1888, Jonathan Harker est un aventurier qui a voué son existence, aux côtés de son ami le Dr. Van Helsing, à la chasse aux vampires. Ayant découvert le repaire de celui qui répand la terrible maladie, le comte Dracula, il se fait passer pour un bibliothécaire cherchant à servir le comte. Harker réussit à tuer la compagne du vampire, mais se fait vampiriser par le comte. Le Dr Van Helsing reprend l'enquête, après avoir mis fin aux tourments de son ami d'un coup de pieu dans le cœur. Mais le comte a décidé de détruire une à une les femmes de la famille de Harker, à commencer par sa fiancée...
De temps en temps, il est bon de revenir sur certains classiques qui sont à l'origine d'une passion pour le cinéma de genre. La technologie nous permettant à l'heure actuelle de visionner ces œuvres dans des conditions jamais égalées, nous aurions tort de nous priver. Voici donc un petit coup d'œil sur l'un des chefs d'œuvre du genre (terme maintes fois galvaudé, mais qui prend ici toute sa signification), qui sera à l'origine d'un des plus beaux chapitres de l'histoire du cinéma fantastique, un seul nom qui résume tout : "Hammer".
Après le succès de "Frankenstein s'est échappé / The Curse of Frankenstein" (1957), une relecture en Technicolor du classique de l'Universal plus axée sur le créateur que sur la créature (un choix dicté par le fait que l'Universal possédait les droits du maquillage de Karlof), la Hammer décide l'année suivante de s'attaquer à un autre mythe de l'Universal, le fameux comte Dracula, immortalisé à l'époque par Bela Lugosi. Le scénariste Jimmy Sangster (déjà responsable du script de Frankenstein) s'attaque donc à une nouvelle adaptation du roman de Bram Stoker, qui rappelons-le se présente sous la forme de divers journaux intimes et de correspondances. Obligé de livrer un script équivalent aux 80 minutes réglementaires, il retient la meilleure partie et surtout la plus terrifiante, c'est-à-dire le journal de Jonathan Harker. Il transforme le personnage de Jonathan en chasseur de vampires, adepte du fameux Van Helsing, qui lui-même est très éloigné du pudibond décrit dans le roman. Il supprime certains personnages, comme R. M. Renfield et Quincey Morris, et modifie les caractères de Mina et Lucy. L'action se déroulant entre l'Allemagne et la Transylvanie pour d'évidentes raisons budgétaires, exit donc le voyage vers l'Angleterre à bord de l' "Exeter", le comte quitte rarement son château et ne se mêle pas à la foule (il se contente de rendre visite à Lucy et Mina dans leur chambre). De plus, il craint la lumière, contrairement au roman où il peut se promener la journée (idée reprise dans la version de Coppola). Bref, Sangster élague un maximum (finis les pouvoirs de transformation du comte) et ne garde que l'essentiel ; c'est ce côté condensé qui va augmenter l'efficacité du film, le tout appuyé par la réalisation baroque et gothique de Terence Fisher. Ce dernier a la bonne idée de traiter son œuvre comme un film d'action (sa spécialité avant de réaliser "Frankenstein s'est échappé"), sa caméra est fluide et colle littéralement aux acteurs, comme le montre l'affrontement entre Cushing / Van Helsing et Lee / Dracula, un morceau d'anthologie filmé comme un duel. La scène où Peter Cushing se jette littéralement sur les rideaux pour les arracher est un grand moment digne de Douglas Fairbanks, que l'acteur improvisa dans le feu de l'action.
Comme la plupart des productions Hammer de l'époque, le film peut compter sur une interprétation sans faille, notamment la prestation de la belle et sensuelle Valérie Gaunt (apparue dans "Frankenstein s'est échappé"), qui sera la première femme vampire d'une longue lignée pour la firme anglaise. Mais l'idée de génie est d'avoir reformé le duo de "Frankenstein s'est échappé", qui va devenir le couple vedette et emblématique d'une époque révolue, Peter Cushing et Christopher Lee. Cushing restera l'un des meilleurs Van Helsing du cinéma mais surtout un inoubliable docteur Frankenstein, tandis que son ami et éternel rival (à l'écran) Christopher Lee livrera une performance qui marquera non seulement l'histoire du cinéma tout court, mais aussi sa carrière. En quelques minutes, l'acteur fait oublier le grimaçant Lugosi et impose un nouveau type de vampire, aidé par son charisme et sa stature, et surtout, le réalisateur Terence Fisher qui injecte dans le film (et dans son œuvre en général) une bonne dose de sexualité et d'érotisme sous jacent. Le vampire devient un séducteur animal qui joue sur la libido de ses victimes (la plupart sont des femmes issues de la "bonne" société, donc théoriquement insatisfaites), la morsure devenant une métaphore de l'accouplement adultère. Le vampirisme agissant comme un catalyseur, le vampire devient une créature basique, répondant à des pulsions enfuies en nous depuis la nuit des temps. L'une des idées de génie est de symboliser cette bestialité par deux canines proéminentes, qui vont devenir indissociables du mythe. L'autre innovation de taille, c'est la présence de la couleur. Il convient de souligner le travail incroyable du directeur de la photo Jack Asher ("La momie", "Le chien des Baskerville") qui signe ici un tableau animé de 80 minutes, avec notamment ces images mémorables, comme Dracula apparaissant les yeux injecté de sang et toutes canines dehors, la mort du vampire (effets spéciaux très réussis pour l'époque) ou la brulure du crucifix sur le front d'une vampire. Il faut avouer que la présence de la couleur eut un effet prépondérant sur l'impact des scènes chocs, qui en traumatisèrent plus d'un(e) à l'époque, peu habitués à voir du sang en Technicolor. Ajoutée à l'image, la musique glaçante de James Bernard (dont le thème principal est un incroyable travail d'orfèvre), vous obtenez l'un des meilleurs films d'épouvante jamais réalisés.
Terence Fisher et son scénariste ont créé un mythe. Si, aujourd'hui, le film semble pétri de tous les stéréotypes possibles, il faut remettre l'église (ou plutôt le château) au milieu du village. "Le cauchemar de Dracula" EST le film de référence en matière de vampire, c'est la bible qui sera pendant des années maintes fois pillée mais jamais égalée. Même la firme anglaise, qui exploitera le personnage jusqu'à l'extrême limite, ne retrouvera jamais l'impact émotionnel et visuel, même lorsque le couple Van Helsing/Dracula Cushing/Lee se reformera pour deux épisodes contemporains peu inspirés. Contrairement au docteur Frankenstein, que Terence Fisher revisita plusieurs fois ("La revanche de Frankenstein", "Frankenstein créa la femme", "Le retour de Frankenstein" & "Frankenstein et le monstre de l'enfer"), le réalisateur ne reviendra que deux fois sur le mythe du vampire, en réalisant en 1960 une fausse suite avec Peter Cushing, intitulée "Les maîtresses de Dracula", puis en 1966 en retrouvant Christopher Lee dans le pourtant réussi "Dracula : Prince des Ténèbres", deux réussites dans le genre, mais l'absence du couple vedette se fait cruellement ressentir. De plus, le réalisateur anglais, se sentant plus en phase avec la thématique du docteur Frankenstein (qu'il considérait presque comme un alter ego), laissera malheureusement le soin à d'autres réalisateurs (souvent débutants) de s'occuper de la destinée (sanglante) du comte.
En deux films ("Frankenstein s'est échappé" & "Le cauchemar de Dracula"), Terence Fisher et son équipe (John Asher, James Bernard, Jimmy Sangster, Peter Cushing, Christopher Lee...) ont non seulement ressuscité deux mythes que l'on croyait à jamais intouchables, mais aussi établi les bases de ce qui va devenir une véritable marque de fabrique, le fameux style "Hammer". C'est ce qui fera la force du studio anglais pendant des années, cette incroyable aptitude à surprendre le spectateur et d'associer divers talent pour en tirer le meilleur parti, et réaliser des chefs d'œuvre à moindre frais. Un savoir faire que malheureusement la firme perdra peu à peu, au fil des années, pour ne plus devenir à l'aube des années septante que l'ombre d'elle-même, supplantée par une nouvelle vague de films d'horreur qui lui sera fatale. Mais cela est une autre histoire, comme dirait l'autre !
The Omega Man