Girls in Chains
Genre: Drame , Women In Prison , Policier , Film noir
Année: 1943
Pays d'origine: Etats-Unis
Réalisateur: Edgar G. Ulmer
Casting:
Arline Judge, Roger Clark, Robin Raymond, Barbara Pepper, Dorothy Burgess, Addison Randall, Patricia Knox...
 

Helen Martin (Arline Judge) n'a pas de bol. Enseignante de profession, la voici du jour au lendemain remerciée par les hautes instances éducatives. La raison : sa sœur Jean (Patricia Knox) est mariée au plus grand malfrat local. Un criminel de la pire espèce répondant au doux nom de Johnny Moon (Addison Randall), lequel tient à lui seul la ville entre ses mains à force de meurtres et de corruption.

Débarquée dans un centre de redressement pour adolescentes, Helen s'avère être non seulement une femme de caractère mais une personne avec un cœur gros comme sa coiffure (imaginez le chapeau de Davy Crockett, mais en cheveux, ou Elvis Presley en train de jouer une vénusienne dans un S.F. des années 50). Elle se met bille en tête de ne pas recourir, comme elle a pu s'en apercevoir, à la force et la violence avec les jeunes femmes, mais plutôt de gagner leur confiance et jouer la psychologue pour en faire des femmes aguerries, aptes à se fondre socialement au sortir d'un institut trop répressif. Ceci étant, cela ne sera pas de la tarte pour notre Helen investie d'une sainte mission, puisque même au sein de l'établissement, certaines surveillantes sont à la solde de Johnny Moon.

 

 

Tourné en 1943, Girls in Chains est tiré d'un scénario qu'Edgar G. Ulmer écrivit avec Albert Beich ("La mort frappe trois fois") et sa propre femme, Shirley, laquelle collabore alors régulièrement avec son mari en tant que script girl. Le film fait partie de la période P.R.C. (Producers Releasing Corporation) du cinéaste : la firme est alors dirigée par Leon Fromkess, très proche d'Ulmer, qui lui donne régulièrement carte blanche en même temps que les budgets les plus dérisoires qui soient, afin que son ami mène à bien ses projets. Les tournages dépassent rarement la semaine, à l'exception notable de deux projets d'importance entre la P.R.C. et Ulmer, Détour et Strange Illusion, qui eux, ont la chance d'être tournés en dix jours.

Inutile de dire que les résultats sont plus qu'inégaux et que le metteur en scène se montre tour à tour inspiré ou dépassé par les restrictions de temps et de budget. Girls in Chains appartient hélas à la seconde catégorie. Malgré un postulat des plus originaux, ce dernier se gaufre à tout va dans des peintures excessives et caricaturales de ses personnages. Edgar G. Ulmer, à n'en pas douter, est un rêveur. Seulement voilà, parfois ses rêves se retrouvent couchés sur pellicule, et d'autres fois, l'homme semble avoir eu la tête ailleurs, comme conscient de l'impossibilité de transcrire ses visions, les balançant alors comme des seaux de peinture, esquissant davantage des formes aux contours mal finis, que des fines courbes ciselées avec le souci du détail, de la justesse ou de la crédibilité. Si Girls in Chains n'est pas aussi catastrophique qu'on a pu le dire, le prendre tel quel prêtera le plus souvent à sourire.

 

 

Généreux, naïf, suranné, d'une emphase dantesque, excessif sans démentir, et même ridicule à bien des endroits, sont des qualificatifs que l'on peut user sans honte et sans cruauté outre-mesure pour décrire la drôle d'addition à laquelle on assiste durant près de 75 minutes. Passons sur le fait que jamais le film noir et le genre W.I.P., dans lequel n'est pas loin de s'inscrire le film, ne semblent vouloir se fondre en un. De fait, l'impression première est de voir apparaître puis disparaître des acteurs au gré de raccourcis plus impressionnants les uns que les autres.

 

Les acteurs sont exécrables et c'est peu dire. Malgré que le spectateur se la prenne tout du long en pleine poire jusqu'à parfois ne plus voir que ça, ne nous attardons pas trop longuement sur l'abominable peau de bête qui sert de coiffe à Arline Judge, sinon juste pour dire, que si l'actrice semble concernée par son rôle, elle est aussi complètement à côté de ses pompes ; ce serait même à ne plus savoir qui joue juste et qui joue faux dans cette partition désaccordée où les personnages ressemblent à ce qu'ils sont : des acteurs se croisant sur un plateau fait de trois planches et six clous le temps de quelques scènes et qui, sans doute, ne se reverront jamais ensuite. Il est impossible de croire une seule seconde à la mission que se donne Helen au sein de la maison de redressement, tout comme il est impossible de croire à Addison Randall dans la peau du gangster municipal, tant l'acteur semble sortir de l'un des placards du premier vaudeville venu. Idem pour Roger Clark, qui semble lire un prompteur pour interpréter son rôle d'officier de la brigade des mineurs.
Impossible, pour finir là-dessus, d'ingurgiter de manière récurrente et comme le pire running gag filmé de tous les temps, une espèce d'ivrogne, totalement hors-jeu, qui va et vient à son aise comme parachuté d'ailleurs, tout le film durant.

 

 

Vous l'aurez compris, Edgar G. Ulmer livre avec Girls in Chains une bobine grotesque de bout en bout. Difficile de croire que le même cinéaste signera deux ans plus tard, et avec la même firme, l'excellent Détour. C'est in-extremis que son empreinte se fait ressentir, ce, lors d'une ou deux séquences, telle la course-poursuite finale sur les toits. Le reste n'est qu'un grand n'importe quoi. En témoigne, en plus de scènes qui ne semblent présentes que pour meubler, remplir la pelloche et attendre l'inspiration (l'ivrogne), une partition musicale grotesque et décalée, due pourtant à Leo Erdody (Barbe Bleue, Détour, Strange Illusion,...), un indissociable de l'oeuvre d'Ulmer, en tout cas de cette époque. La musique se fait romantique lors de règlements de compte, instille un suspens lorsqu'un personnage parle dans un bureau, et décline le thème de "When Johnny comes marching home" (appartenant alors au domaine public, donc gratuite), une chanson patriotique et militaire, pour illustrer les apparitions du personnage de Johnny Moon, ou bien chaque fois que son nom est évoqué ; on a même droit à un Boléro lors d'une foire à l'empoigne dans la maison de correction... on croit rêver !
Ailleurs, on passera aisément sur des stock-shots utilisés un peu n'importe comment, à l'instar d'une poursuite en voiture où ladite voiture change de forme et de marque à trois reprises en l'espace de vingt secondes ; inutile de s'appesantir là-dessus quant on sait le budget miséreux accordé à Ulmer pour ce projet-ci.

Non, le pire, car il y a pire, c'est le troupeau de femmes pré-ménopausées censé constituer le groupe d'adolescentes de la maison de correction. Les voir discuter avec la grossièreté propre à l'adolescence les fait ressembler à de vieilles prostituées trentenaires, voire quarantenaires ; quant à les regarder se mettre en rang d'oignon comme des gamines pour saluer leur bienfaitrice, il faut bien le dire en toute simplicité, c'est autant à dormir debout qu'à se pisser dessus. Pourtant - et c'est là qu'un léger paradoxe vient s'immiscer sournoisement à la vision de ce Girls in Chains - , à le regarder au premier comme au second degré, le film parvient petit à petit à nous embobiner pour peu qu'on veuille bien mettre de côté toute notion académique de l'objet cinématographique, des repérages à l'impression, en passant par l'écriture et le montage. Sans cet esprit d'abnégation, inutile de perdre son temps avec cet Ulmer là. Bien qu'assez proche par moments de certains W.I.P. à venir (mais avec des adolescentes dans une maison de correction au lieu d'une prison), Girls in Chains ne parvient pas à faire illusion et décharge un discours pataud et moraliste, le tout enveloppé dans un faux film noir dont on a que faire. Pour avoir une chance d'être dignement apprécié, Girls in Chains se doit, à sa vision, en plus de prendre en compte des moyens minimaux, d'être obligatoirement remis dans le contexte de l'époque où il a été fait.

 

 

Mallox


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