Ågren, Janet |
Écrit par The Omega Man |
Janet Ågren (Maietto)
Au beau milieu des années soixante, une petite sirène suédoise s'échoue en Italie. Il s'agit d'une certaine Janet Ågren, une délicieuse (fausse) blonde attirée à Rome par de belles promesses et qui voulait commencer une carrière d'actrice. Mais la réalité fut tout autre, puisque aucun rôle ne l'attendait. Pas rancunière, la mignonne, fascinée par la ville lumière, décide de rester... une aubaine pour le cinéma populaire italien qui va vite l'adopter.
À cette époque, nombre de jeunes filles venaient des quatre coins du monde pour tenter leur chance en Italie. Les premières stars apparaissent donc, comme Anita Strindberg, Barbara Steele, Sylva Koscina, Elke Sommer... Mais en ce début des années soixante-dix les actrices, en plus d'être belles, doivent surtout être totalement désinhibées. Entre la comédie et le film d'horreur, l'érotisme vient d'exploser. Et l'un des genres à la mode est la comédie érotique assaisonnée d'un humour graveleux, avec sa star Edwige Fenech qui restera la plus populaire, mais en restant toujours soft ; on effleure les fesses, on dévoile les poitrines mais on ne se prend pas pour Jess Franco ! Par contre, dans les autres genres, on dévie, on caviarde, on enchérit et on abuse à tout vent (voir La Bestia uccide a sangue freddo). Pas facile alors, dans ce maelstrom, de trouver sa place, même si des actrices déjà en place comme Lisa Gastoni ("Seduction", "Submission") ou Marisa Merlini ("Les Bidasses s'en vont en guerre") essayent de suivre. Le plus bel exemple reste sûrement Mariangela Giordano qui, la quarantaine bien entamée, se donne à fond dans Giallo a Venezia, "Malabimba", La Bimba di Satana, Le Manoir de la terreur et Patrick vive ancora. Il faut aussi compter sur de nouveaux visages comme Olga Karlatos (L'Enfer des zombies), Florinda Bolkan (La Longue nuit de l'exorcisme), Suzy Kandall (L'Oiseau au plumage de cristal), Barbara Bouchet (La Tarentule au ventre noir)... Cette promiscuité va entraîner des disparités entre actrices sans que le talent n'intervienne. Ainsi, une Eva Czemerys (Obsédé malgré lui) ou une Maria Baxa ("Il commissario Verrazzano") n'arriveront jamais à trouver leur place dans le cinéma italien, alors qu'une actrice exécrable comme Sabrina Siani devient l'icône de la spaghetti fantasy ("Gunan il guerriero", "Ator l'invincibile", "Sangraal", "La spada di fuoco", Conquest, Il trono di fuoco). Heureusement, Janet aura plus de chance et réussira à s'imposer dans la péninsule, même si son succès ne dépassera jamais les frontières, contrairement à une Edwige Fenech qui pouvait compter sur des franchises lucratives et exportées (La toubib, La prof...) et sa participation à quelques Gialli.
La carrière de Janet Ågren sera marquée par une immersion dans tous les genres du cinéma populaire italien, avec une prédilection pour la comédie et la farce assaisonnée d'une bonne dose d'érotisme soft (avec notamment l'acteur Lino Banfi, spécialiste du genre). Mais contrairement à ses consœurs, la belle Janet n'hésitera pas à s'égarer dans quelques abîmes obscurs du cinéma d'exploitation avec un certain plaisir masochiste, l'actrice y subissant parfois les pires horreurs. Certains de ces films seront vite oubliés ou resteront inédits chez nous, ce qui nous privera d'une partie de sa filmographie que les amateurs seront obligés de combler par des exportations. Cela n'empêchera pas Janet de mener une carrière bien remplie qui s'étendra de 1968 à 1991. Si ses participations hors comédie sont assez faciles a se procurer, certains films tournés au début des années 70 et pas mal de comédies érotiques du début des années 80 sont par contre aujourd'hui difficiles à dénicher ; heureusement, il reste des affiches magnifiques et autres photos d'exploitation où la silhouette de l'actrice fait merveille.
Au début de sa carrière, Janet suit des cours au "Studio di arti sceniche" créé par Alessandro Fersen. Elle décroche quelques rôles sous le nom de Janet Ahgren, apparaît dans Perversion Story de Lucio Fulci sans être créditée, mais elle commence à se faire repérer et enchaîne diverses comédies, notamment sous la direction de Dino Risi. Le producteur Franco Cristaldi la remarque (la légende veut qu'il en tombe même amoureux) et lui offre deux rôles, dans "Io non vedo, tu non parli, lui non sente" de Mario Camerini et "Deux Trouillards pistonnés" de Bruno Corbucci. La belle Janet se retrouve aux côtés de comiques comme Enrico Montesano, Alighiero Noschese ou Gastone Moschin, un acteur plus connu chez nous pour des rôles sérieux dans divers poliziotteschi comme "Brigade Volante", Milan Calibre 9, "Magnum Cop" et même "Le Parrain 2" (The Godfather: Part II), mais en Italie il restera l'un des personnages du cultissime "Mes Chers amis" de Mario Monicelli.
Dans la foulée, l'actrice enchaîne avec deux "decamerotico". Il s'agit d'un genre typiquement italien, inspiré du "Decameron" de Pasolini, qui compte une cinquantaine de films presque tous inédits chez nous et réalisés entre 1972 et 1976. Le pic de la production sera l'année 1972, avec plus de trente films distribués en Italie. C'est donc au summum du genre que Janet tourne "Fiorina la vacca " (aux côtés d'une certaine Ornella Muti) et surtout "Master of Love" / "Racconti proibiti... di niente vestiti" avec une séquence de bain mémorable qui lui permet à nouveau de se faire remarquer malgré la précarité du genre. En effet, le réalisateur de ce dernier, Brunello Rondi, l'engage pour deux drames. Le premier, "Tecnica di un amore", est un film érotique déguisé où l'on peut admirer à souhait la plastique de l'actrice ; le deuxième, Ingrid sulla strada, alias "La Fille aux yeux d'or" (dans la lignée des drames crapoteux genre "Moi Christiane F..."), est un film particulièrement glauque qui illustre une belle collection de perversions. Dans la fange ambiante, la beauté angélique de l'actrice est le seul espoir qui subsiste. Le film sortira chez nous sous le titre de "L'Hystérique aux cheveux d'or", caviardé d'inserts porno ; la chose prend alors une tournure surréaliste, notamment lors du viol collectif de la pauvre Janet.
C'est pendant le tournage de ces deux films qu'elle rencontre son futur mari, le producteur Carlo Maitto (La Guerre du fer, Et mourir de plaisir...). Elle enchaîne avec "Il saprofita", un autre mélange crapoteux de drame, de sexe et de diverses joyeusetés comme la nécrophilie. Janet y interprète Theresa, une jeune femme pieuse et bigote qui dissimule en fait une dépravée ; le film sera sélectionné à Cannes en 1974. Entre temps, Janet apparaît dans "Avanti" et "Pulp" puis dans son unique western, "Providenza", produit par Sergio Leone. Elle tourne ensuite dans plusieurs productions dont un polar avec le Clint Eastwood italien, Maurizio Merli, "Il commizario di ferro" ; puis un autre : Un Flic à abattre, dans lequel elle partage la vedette avec Luc Merenda et Lucianna Paluzzi.
La grande diversité de ses choix va même l'entraîner en Espagne, dans un drame érotique, "Sensualidad", mais aussi dans une improbable coproduction franco-italienne, "Une Langouste au petit déjeuner", avec l'inénarrable Claude Brasseur et Claudine Auger ! Soulignons aussi sa participation au giallo fantastique L'assassino ha riservato nove poltrone, où elle ne fait aucunement tache au milieu d'un casting des plus savoureux (Rosanna Schiaffino, Paola Senatore, Eva Czemerys, Lucretia Love).
Jusqu'à présent, peu de films de l'actrice étaient sortis à l'étranger, mais cela va changer avec SOS Danger Uranium et surtout Bermudes : Triangle de l'enfer, qui seront deux succès sur le marché international. L'actrice acquiert à ce moment là une petite notoriété en Allemagne et en Espagne.
La trentaine rayonnante, Janet entame les années 80 avec deux titres majeurs : Frayeurs de Lucio Fulci (les vers de farine en pleine face... c'est elle !), et surtout La Secte des cannibales d'Umberto Lenzi, œuvre emblématique dans laquelle elle interprète pour une fois le premier rôle et - surtout - finit le film en vie ! Car en dehors des comédies, l'actrice semble avoir été choisie surtout pour subir les pires sévices. Dans le film de Lenzi, elle sera gâtée (violée par un gode démesuré, peinte en or...) et échappera de peu au sushi italien façon Lenzi. La séduisante Suédoise pose alors pour le magasine Playmen (elle le fera deux fois, en 1980 et 1983), où elle apparaît enfin en couverture, épanouie et de plus en plus belle. C'est une période faste du point de vue éditorial, et la comédienne se retrouve dans divers magazines comme Panther, Blitz etc... et multiplie les couvertures. Pas de doute, Janet est populaire en Italie (comme en Espagne et en Allemagne), mais demeure toujours méconnue chez nous.
En ce début des années 80, le succès des comédies érotiques commence à s'effriter sous l'assaut du porno. Mais c'est pourtant à cette époque que la Suédoise va tourner une grande partie de ses comédies: "La gatta da pelare" (1981), "Ricchi, ricchissimi... praticamente in mutande / Don't Play with Tigers" (1982), "Sogni mostruosamente proibiti" (1982), "La Prof d'éducation sexuelle" (1981) (miraculeusement disponible chez nous), "Occhio, malocchio, prezzemolo e finocchio" (1983), "Questo e quello" (1983), "Vediamoci chiaro" (1984) sans oublier "Ricchi, ricchissimi... praticamente in mutande" (1982) avec Edwige Fenech.
La fin des années 80 marquera aussi la fin du cinéma d'exploitation italien et de l'érotisme soft et, par conséquent, le déclin de la carrière de Janet Ågren qui, contrairement à certaines de ses consœurs comme Paole Senatore ou Karin Schubert, ne passera pas le cap du hard. Cela étant, elle dénichera malgré tout quelques rôles dans des productions destinées au marché international, comme le Red Sonja de Richard Fleischer. Viendront ensuite Atomic Cyborg où elle vole la vedette au pauvre Daniel Greene et "La Nuit des requins" où elle se retrouve aux côtés de Treat Williams. Enfin, elle sera harcelée par Nelson de la Rosa, alias Ratman. Mais les temps changent et, de jeune première, la belle passe à des rôles de femme plus mature, comme dans "Aladin" et "Karaté Warrior", pour lesquels elle incarne la maman du héros ; deux rôles très peu crédibles (il faut voir Janet servir le déjeuner de son fils en robe de soirée dans "Aladin") et plutôt anecdotiques !
En 1984, elle tentera une reconversion dans la chanson pour enregistrer en anglais un 45T, Teddy Bear.
The Omega Man (Juillet 2018) |