.

Quand le Double rejoint le principe de la mise en abime fictionelle, cela donne deux films forts différents mais basés sur la même idée : La rose pourpre du Caire de Woody Allen, où un personnage de film d'aventure quitte littéralement le film et l'écran pour les beaux yeux d'une spectatrice assidue (Mia Farrow)... jusqu'à ce que l'acteur ayant interprété le héros fasse lui-aussi son apparition dans la petite ville. Le personnage de fiction se révélera d'une plus grande bonté que son double réel, acteur prétentieux uniquement soucieux de sa notoriété. Un bien joli film qui est, pour Woody, une véritable déclaration d'amour à l'imaginaire contre la décevante réalité.
Dans Last Action Hero de John Mc Tierman, le héros d'un film d'action fantaisiste (incarné par Arnold Schwarzennegger) quitte lui aussi le contexte fictif pour se retrouver dans la réalité grâce au ticket magique d'un jeune garçon. Le personnage se retrouvera lui aussi face à son double (l'acteur Schwarzie, en pleine soirée de promotion) à qui il ne se privera pas de faire cette curieuse déclaration qui laisse un peu perplexe : "Je déteste ce que vous êtes et tout ce que vous représentez !".
Dans Being John Malkovitch de Spike Jonze, film inclassable et époustouflant d'invention, une scène délirante nous montre l'acteur susnommé entouré de clients d'un restaurant arborant tous son propre visage... y compris les femmes ! Ajoutons aussi à cela des oeuvres comme Fight Club, film de David Fincher (ou roman de Chuck Palahniuk), Le chevalier double de Théophile Gautier, le conte L'ombre d'Hans Christian Andersen, La part des ténèbres de Stephen King ou bien encore la nouvelle L'Autre de Jorges Luis Borges dans laquelle un homme tient une conversation avec son double.


Les mythes, les légendes et la fantasy

Prendre l'apparence d'une autre personne est un maléfice fréquemment utilisé par les magiciens et les sorciers.
Dans le vaste corpus des légendes arthuriennes et La morte d'Arthur (1485) de Mallory en particulier, un épisode montre comment Merlin use d'un sortilège pour aider Pendragon - futur père d'Arthur - a séduire la femme d'un rival en prenant l'apparence de l'époux de celle-ci.
Un autre épisode montre Morgane partager la couche de son propre frère Arthur en se faisant passer pour Guenièvre, subterfuge magique qui lui permettra d'enfanter Mordred, fruit de cette union incestueuse.
Ces deux scènes mémorables se retrouvent dans le rutilant film Excalibur de John Boorman.
Dans une autre légende célèbre, Siegfried se sert d'un casque magique qui lui donne les traits de son roi et lui permet de combattre à sa place une Reine du Nord invincible. Il réitérera ce stratagème - de manière moins glorieuse - en se glissant dans le lit d'une reine plutôt rétive aux ardeurs de son nouvel époux. Comme toujours dans ses histoires pas aussi chevaleresques qu'on ne le pense, l'héroïsme rejoint le vaudeville...

En bd, Thorgal se fait momentanément évincé par un double mauvais, grossier, paillard, mégalomane et criminel dans l'album La gardienne des clés. Il s'agit en réalité d'un de ses ennemis (Volsung) qui, en ayant recours à un énième sortilège, cherche à se venger de Thorgal en discréditant le vertueux héros aux yeux de ses proches.
Il y en a certainement bien d'autres qui parcourent les nombreuses légendes et mythes de l'imaginaire occidental. Idem pour des romans de fantasy...

 

 

II. Le Double dans la science-fiction

 
Commençons par une oeuvre incontournable et fondatrice : L'étrange cas du Dr Jekyll et de Mr Hyde de Stevenson (1886), archétype de la dualité traitée sur le mode éthique (le Bien et le Mal). Même si, dans le roman, Hyde n'est pas la copie identique de Jekyll sur le plan physique - loin s'en faut ! - il incarne bien la partie obscure du médecin, son double négatif et surtout libéré de toutes contraintes morales, de tout inhibition. Outre son contenu ontologique, le roman de Stevenson se double si j'ose dire d'une dimension sociale qui faisait défaut au William Wilson de Poe et le rend donc... doublement intéressant.
En ce qui concerne l'aspect physique de Hyde, on notera d'ailleurs que, au fil des années et des adaptations cinématographiques, certains réalisateurs ont eu l'excellente idée de supprimer (ou du moins d'amoindrir fortement) les différences entre l'apparence de Jekyll et de Hyde, ce qui a pour conséquence de renforcer l'ambiguïté (par l'aspect gémellaire) et de montrer que la ligne de démarcation entre les deux n'est pas aussi nette. Je me contenterai de citer seulement deux films qui ont choisi cette voie : Dr Jekyll et Mr Hyde de Gérard Kikoïne avec Anthony Perkins, adaptation modernisée et très libre (mais hélas médiocre) du mythe et, surtout, la superbe série Jekyll produite par la BBC, où la dissemblance entre Jackman et son alter-ego est essentiellement mental (physiquement, ils sont très proches).
Quant à l'audacieuse version de Roy Ward Baker, Dr Jekyll et Sister Hyde (1971) qui voit le docteur se métamorphoser en femme, elle ajoute un élément inédit au mythe et au thème de la duplication : le changement d'identité sexuelle.


La substitution robotique

L'Eve Future de Villiers de L'isle Adam (1886) est un roman peu connu (et peu lu) mais intéressant à plus d'un titre pour l'histoire de la SF, notamment parce qu'il est sans doute le premier à traiter du thème de l'androïde (baptisé ici "andréide") mais aussi - et voilà pourquoi il a sa place ici - celui du Double.
En effet, il y est question de la fabrication par Thomas Edison himself d'un robot qui serait la copie exacte d'une femme bien réelle... avec les inconvénients en moins (du point de vue du commanditaire, en tout cas, amoureux de l'original dont la beauté est, hélas, entachée par sa sottise et sa vulgarité - sic !).
Anticipant de plus d'un demi-siècle sur les premières histoires de SF mettant en scène des doubles robotiques, L'Eve Future est un roman troublant et original qui, dans le cadre du thème abordé ici, développe des idées très modernes : une copie simulacre peut-elle se substituer efficacement à l'originale ? Ce double mécanique possède t-il une essence, une âme dans le sens où on l'entend pour un vrai être humain (il faut préciser qu'Edison a recours à la métempsychose pour "habiter" le corps de sa machine) ? Des questions que se posera plus tard Dick dans Blade Runner, notamment. Notons que dans son roman-hommage (du film plus que du roman de Dick) Blade Runner 2, K.W. Jeter imagine que les réplicants Rachel, Batty et consorts étaient en fait des copies de véritables êtres humains.
Quoiqu'il en soit, les apparitions d'Adaly l'andréïde ne manquent pas d'étonner le lecteur, voir de le charmer. Et de faire bien vite oublier l'originale. La vie est cruelle, je sais...

Une autre oeuvre célèbre de la substitution robotique, Les femmes de Stepford d'Ira Levin (1972), tient à première vue un propos tout aussi sexiste et misogyne mais il s'agit en fait d'une satire non dénuée d'un humour à froid bienvenu : votre femme ne vous convient pas ? Faites-en une copie qui répondra enfin à toutes vos attentes. No real woman, no cry aurait pu chanter Bob Marley. Les féministes apprécieront.
Dans une célèbre nouvelle de P.K. Dick, Imposteur, un homme est suspecté d'être une taupe cybernétique ayant pris l'apparence d'un certain Spencer et munie d'une bombe à l'intérieur du corps. Les efforts du personnage pour prouver qu'il est bien un humain se heurteront à la tragique évidence. Une histoire vertigineuse et glaçante à souhait, qui a été adaptée au cinéma (Impostor de Gary Fleder, avec Gary Sinise).

Dans un épisode très dickien (encore lui) de la série Stargate SG1 (Les doubles robotiques, saison 1), les membres de l'équipe de retour à la base réaliseront qu'ils ne sont que des copies cybernétiques sans le savoir (on leur a greffé aussi la mémoire des originaux). Seul un examen médical révèlera la supercherie... à la grande stupéfaction des intéressés. Ce genre de situation, quoique peu originale, fait toujours son petit effet.
Par contre, le sujet prend une tout autre ampleur dans Battlestar Galactica avec une des meilleures idées de la série : des Cylons à forme humaine dont certains ont l'apparence de membres de la flotte, ce qui ne tarde pas à créer un climat de suspicion permanente. Mais le plus remarquable reste ce détail aux conséquences douloureuses pour les malheureux sujets : la plupart ignorent leur nature de Cylon, étant en somme des agents dormants prêt à se réveiller à n'importe quel moment. La série tire parti de cette idée bien mieux que ne le fait un film comme Impostor.

Dans le premier volet de la bande dessinée Le sommeil du monstre d'Enki Bilal, le personnage principal baptisé Nike tombe sur son double robotique, dans une chambre d'hôtel miteuse. Remarque du cyborg : "Je suis content de me rencontrer".


Les extraterrestres mimétiques

L'invasion des profanateurs (The Body Snatchers) de Jack Finney (1955) est l'illustration la plus connue de l'extraterrestre qui, pour conquérir le monde, a trouvé un moyen très astucieux : prendre l'apparence de l'humain, en être la parfaite imitation. C'est ce qui arrive dans cette petite ville des Etats-Unis où les habitants sont peu à peu remplacés par des doubles très convaincants... à part leur manque flagrant d'émotivité. Cette histoire connaîtra, outre quatre adaptations cinématographiques, une postérité importante, des histoires du même type se comptant par dizaines.
Soyons modeste et bornons-nous à deux nouvelles en particulier, écrites à la même époque. Dans On se trompe peut-être de Robert Bloch, un militaire de retour chez lui ne tarde pas à découvrir que les membres de sa famille ne sont plus ce qu'ils semblent être. Dans Le Père truqué de Philip K. Dick, un enfant fera la même constatation à propos de son (faux) père.
Au cinéma, The Thing de John Carpenter est la référence incontournable, monument d'horreur qui voit l'intrusion dans une base polaire d'une créature cauchemardesque prenant successivement l'apparence de plusieurs membres de l'équipe qu'elle élimine un à un. L'isolement de la station perdue au milieu des vastes étendues glacées renforce encore le climat d'épouvante, de claustrophobie mais aussi de paranoïa du film.
Dans Intrusion, la pauvre Charlize Theron se posera aussi la question qui sent bon le divorce (mon mari est-il mon mari ?). Elle aurait pourtant dû savoir que Johnny Depp a le don de prendre n'importe quelle apparence, tel un Lon Chaney new-look. Mais ne nous égarons pas : le cosmonaute de mari se révélera être bien sûr un vilain extraterrestre en quête d'une progéniture. Précisons toutefois qu'il s'agit ici, si je me souviens bien, plus d'une histoire de "possession" d'un homme par une entité E.T. que d'une copie. Mais le sentiment de duplicité et d'horreur reste identique.
Dans la série X-files, nous faisons connaissance avec un alien métamorphe (et tueur professionnel) dans l'épisode en deux parties La colonie (saison 1), ce qui nous vaut, entre autres, deux Fox Mulder pour le prix d'un, situation très embarrassante pour Scully.

Plus récemment et plus original, dans un épisode de Stargate Atlantis (saison 4) titré justement Döppelganger (en V.O.), une entité vivant à l'intérieur d'un minéral possède successivement le subconscient de plusieurs habitants de la cité, s'introduisant dans leurs rêves sous l'apparence d'un John Sheppard maléfique (il a été le premier à avoir été touché par le cristal). La fin de l'épisode confronte le vrai Sheppard à sa belliqueuse doublure onirique.
On trouve par ailleurs une histoire assez proche dans un épisode de Stargate SG1 : après avoir touché un cristal sur une planète inconnue, Jack O'Neil se dédouble et c'est sa copie qui revient sur Terre.
Mentionnons en passant une autre créature mimétique (quoique bien humaine celle-là) dans X-Men : la très étrange Mystic. Ce qui nous vaut dans le premier film un combat entre deux Wolverine.

Cette approche du thème n'est pas tant philosophique que l'expression d'une certaine paranoïa (pour les premiers exemples cités, en tout cas : n'oublions pas que le roman de Jack Finney fut écrit en pleine guerre froide) politique ou plus intime.
Il peut toutefois aussi renvoyer à l'idée plus profonde que l'autre, même humain, nous demeure toujours un peu étranger, un peu comme s'il était le double décevant (et un peu inquiétant) de l'image que nous nous faisons de lui. Autrement dit, l'extraterrestre c'est toujours l'Autre.


Quand le voyageur temporel voit double... ou même davantage

Un des inconvénients et paradoxes les plus courants du voyage temporel est la possibilité de se retrouver face à soi-même à une autre époque. Ignorant la plupart du temps les conséquences possibles qu'une telle rencontre pourrait créer dans le tissu spatio-temporel (dixit Doc Brown, nom de Zeus !), la littérature et le cinéma de SF préfèrent exploiter cette situation sans trop se poser la question.
Là aussi, les exemples sont nombreux et il est rare qu'un auteur résiste à la tentation de confronter son (ses) personnage(s) à leur double, ne serait-ce que de façon anecdotique.
Dans sa nouvelle (qui tient du tour de force), Un emploi du temps très chargé, Thomas Disch montre toutes les effets paradoxaux possibles lorsqu'un homme se sert d'une machine à voyager dans le temps pour commettre le crime parfait. Une petite erreur de jugement et le voilà prisonnier d'une boucle temporelle avec une, deux, trois, etc... répliques de lui-même qui n'en finissent plus de se croiser.
Mais l'exemple le plus connu (et le plus drôle) de ce type de paradoxe est le second épisode de la trilogie de Zemeckis, Retour vers le futur II, où Marty McFly, sa petite amie Jennifer, Doc Brown mais aussi Beef Tannen auront chacun leur double, voir leur triple. Des scènes croustillantes dont tout le monde se souvient...

De telles rencontres peuvent permettre à un personnage d'avoir aussi une meilleure vision de lui-même, un recul que son propre espace temporel ne peut permettre. Ou de prendre conscience qu'il est vraiment temps de changer de coupe de cheveux.

 


Envoyez les clones

Comme j'ai déjà parlé du clonage et de certaines oeuvres s'y rattachant dans le fil de L'homme remodelé, je ne vais pas les citer à nouveau ici. Dans le cas spécifique du thème du Double, ce qui distingue toutefois le clone du double fantastique est bien sûr qu'il est le résultat du progrès scientifique. Contrairement à une histoire comme William Wilson, son intérêt n'est plus allégorique et / ou philosophique mais rattaché à des considérations plus pratiques, telle la duplication comme moyen d'accéder à une forme d''immortalité par exemple. Dans Le canal ophite de John Varley, l'héroïne Lilo connaît une forme d'immortalité en "renaissant" dans une succession de clones (Lilo 2, 3, 4, etc...) tout en gardant les données mémorielles récupérées avant la mort de son précédent corps.
L'inconvénient majeur du clonage est l'impossibilité pour l'original de se retrouver devant sa copie en ayant le même âge, donc exactement la même apparence physique, à cause du problème évident du temps nécessaire au clone pour se développer. Plutôt frustrant.
Mais les auteurs de SF, malins, ne se sont pas privés d'imaginer des moyens technologiques quelconques (manger de la soupe ne suffit pas dans ce cas-là) permettant au clone d'arriver à maturité très rapidement, avant que son original ne voient apparaître ses premiers cheveux blancs. Donc, même en SF, la rencontre-miroir entre l'homme et son (ou ses) double(s) est possible, au prix d'un raccourci fulgurant. Deux exemples :

Alors que déjà dans Total Recall, Schwarzie - décidément abonné aux histoires de doubles - se retrouvait déjà en quelque sorte devant son "double" (mais par l'intermédiaire d'un enregistrement vidéo le représentant avant sa perte de mémoire et non une rencontre au sens strict), ce face-à-face aura lieu dans A l'aube du sixième jour où papa Arnold se fera évincé par un clone prenant sa place au sein de sa famille (pour commencer). Ewan Mc Gregor fera la même expérience dans The Island, le clone valant ici nettement mieux que l'original sur le plan moral.
Dans un registre plus farfelu, Multiplicity d'Harold Ramis vient en aide à un Michael Keaton surmené qui aimerait bien se couper en quatre pour concilier travail et famille sans délaisser l'une au profit de l'autre. Grâce à un machine à clonage-minute fantaisiste qui tient plus de la photocopieuse (on est dans une comédie, faut-il le préciser), notre homme sera vite secondé par un, puis deux, puis trois, puis quatre clones (même si l'un d'entre eux est plutôt raté). Le tout étant de ne pas s'embrouiller dans le planning et d'éviter de se faire piquer sa nana au passage par un de ses fac-similé.
Ici aussi, pas de place pour la réflexion mais seulement pour le fun. On ne s'en plaindra pas.

Dans un autre épisode de la même saison 4 de Stargate Atlantis, Double collision, des Réplicateurs ont créé des clones de Shepard, Mc Cay, Tela, Ronan et du Dr Weir, tous possédant les souvenirs et la personnalité des originaux. Nous aurons droit à quelques scènes où ceux-ci se retrouvent face à leur double, expérience déjà vécue par Shepard mais toute nouvelle pour les autres. Ce qui donne aussi l'occasion au Dr McCay de montrer un certain narcissisme, trop heureux apparemment de pouvoir discuter avec cet autre lui qu'il considère comme l'interlocuteur idéal (c'est tout lui, ça !).

Un cas particulier ne pouvant figurer dans les précédents paragraphes concerne le cas d'un double issu d'une déficience technologique. Dans un des premiers épisodes de Star Trek, L'imposteur (écrit par Richard Matheson), un dysfonctionnement du téléporteur matérialise un second Capitaine Kirk, alter-ego maléfique de l'original qui rassemble tous les défauts humains possibles... en plus d'une libido exacerbée (mais est-ce bien un défaut, ça ? Je vous le demande). Une approche assez classique mais l'auteur y ajoute un ingrédient bien plus intéressant : le mauvais Kirk possède des qualités de chef indubitables qui se mettent à décliner chez le vrai. Une façon pour Matheson de sous-entendre que toute capacité à commander pourrait bien se situer dans la part d'ombre du héros et, par extension, de tout dirigeant. Un scénario qui va donc au-delà du simple antagonisme "gentil Kirk - méchant Kirk".

 

 

III. Le Double naturel

 

Les jumeaux

Phénomène biologique rare mais naturel, la gémellité a toujours fasciné les auteurs et certaines oeuvres qui leur sont dédiés méritent de figurer dans ce fil. Certaines d'entre elles s'apparente tout de même au fantastique ou la SF (mais j'ai préféré les intégrer ici), la plupart ne le sont pas ou demeure sur une frontière indécise entre réel et imaginaire.

Le visage de l'autre, un roman de Thomas Tryon, est un classique du fantastique et l'histoire de deux enfants jumeaux, Niles et Holland, qui vivent dans une petite ville du Connecticut avec leur mère et leur grand-mère un brin excentrique. Comme pour tous les jumeaux, il existe un lien très particulier entre les deux frères (l'un subissant tout de même l'influence néfaste de l'autre) qui s'adonnent à de curieux jeux de nature paranormale. D'étranges "accidents" surviennent autour d'eux, des morts suspectes... Les frères en sont-ils la cause ?
Best-seller à sa sortie, le roman a été adapté au cinéma en 1972 par Robert Mulligan sous le titre L'autre.

Le roman Faux-semblants de Barry Wood vite été éclipsé par la très belle adaptation (1989) de David Cronenberg.
L'histoire émouvante et pathétique, d'amour et de mort, des frères Mantle, aussi différents par leur caractère que physiquement semblables. Tous deux gynécologues réputés, ils se partagent les responsabilités selon leurs aptitudes réciproques : Elliot l'extraverti se charge surtout de promouvoir leur travail (conférences, mondanités) et Beverly, l'introverti, peu à l'aise en société, travaille dans l'ombre. Une parfaite complémentarité. Mais les frères Mantell se partagent également leur conquêtes féminines, sans que les femmes savent toujours très bien qui est qui. L'une d'entre elle sera toutefois la cause d'une rupture entre les jumeaux, puis d'une nouvelle fusion... dans la mort.
Le film est un chef-d'oeuvre, qui dissèque avec une acuité et une intensité rare le rapport fusionnel et très complexe (différence, rivalité, complémentarité) entre jumeaux partagés entre leur besoin de singularité et leur lien indéfectible à l'autre. Cette histoire aborde aussi les habituels aspects propres au thème : le mensonge, la duplicité, l'altérité, la psychose).
Une oeuvre qui n'a même pas besoin d'être fantastique pour générer une impression de surnaturel.

Dans Trouble de Harry Cleven (avec Benoît Magimel dans un double-rôle), la vie tranquille de Mathias se voit bouleversée par l'arrivée de son frère jumeau, Thomas, qu'il n'a jamais connu. Ce dernier aura tendance à s'ingérer de manière trop insistante dans la vie de son frère, à moins qu'il ne s'agisse d'un excès de paranoïa de la part de Mathias ? Ce sera en tout cas pour celui-ci l'occasion de retrouver une partie de sa mémoire enfouie depuis l'enfance suite à un trauma. Une approche intéressante pour un film dégageant une certaine froideur.

La trame centrale du manga de Naoki Urasawa Monster raconte l'histoire des jumeaux Johann et Nina / Anna (identité double, vous l'aurez remarqué). Le garçon est devenu est un monstre dès son plus jeune âge suite à une série d'expériences visant à modeler le comportement d'un individu et lui ôté toute émotivité. Il en a résulté pour Johann un vide ontologique et identitaire qui n'a d'égale que ses pulsions criminelles. Au final, un personnage aussi tragique que monstrueux. Sa soeur, qui a pu garder son humanité intacte, entretient avec lui des rapports ambivalents, mêlant la colère (elle cherche plus d'une fois à le tuer) et la compassion (elle lui accordera son pardon). Le lien qui les unit s'exprime aussi par la mémoire, une mémoire partagée mais qui en vient à se confondre, les jumeaux ne sachant pas toujours très bien à qui appartient tel pan de mémoire ou tel autre. Autre aspect de cette concomitance : la beauté physique (un peu androgyne) de Johann lui permet, dans un épisode, de se faire passer pour sa soeur. Encore une manière de brouiller les repères, pour les autres ou... pour soi-même.


Le sosie et le "polar onirique"

D'une nature moins mystérieuse, moins fantastique, donc moins attirante pour les arpenteurs de l'imaginaire, le sosie a souvent été employé dans les polars, les thrillers. Beaucoup de grosses ficelles employées par des auteurs peu imaginatifs, à moins de jouer avec elles avec dérision comme peut le faire un auteur tel que Donald Westlake. Il existe toutefois des exceptions qui méritent notre attention et possèdent ce petit supplément d'étrangeté et d'ambition qui ne déparent pas dans notre propos.
Ajoutons deux autres cas atypiques de femmes-doubles : dans Vertigo d'Hitchcock (deux femmes en une), et dans la filmographie de David Lynch.


Le Prestige : un roman de Christopher Priest, un film de Christopher Nolan : une double réussite.
Un oeuvre entièrement marquée du signe du double, à la fois par la nature fondamentalement duplice de la magie mais aussi et surtout par ses deux personnages de magiciens rivaux qui se livrent à diverses formes de substitution dont on ne saurait en dire trop ici, de peur d'éventer un scénario riche en surprises.
Dense et complexe autant par sa structure, ses implications philosophiques que par ses enjeux sur le plan humain, Le Prestige est déjà un classique dont on a pas fini d'épuiser les multiples sens.

En série TV, un épisode mémorable de la série Le Prisonnier, intitulé Double personnalité (Schizophreny en V.O.) dans lequel Numéro 6 se trouve confronté à un parfait sosie. L'idée géniale de cet épisode, qui constitue un sommet de la série-culte, est que les dirigeants du Village vont utiliser ce double pour faire douter Numéro 6 qu'il est bien ce qu'il prétend être. Tout a été mis en oeuvre pour saper les certitudes de notre homme : modifications de certaines de ses caractéristiques (bien qu'étant naturellement droitier, on le conditionnera à devenir gaucher. On modifiera aussi ses goûts en matière de nourriture, etc... etc...). Pour ne rien arranger, le sosie se révélera meilleur que lui dans des domaines qu'il connaît pourtant bien : boxe, tir à la cible, etc...
Ce scénario étonnant est une véritable entreprise de démolition de l'ego, visant à altérer l'identité d'un individu, jusqu'à lui fait croire qu'il n'est qu'une pâle copie... de lui-même.
Rarement les histoires de sosie ont été aussi loin. Heureusement, Numéro 6 en a vu bien d'autres...

Vertigo (Sueurs froides) d'Alfred Hitchock (1958). Un chef-d'oeuvre du suspense à l'atmosphère onirique teintée de fantastique (dans sa première partie) avant l'explication rationnelle. Mais aussi un film de doubles, bien entendu, à travers les personnages de Madeline (la blonde, figure de l'idéal rêvé) et Judy (la brune, figure de la femme réelle) incarnées par une seule actrice : Kim Novak. Mais aussi celle de Carlotta, la morte, dont Madeline feint d'être la réincarnation. Un personnage qui est donc triple (on dit les femmes changeantes mais à ce point...).
Après tout ça, étonnez-vous que Scottie (James Stewart) soit pris de vertige.

Lost Highway de David Lynch. Inspiré en partie de Vertigo, du propre aveu du réalisateur, ce film plutôt opaque que je ne me risquerai pas à trop commenter ici, reprend du film d'Hitchcock le thème de la femme-double (la brune Renée / la blonde Alice) jouée par la même actrice : Patricia Arquette. Mais le film est aussi divisé en deux parties, distinctes en apparence mais en fait liées et se reflétant l'une et l'autre. En outre, signalons la scène où intervient un mystérieux petit homme blafard capable d'ubiquité.
La filmographie de Lynch n'est d'ailleurs pas avare de personnages doubles : dans Twin Peaks, l'actrice Sheryl Lee interprête à la fois Laura Palmer (la blonde) et sa cousine, la brune Madeleine ; dans Mulholland Drive les deux actrices Naomi Watts et Laura Harding ont des personnages doubles également, qui ont d'ailleurs deux prénoms différents selon deux réalités différentes. Sans oublier que Twin Peaks signifie bien évidemment "les pics jumeaux".


Les personnages populaires et leur double négatif

Il est assez fréquent que les héros de romans populaires mais surtout de bandes dessinées et de séries TV se retrouvent face à leur double négatif, qu'il soit un simple sosie ou encore le résultat d'une expérience quelconque. Le but est souvent de jeter le discrédit sur le héros (comme dans le cas déjà cité de Thorgal) ou plus simplement un simple "truc" scénaristique sans fondement psycho-philosophique et qui n'atteint pas le niveau de l'épisode du Prisonnier. Inutile de revenir sur toutes ses histoires du genre Sherlock Holmes contre Sherlock Holmes, Hercule contre Hercule, ou encore Jean-Claude Van Damme contre Jean-Claude Van Damme dans le film... euh... disons Double aware-fighting in Bangkok (je songe à une perspective effrayante : imaginez un peu deux Van Damme en interview !).

Mention spéciale pour Corto Maltese qui, dans l'album La maison dorée de Samarkande, apprend l'existence d'un sosie tellement parfait que Raspoutine lui-même, son ami / ennemi de toujours, sera abusé. Pratt ne tire pas vraiment parti de l'idée car, fidèle à la superstition occidental, Corto renoncera à rencontrer son double, même de loin. Pourquoi une mention spéciale, alors ? Parce que Corto Maltese a tout de même plus de classe que JCVD, non ?
Ce paragraphe nous amène toutefois à un autre cas bien spécifique qui est :


Le super-héros

Le super-héros est par nature un être double. Pour garder leur super-identité secrète, beaucoup d'entre eux se doivent de donner le change en menant une double vie.
Certains font même beaucoup d'efforts pour paraître le plus fade, maladroit, transparent, et plouc possible, tout droit sorti de sa campagne (Superman et son alter-ego binoclard Clark Kent). Cet aspect de l'histoire de Superman est au fond assez proche de la comédie de travestissement, à la manière des pièces de la Commedia del'Arte. Signalons toutefois que dans le film Superman III, un effet inattendu de la cryptonite transforme (ou révèle ?) un Superman devenu mauvais, égoïste, irrespectueux des lois et de la vaisselle (et pas rasé !). Ayant perdu sa cohésion, le super-héros se dédouble au sens littéral (et visuel) dans une scène où Kent et Superman s'affrontent physiquement. Scène troublante car, au-delà de l'effet de la cryptonite, on peut se demander si elle n'est pas aussi révélatrice d'un malaise que ce super-héros très lisse ne laisse habituellement pas paraître. Superman est peut-être moins simpliste qu'on ne le croit habituellement.

 

 

Spiderman, lui, éprouve davantage de difficultés à concilier ces deux existences : le doute le ronge souvent, sa vie de super-héros l'handicape dans ses rapports amoureux avec Mary Jane, ce qui aura pour conséquence la démission pure et simple (mais temporaire) de son super-statut dans le film Spiderman 2). Dans le troisième opus, l'homme-araignée connaît (en plus de la dualité Spiderman / Parker) un dédoublement supplémentaire (qui se manifeste jusque dans son costume), et révèle sa partie sombre : agressif, ivre de pouvoir et allant même jusqu'à tuer par vengeance.
Enfin, Batman, de son côté, n'a jamais fait mystère d'une certaine névrose, dont l'homme chauve-souris est en quelque sorte l'exutoire. Un côté névrotique et sombre que dissimule Bruce Wayne, milliardaire qui se veut superficiel, voir noceur impénitent (particulièrement dans les deux versions ciné de Nolan) mais aussi philanthrope à ses heures perdues. De plus, contrairement à Superman, il ne jouit pas de la même sympathie auprès de la population. On peut même dire que sa récompense est nul. Sa situation est nettement moins gratifiante que l'homme d'acier de Métropolis.
J'en resterai là pour les super-héros, ces trois exemples étant les plus emblématiques.


Un cas particulier : l'interversion

Par interversion, j'entends ces histoires où l'esprit d'une personne se retrouve dans le corps d'une autre (et réciproquement). Ce thème a des accointances étroites avec le thème du Double : se retrouver dans le corps d'une autre personne, c'est être à la fois soi et un autre, ne plus s'appartenir complètement car l'aspect physique est aussi garant de notre identité, notre intégrité. En outre, ce sujet amène tout naturellement à celui de la duplicité, du mensonge, comme le fait celui du double robotique ou extra-terrestre. Au cinéma et dans les séries télé, ce genre d'histoire représente toujours un challenge amusant pour les acteurs qui ont l'occasion d'interpréter deux rôles et de jouer avec les caractéristiques de leur personnage attitré.


Quelques exemples :

Dans une des meilleures nouvelles de H.P. Lovecraft, Dans l'abîme du temps, l'interversion est utilisée par des extra-terrestres (la Grand'Race) pour accumuler des informations sur l'histoire de l'espèce humaine en toute discrétion : l'un d'eux prendra en effet possession du corps d'un professeur d'université, ce dernier se retrouvant dans la peau de la créature vivant au sein d'une étrange cité. Sur Terre, le changement de comportement du (faux) professeur ne manque pas d'inquiéter son entourage.

La machine de René Belletot : un scientifique conçoit une machine qui devrait théoriquement être capable de guérir un psychopathe de ses pulsions meurtrières par une sorte de "contamination" mentale avec un sujet "sain". Autrement dit : un peu de la bonté du scientifique devrait être transférée dans l'esprit du tueur (ce qui implique aussi qu'un peu de la psychopathie de ce dernier soit transférée dans l'esprit du savant).
Evidemment, l'expérience ne se passe pas comme prévu et c'est l'entièreté de l'esprit du criminel qui prend possession du cerveau (et donc du corps) du scientifique, et réciproquement.
Un roman basé sur une idée de SF mais qui bifurque très vite vers le thriller sanglant. Le Grand Méchant Loup, ayant pris l'apparence du savant, neutralise celui-ci et s'installe dans ses pénates familiales, en trucidant quelques personnes au passage. Efficace mais peu subtil.
Le roman a connu une adaptation ciné avec Gerard Depardieu et Didier Bourdon.

Les vacances du fantôme de Didier Van Cauwelaert.
D'un ton radicalement opposé au précédent, ce roman sympathique est plus proche de la comédie aigre-douce et du fantastique allégorique : un apprenti boucher d'un quartier populaire se réveille un matin dans le corps d'un avocat au train de vie autrement plus chic. Et l'avocat, lui, se réveille juste à temps pour découper ses premières entrecôtes. Dans un premier temps, la situation de l'un paraît bien plus confortable que celle de l'autre mais le reste du roman nous montre évidemment que tout est relatif. Nos deux hommes aux mondes si différents apprendront chacun des choses sur eux-mêmes qu'ils ne soupçonnaient pas à travers l'existence de l'autre.
Pas follement original, un brin prévisible dans son "message", mais certaines scènes sont amusantes (celle où l'apprenti boucher doit plaider une affaire au tribunal, entre autres).

Dans un épisode de la saison 6 de X-Files, Mulder subit lui aussi une interversion. L'occasion de voir Duchovny (qui n'est pas Mulder, vous suivez ?) se lâcher et se trémousser devant un miroir tel un Chippendale en pleine crise narcissique. Fun et inoffensif, là aussi. On s'amuse, on rigole. Et au niveau Télévisuel, on peut aussi bien évidemment citer la série Code Quantum où le héros se trouve propulsé à chaque épisode dans un nouveau corps.

Du côté du grand écran, citons Volte / Face de John Woo : grâce à une opération chirurgicale qui tient encore de la SF, le flic Sean Archer (Travolta) prend l'apparence de son pire ennemi, le terroriste complètement azimuté Castor Troy (Nicholas Cage). Mais celui-ci parvient à faire de même. Un duel pétaradant et souvent inventif qui exploite bien toutes les possibilités d'une telle idée, avec une pointe d'ironie en prime : le méchant Troy se révélera un mari plus attentionné (et chaud lapin !) qu'un Sean Archer brisé par la mort de son fils et délaissant son épouse.
Cerise sur le gâteau : la scène où Cage / Archer se répète devant un miroir : "je ne suis pas moi, je suis moi".
Certes, on finirait par s'y perdre...